Gaëlle Perret / L'ethnologue et l'écrivain

l'entretien avec Leslie Kaplan (1998)

 
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"Je crois que c'est les mots qui sont engagés en fait..."

Tout d'abord, j'aimerais bien que vous me parliez un peu de votre parcours.
LK- Mon parcours, j'ai fait pas mal d'études-, j'étais une étudiante en philosophie et en histoire et j'ai arrêté mes études, je suis allée en usine avant 68, et donc ça été une expérience, je résume, très importante, militante et humaine. Après quoi, j'ai continué à militer, j'ai repris des études, psycho. J'ai travaillé dans des lieux pour, j'appellerai ça psychotiques pauvres et en fait, j'ai publié L'excès-L'usine, qui est mon premier livre, en 82-, après m'être dit, 10 après, donc en 78, qu'il fallait quand même témoigner, ceci-dit j'avais déjà écrit aussi, je pense que ça correspondait évidemment à quelque chose. Tout ça c'est très très schématique. Donc, ça c'est pour le parcours, ensuite, j'ai continué à travailler un peu comme psychologue et puis j'ai finalement plutôt surtout écrit. Et les ateliers d'écriture, j'ai du commencer un peu comme ça par hasard, en 88, quand on a commencé à vouloir faire des choses, je dis on : la DRAC et l'Ile de France, à faire des choses, pour les lycées, pour des coins un petit peu difficile, donc c'était une expérience à Aubervilliers et après j'ai eu plusieurs fois de suite, ce qu'on appelle, des résidences d'écrivain. Là encore dans des zones dites difficiles, très souvent quand même en milieu scolaire, ce qui est donc un peu pas complètement votre propos-, mais bon, parfois ça débordait sur autre chose, etc. Donc, alors, aux Mureaux, ensuite deux années de suite à Mantes la Jolie, ensuite deux années de suite aux Ulis en banlieue sud, ensuite à St Denis, et là c'était intéressant parce que c'était couplé avec, intéressant, je veux dire c'était différent de ce qui précédait, avec une expérience de théâtre, une jeune troupe qui était elle même en résidence au TGP, et à qui on avait proposé un projet sur la ville et ils avaient monté un de mes textes dans la prison de Rennes, deux années avant, quand ils étaient encore élèves, puisqu'ils venaient de Rennes et ils avaient monté L'excès-L'usine, d'ailleurs, avec les détenus et ils ont voulu faire quelque chose avec moi, ils ont adapté le livre qui sortait là, qui était sur 68, en 96, qui s'appelle Depuis maintenant,- donc on a fait des choses dans la ville et on a fait aussi un chantier d'écriture dans la prison dans la Maison d'arrêt d'Avignon, car ils ont été à Avignon, en tant que théâtre, avec cette pièce. Voilà le parcours très résumé...

Donc, là vous vous consacrez uniquement à l'écriture et aux ateliers ?
LK - C'est ça, j'ai arrêté le reste, voilà. On peut dire ça en gros. L'autre métier, psychologue, j'arrivais pas vraiment à concilier...

Vous avez du choisir à un moment donné ?
LK : Voilà.

- Et quelle est votre définition de l'atelier d'écriture ?
LK - Quelle est ma définition d'un atelier d'écriture ?

- Oui, c'est un terme assez vague, qu'on emploie beaucoup en ce moment...
LK - Oui.

