Gaëlle Perret / L'ethnologue et l'écrivain

une approche inédite des ateliers d'écriture

 
e-mail / courrier pour Gaëlle Perret

On trouvera ci-dessous deux brefs extraits de l'introduction du mémoire de Gaëlle Perret :

Qui est l'ethnologue? Qui est l'écrivain?

Ainsi que trois extraits du travail d'entretien préalable qu'elle a mené avec des écrivains animateurs d'ateliers d'écriture : Leslie Kaplan, Dorothée Letessier et Jacques Séréna. Le mémoire rassemble aussi des entretiens avec Gérard Noiret et Ricardo Montserrat.
Il ne nous est pas possible de diffuser l'intégralité de ce travail de recherche, ni de le reproduire dans sa complexité (notes de bas de page, etc...)

On voudra bien s'adresser à son auteur pour l'éventuelle communication d'une version RTF du mémoire et de ses annexes.

C'est l'inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n'est même pas une réflexion, écrire, c'est une sorte de faculté qu'on a à côté de sa personne, parallèlement à elle même, d'une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d'en perdre la vie.
Si on savait quelque chose de ce qu'on va écrire, avant de le faire, avant d'écrire, on n'écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine. (...)
L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie.
Marguerite Duras, Ecrire.

nota : ces transcriptions orales d'entretiens sont un précieux matériau de pensée en direct sur le travail de l'écrivain en atelier d'écriture - elles sont strictement réservées à la consultation personnelle -

on apporte justement ce non-savoir
entretien avec Dorothée Letessier (1998)

moi madame, je connais tout de l'épaule
entretien avec Leslie Kaplan (1998)

les gens sont beaucoup plus beaux à la fin de l'atelier qu'avant
entretien avec Jacques Séréna (1998)

Voici quelques années, alors étudiante en maîtrise d’ethnologie à Nanterre, je me suis intéressée de près aux pratiques d'écrivains menant des ateliers d'écriture dans la ville, en présentant un mémoire sur ce thème.
Ce mémoire resté en sommeil retrouve un nouveau souffle avec la mise en ligne sur REMUE.NET des principaux entretiens réalisés dans le cadre de ce travail. Je voudrais redire ici la disponibilité des écrivains qui se sont prêtés au jeu. Ils ont livré beaucoup d'eux même et leurs réponses restent actuelles et précieuses. Tous m'ont accordé temps et confiance. Leslie Kaplan m'a reçue chez elle, Dorothée Letessier et Ricardo Montserrat également. Jacques Serena, quant à lui, m'a fait parvenir une petite boîte d'allumettes contenant une mini K7 enregistrée dans la cabane qui lui sert de refuge pour écrire.
Des choses fragiles et vraies ont été dites dans ces entretiens qui n'auraient peut-être pas surgi autrement. C'est ce qui en fait la force encore aujourd'hui.
Pour ma part, définitivement passionnée d'écriture et de littérature, je poursuis ma route, loin de l'université mais toujours le cœur près des livres.
Gaëlle Perret, 27 septembre 2001

Qui est l'ethnologue ?
L'ethnologue est un observateur des hommes en société. C'est "celui qui fait émerger la logique propre à telle culture". Il regarde, il prend note d'une réalité qu'il transforme par son regard. Il recense des faits, des situations, des coutumes, des mythes, des gestes quotidiens... On peut le considérer comme le gardien d'une société, une sorte de receleur peut-être, ou le voir aussi comme le dilapidateur d'un savoir qu'il dilue et dissèque dans ses ouvrages. L'image de l'ethnologue est souvent associée à celles des sociétés dites exotiques et lointaines qui font rêver souvent, et qu'il a longtemps exclusivement étudié. Aventurier, touriste déguisé, vagabond voyageur, chercheur ou voyeur, qui est-il vraiment ?
Aujourd'hui, l'ethnologue a du s'adapter aux transformations du monde. De plus en plus présent dans nos sociétés modernes, on peut le croiser arpentant les macadams des métropoles, ou dans nos campagnes toujours en quête du caché, derrière l'apparente banalité des choses, derrière l'écrasante et parfois absurde réalité. Quel rôle désormais s'offre à lui, quelle place peut-il occuper dans les sociétés industrielles, quel regard peut-il apporter ? Qui écoutera ce qu'il a à nous dire ?
L'ethnologue est un être mystérieux, méconnu, tout comme l'est sa discipline qu'on a du mal à identifier, à cerner. Le miroir qu'on lui renvoie, et l'image qu'on a de lui sont porteurs d'un malentendu, car personne ne sait vraiment, au fond, ce qu'est un ethnologue. N'y a t-il pas là, quelque chose de paradoxal ? Ainsi, alors que l'ethnologue s'efforce de cultiver et d'étudier l'altérité, tout en décryptant la réalité, la rendant plus lisible, il est un personnage trouble voire inexistant, aux yeux d'un public, qui ignore souvent son travail.
Etre un apprenti-ethnologue s'est tenté de suivre ses traces, lui qui ressemble tant à un caméléon qu'on ne sait plus parfois le distinguer de son environnement. Peut-être, en définitive, l'ethnologue aime t-il à cultiver le secret.
Un mémoire pour quoi faire ?
Se lancer dans un travail de recherche qu'on espère rigoureux donne le vertige. Parfois c'est un vertige merveilleux qui stimule, parfois c'est un vertige douloureux qui rend inquiet. On avance sans trop savoir vers quoi l'on va, sachant pourtant par intuition qu'on touche quelque chose d'important du bout des doigts. Mais comment justement donner forme à ce quelque chose ? On perçoit un univers qu'on découvre lentement, dont il faut apprendre la langue pour comprendre ses rouages.
Ainsi, on tâtonne beaucoup. Une grande partie du cheminement est un long tâtonnement. On trébuche, on hésite, surtout on pose beaucoup de questions. La réalité se fait multiple et fuyante. Se joue t-elle de nous ? C'est presque une tâche impossible, de vouloir ordonner tout cela, ce réel si riche, qu'il faudrait le conjuguer au pluriel. Et comment savoir si l'on se trompe, si ce qui nous arrête n'est pas le plus insignifiant ? Cependant, il y a des signes qui nous guident, des hasards heureux, des rencontres...
C'est pourquoi, dans un cursus universitaire, la réalisation d'un mémoire est une étape importante. L'occasion est offerte de mener à terme un projet personnel. C'est un travail de longue durée aux enjeux multiples.
Concevoir un mémoire est un travail de réflexion et de construction qui permet dans un premier temps de faire le point sur ce qu'on sait, sur ce qu'on ne sait pas encore tout en mesurant le chemin parcouru et à parcourir, bref c'est la possibilité d'effectuer le bilan des enseignements suivis et des connaissances acquises. Mais c'est aussi une mise à l'épreuve, mise à l'épreuve théorique, et expérience du réel à travers l'élaboration d'une expérience de terrain (plus ou moins modeste, selon ses moyens...).
La rédaction d'un mémoire est également l'occasion de réfléchir sur l'anthropologie contemporaine tout en s'interrogeant sur son propre engagement dans la voie de la recherche ethnologique : que nous offre t-elle, que peut-on lui apporter et de quelle manière ?