Il y a plein de choses derrière...
LK - Disons que pour moi, ce qu'il m'est apparu par ma propre pratique, pour aller encore très vite, l'accès à la littérature pouvait être aidé, et là je parlerais d'une expérience dans des classes, par la pratique de l'écriture. C'est à dire que lire au fond venait après écrire, contrairement à ce que je pense fait partie de l'enseignement. Donc, ça je l'ai compris comme ça, en le faisant, c'est à dire, en gros, au départ l'atelier d'écriture c'était aller dans une classe et parler de ce qu'on faisait et inventer quelque chose parce qu'il y avait pas de définition du tout, je parles de quand moi j'ai commencé, peut-être d'autres avaient, moi en tous les cas j'étais très libre, alors soit je parlais de littérature, soit je trouvais des choses à faire. Et très vite, j'ai trouvé que ce serait bien que les élèves qui étaient souvent des adolescents ou des préadolescents écrivent des choses eux même, et que éventuellement après je trouve des textes pour leur montrer aussi d'autres... mais qu'ils fassent l'expérience eux même de l'écriture et d'une et d'autre part qu'ils s'écoutent les uns les autres. En fait, pour moi, un atelier d'écriture ce doit être un lieu où des personnes pratiquent l'écriture qui là pour moi, se définit comme une façon de penser. C'est à dire que ce n'est absolument pas avec un but qui serait un but : comment devenir écrivain ? pas non plus avec un but qui serait d'avoir un meilleur français, je parle de l'élève... C'est plutôt, c'est un lieu où on peut travailler, découvrir et travailler, élaborer sa propre façon de voir le monde. Parce que tout de même ce qui est toujours frappant, ce qui est toujours étonnant dans un atelier, sur une même consigne, mettons, le mot, si on veut commencer avec le temps "hier" on a 15 textes différents, et puis ça peut même être plus précis, si c'est une rue, pareil... Et ça c'est une chose très stimulante pour n'importe qui participe parce qu'il voit qu'écrire c'est élaborer sa propre pensée. Alors évidement, ça rejoint des choses, que moi même, j'ai élaboré sur le fait qu'écrire c'est justement découvrir son style et son style c'est l'œuvre. Mais en fait tout ça, est une sorte de suite de pensées.

- Et est-ce que votre travail de psychologue a eu une influence sur votre vision des choses, est-ce que ça vous aide parfois ?
LK - En fait, ça ne veut pas dire grand chose parce que de toute façon je pense que j'ai fait des études de psychologie clinique, c'est sûr, à part ça, je n'ai pas très confiance dans la psychologie comme science par contre je pense qu 'il y a eu une découverte fondamentale au XX° siècle qui est la psychanalyse parce qu'elle a un objet qui est l'inconscient alors que la psychologie, je pense qu'elle n'a pas d'objet, ça c'est une grande discussion. Mais c'est sûr que le fait d'avoir rencontré des fous, appelons les choses comme ça, ou tout simplement d'avoir écouté des gens, ça fait partie de moi. Ca m'intéresse énormément, les gens m'intéressent sous tous les angles, social... donc certainement oui, on peut dire oui. Je pense pas vraiment que ce soit les études en tant que telles, je dirais plutôt les lectures et l'expérience...

- Sinon qu'est-ce qui vous détermine à accepter un atelier plutôt qu'un autre ?
LK - Tout de même je pense profondément qu'un atelier marche si la structure qui le met en place est une bonne structure. On ne peut pas aller n'importe où et penser que ça va marcher. Si dans une classe le prof n'est pas partant ça ne marche pas, si, je dirais même, le directeur n'est pas partant, c'est aussi déjà compliqué. C'est pareil partout, si dans une bibliothèque, la structure d'accueil n'est pas bonne ce n'est pas le même bilan que si elle est bonne. Je pense qu'il faut voir les choses comme ça. C'est aussi certainement une des raisons pour lesquelles j'ai travaillé un peu avec des gens en prison et que je trouve ça, pour moi, terriblement difficile parce que toutes les structures que j'ai rencontré étaient mauvaises.

-Comment ça ?
LK - La Maison d'arrêt d'Avignon, c'est vétuste, horrible, vieux. Il y a une bibliothécaire qui fait vraiment ce qu'elle peut mais elle a très peu d'heures, très peu de temps, très peu de ceci, de cela.

C'est elle qui vous a contacté ?
LK - Plus exactement, c'est elle qui a été contactée, elle et une assistante sociale, toutes deux formidables, c'est pas ça, mais elles ont été contactées parce que c'est le Festival d'Avignon qui a souhaité faire des choses pour "les exclus du Festival" donc c'était dans ce cadre là, et donc là ce qui était mauvais c'était les conditions dans lesquelles les gens sont. Voilà.

Et en ce moment vous animez des ateliers ?
LK - Là tout de suite j'ai fini mon année.

Scolaire ?
LK - Oui, en fait, mais il se trouve que j'avais quelque chose qui n'était pas scolaire, cette année qui était à St Denis, et c'est terminé aussi. Ca c'est trouvé comme ça. Cette année, il y a eu deux ateliers successifs à Massy Palaiseau qui était en bibliothèque, des adolescents mais hors structure scolaire. Dans un cas y a eu beaucoup d'adolescents, parce que la bibliothèque avait un groupe de lecture qui a tout à fait suivi l'atelier d'écriture, ça été génial. L'autre cas, y avait pas de groupe de lecture mais ça quand même été bien même si y avait beaucoup moins de jeunes parce que du coup c'était adressé aux éducateurs qui encadraient des jeunes ailleurs, qui en ont un peu pris de la graine, qui après ont fait des choses eux, dans le foyer, dans le centre d'accueil, donc c'était bien aussi et ça a pris une autre forme et puis j'ai fait aussi un atelier dans une SEGPA c'est à dire, des petits mômes entre 10 et 14 ans qui sont très mauvais et qu'on met dans une structure un peu comme une 6ème-5ème en attendant... Et là ça faisait 3 années de suite, parce qu'on s'entend très bien avec l'enseignante, qui est formidable. Il se trouve que tous les professeurs qui ont demandé, à part tout au début quand j'étais pas trop au courant, ça toujours été des gens formidables. Je tiens à le dire.

Et est-ce que vous pensez que l'écrivain apporte quelque chose de plus à l'atelier qu'un non-écrivain ?
LK - C'est une question très compliquée. Moi je vais vous dire franchement, je pense qu'il y a des écrivains qui n'apporteraient rien du tout parce que c'est pas leur truc.

- Il suffit pas d'être écrivain pour animer...
LK - Absolument. Et je pense qu'il peut absolument y avoir des gens très enthousiastes qui aiment la littérature et qui s'y prendraient autrement. Moi je suis pas spécialement tombée dessus mais après tout pourquoi pas ? Je pense que ce que j'apporte moi c'est ma façon à moi, d'enseignements que j'ai pu tirer de ma pratique d'écriture, de ce que j'aime lire, de ce que je connais. J'aurais tendance à dire qu'un écrivain dans ces cas là est bien placé pour le faire mais j'ai pas envie d'être très dogmatique sur cette question, franchement. Je pense quand même qu'il y a, je sais pas comment dire, des choses qu'on transmet. On transmet des choses, ça c'est quand même important, pas simplement à partir d'un savoir, mais quand même à partir de ce qu'il faut quand même bien appeler une expérience, qui comporte du savoir, de la pratique, des rencontres, des tas de choses... Difficile de répondre comme ça. Je suis sûr que quelqu'un comme François Bon est formidable, il se trouve qu'il est écrivain, bon, il se trouve que lui, il est tout à fait écrivain mais je sais pas, je dis ça parce que comme écrivain, écrivain qui a vraiment l'enthousiasme, la foi, c'est un exemple. Je veux dire, y a des tas d'écrivains, de très bons écrivains, qui n'ont pas du tout la personnalité de François. (...)

Qu'est-ce qu'écrire pour vous ?
LK - Ecrire pour moi, c'est ma façon à moi de penser, on peut pas dire ça autrement. Et c'est pour ça que c'est à la fois, pour employer les grands mots, vital, essentiel, que je voudrais faire ça le plus possible, parce que je pense quand même que il vaut mieux penser que de ne pas penser. j'ai vraiment du mal à dire ça autrement. Voilà.