Qui est l'écrivain?

L'écrivain dans l'atelier, l'atelier dans la ville. Autant d'espaces à investir. S'intéresser à l'atelier dans la ville, en tant que lieu dans un territoire particulier c'est s'intéresser également aux politiques de la ville, aux politiques culturelles, aux partenaires, aux pouvoirs publics, locaux, aux institutions. L'atelier est un micro-espace, un espace possible de respiration, un espace à la fois clos et ouvert. Voire une sorte de contre pouvoir, peut-être, dès qu'il s'aventure sur le terrain du social, et dépasse les limites imposées par les politiques culturelles.
Après cette tentative de définition, je me suis intéressée à l'écrivain dans l'atelier. Car si l'écrivain est "un professionnel des mots" , est-il cependant apte à animer un atelier d'écriture ? Que se passe t-il de particulier dans un atelier mené par un écrivain ?
Quels regards portent les participants sur l'écrivain-animateur ? Et le terme même d'animateur convient-il pour désigner l'écrivain ? L'atelier apparaît comme la partie visible d'une entité plus vaste. Il est lié à une conception globale de l'écriture et rejaillit sur l'écriture personnel des écrivains. Dans l'atelier, c'est la présence physique, le corps de l'écrivain qui se trouvent en jeu, bien plus que son oeuvre même. Qu'en résulte t-il ? Assiste t-on à une désacralisation de l'écrivain et/ou de l'écrit ?
L'écrivain dans l'atelier c'est aussi l'écrivain au milieu d'un groupe d'écrivants qui vont produire des textes. Qui sont-ils ? Quelles relations vont se nouer, quel est le statut de ces textes ? Que va t-il naître de cette expérience interactive ? Et quelle est cette écriture produite ? Comment l'appréhender, comment la situer ? Se pose aussi la question de la diffusion éventuelle de ces écrits. Pour qui ? Comment ?
N'y a-t-il pas plusieurs écritures ? L'atelier n'est-il pas une conjugaison de pluriel, une multiplicité de figures et d'expériences ?
Si on analyse les pratiques des écrivains, deux tendances au moins, en apparence, s'affrontent, celle des écrivains qui souhaitent redonner la parole à ceux qui se taisent, qui tendent vers le social, vers la création de lien social et celle de ceux qui veulent dépasser la sphère de l'intime, des blessures personnelles, du témoignage, pour aller au delà, emmener les participants vers le récit, les faire sortir d'eux même. Cependant ces deux tendances peuvent se compléter, être des étapes d'un parcours à accomplir vers la Fiction, vers le Silence nu, contre le murmure incessant et perturbateur du monde. Ainsi l'atelier oscille sans cesse entre le dit, le non-dit et l'écrit.
L'écriture dans l'atelier occupe certes, une place importante, mais qu'en est-il de la parole ? On parle beaucoup dans l'atelier, parfois plus qu'on écrit. On lit, on commente, on questionne, on doute. Plus que jamais, il faut-il dépasser l'opposition trop simpliste écrit/oral pour mieux appréhender leurs liens. S'intéresser au rapport au langage qui est aussi rapport à l'humain et au monde.
Et dans l'atelier quelle est la place de l'auteur ? S'interroger sur l'écrivain dans l'atelier c'est aussi réfléchir sur le statut de l'auteur en général.
Bien entendu, cette nouvelle pratique permet d'interroger la place qu'occupe l'écrivain dans notre société. On peut imaginer que l'atelier d'écriture inscrit l'écrivain au coeur de la cité et redessine les rapports que celui entretient avec la société ( et réciproquement). L'écrivain engage quelque chose de lui même dans la pratique de l'atelier. Est-il pour autant un écrivain engagé ?
Et si les pratiques de l'atelier semblent être à première vue, une réassurance du métier ou du statut d'écrivain, qui se définit ici par rapport à un groupe de non-écrivains, qu'en est-il exactement ? Au contraire, n'y aurait-il pas là facteur à confusion ? Car finalement derrière toutes ces questions, une interrogation ne cesse de réapparaître, à savoir : "Qui parle ? Qui écrit ?"
L'atelier révélerait-il tout en brouillant les pistes ?