Et quelle est la place de l'écriture dans les ateliers que vous menez ?
LK - La place de l'écriture ?

Le temps de l'écriture, par exemple. Parce qu'en fait j'ai l'impression qu'on parle beaucoup plus qu'on écrit dans les ateliers d'écriture...
LK - Oui, j'ai oublié de vous dire, je peux peut-être m'appuyer là dessus, que j'ai fait aussi cette année, je faisais partie d'une dizaine d'écrivains, à qui la Direction Générale de l'Architecture a demandé d'intervenir dans des écoles d'architectes, dans toute la France, pour voir, pour essayer de faire des ponts entre littérature et architecture. Moi, j'ai donc travaillé avec les élèves architectes de Paris (dans d'autres villes et même à Paris). Les enseignants ont voulu que ça se regroupe sur une semaine dite semaine expérimentale. Donc, c'est pour penser en terme de temps. On s'est donc vu 2 fois par jour, 3 heures, sur une semaine. Un jour où ils étaient libres et devaient écrire sur le motif, dehors. Comment ça c'est passé ? Alors c'est pas exactement mais ça a pris quand même la forme d'un atelier d'écriture. J'ai donc, avant que la semaine commence, fait une sorte de conférence à l'Ecole des Beaux Arts sur ce que était pour moi la littérature contemporaine et j'ai pensé que c'était important pour les élèves architectes, que ça leurs donnait ma conception de la littérature. Alors on a commencé l'atelier avec un rappel de ça et j'ai dit que je travaillerai sur des consignes qui concerneraient d'abord l'espace ensuite le temps, ensuite le rapport aux autres. Alors mettons le lundi matin, et non d'ailleurs j'ai commencé par le temps, alors, la consigne c'était "hier", donc ça prend vraiment pas très longtemps. Je donne environ une vingtaine de minutes pour qu'ils écrivent et après, donc on sait aussi que ça va être des textes quand même brefs, on peut pas faire autrement, parce que il me parait très important ensuite de lire et d'écouter ce que les autres ont fait, tout simplement, justement, pour qu'à la longue on perçoive ce que c'est que le style, ce style, ce fameux style, même si c'est tout à fait balbutiant, peu importe, c'est une certaine façon qu'une certaine personne a d'aborder le monde, par les mots, avec les mots, la grammaire, la syntaxe : le langage. Alors en fait, je pense que, on a du faire, dans la matinée, 2 consignes. Vous voyez un peu, et après quand même, j'avais préparé un dossier avec des textes très divers, justement, mais en gros, qui auraient peu être rassemblés sous le titre "hier".

Et est-ce que vous vous écrivez avec les participants ?
LK - Non. Jamais.

Pourquoi ?
LK - Bah, en fait, j'aime mieux... Je crois que j'ai pas envie, je crois, que là, que je me sens celle qui participe à l'atelier, l'atelier est une structure, tout de même très particulière, moi, il se trouve que je n'ai jamais écrit avec d'autres. Il se trouve que ça ne correspond pas à mon mode d'écrire, et ce qui prouve d'ailleurs que c'est vraiment une expérience et pas du tout avec le but de faire des textes définitifs ou quoi, ce qui est quand même, je crois, se mettre dans une autre position. C'est un autre projet, ne serait-ce que parce qu'on reçoit des consignes plutôt qu'on va s'en donner. Donc, j'écris pas avec, j'en ai pas eu envie. Et je dois dire, mais alors c'est une autre question, que je ne lis jamais de mes textes. Je crois que j'ai l'impression que ça enlèverait un peu trop de distance, et j'aime bien que les gens me lisent par ailleurs, mais le proposer moi, ça me parait trop empiéter, comme y a déjà un rapport évident de transfert, pour employer un grand mot, à celui qui anime l'atelier, si en plus, il propose ses textes, forcément c'est un peu comme des modèles, ce qui ne veut pas dire qu'il le fasse consciemment ou que les autres l'entendent comme ça, mais y a quand même un peu de ça, mais je dis ça pour moi... Je ne suis pas contre ceux qui le font...

Et est-ce que certains, d'eux même vont lire vos livres ?
LK - Oui, très souvent, alors là pour le coup oui. (...) Des fois ils demandent tout de même et vous ?... Dans une classe, je pense que c'est normal que le professeur en ai déjà parlé avant. En général, je raconte, c'est différent mais de toute façon je ne leur lis pas nécessairement, je parle des livres et pourquoi j'ai écris celui là plutôt qu'un autre...

- Dans les textes produits en atelier, l'aspect littéraire est-il important ? Est-ce que vous visez l'aspect littéraire ?
LK - Justement le mot littéraire qu'est-ce que ça veut dire ? Et même je vais vous dire franchement, est-ce que ce que j'écris c'est littéraire ? Qu'est-ce que c'est que la littérature ? C'est une question qui n'est pas vraiment close. Ce qui m'intéresse, c'est si le texte est issus du sujet qui écrit, qui porte quelque chose, sur cette longueur de temps (forcément limité), il est intéressant et des choses qui peuvent être bien et que je fais souvent c'est que ça peut rappeler Rimbaud ou pourquoi pas Racine (ou autre), au sens où quelque chose peut faire écho et que cette personne a été regardée de ce côté là, plutôt ça... Ceci-dit, je fais des critiques aussi, c'est à dire, si par exemple, je trouve que le texte aurait pu être développé là, ou bien que les 3 dernières phrases ne sont pas nécessaires mais là c'est moi qui pense que là franchement.... Je dis ce genre de choses mais là ce n'est pas rapport à la littérature en elle même, c'est par rapport à la pensée qui gagnerait en force, en densité, en précision. Vous voyez ?

- Oui. Et est-ce que vous essayer d'emmener les gens au delà des récits autobiographiques ? Parce que souvent les gens commencent à parler d'eux mêmes...
LK - Alors là ça dépend... C'est tout à fait évident, que l'écriture comme la pensée, peut absolument tout d'un coup revenir à la tête de quelqu'un, l'emmener très loin, et puis le repousser, l'angoisser, l'inquiéter et d'une, ça on comprend très vite ce qui se passe par rapport à ça, mais tout dépend comment l'atelier fonctionne... souvent les participants trouvent d'eux même... C'est tout de même à partir de consigne, par exemple si on écrit à partir d'un pronom qui peut être il ou je, j'explique que je ça peut-être un personnage. C'est un peu à chacun de négocier comment il fait, s'il est trop plein de choses à lui, il fera que ça, tout dépend de ce qu'il en fait, réellement, ça dépend. Par rapport à ça je crois pas une seconde, à une autobiographie directe, à une vérité. C'est pas parce que quelqu'un raconte sa journée d'hier qu'il est dans la vérité, même si il pense qu'il y est ou qu'il n'y est pas, la vérité est toujours ailleurs, entre les lignes etc. Donc c'est pas trop un problème ça. C'est plutôt qu'est ce qu'il élabore ?

- Parce qu'en fait, dcertains insistent sur le fait qu'ils veulent redonner la parole à ceux qui ne l'ont pas , alors que d'autres cherchent plutôt à emmener les gens au delà d'une parole ou d'un écrit sur leurs souffrances, pour les emmener vers le récit...

LK - Mais pour moi c'est un peu le problème, ce n'est pas vrai que les gens ne s'expriment pas, les gens s'expriment, par contre je pense qu'ils ne pensent pas et ça ça nous concerne aussi bien que les gens, c'est à dire que c'est très difficile de penser. Les gens s'expriment, dans la rue, ils se bousculent, ils se tapent dessus, ils rigolent, ils s'expriment. Ils s'expriment pas nécessairement avec des mots, avec du langage, et comme disait Godard "le problème n'est pas de s'exprimer c'est d'être imprimer", je veux dire ça circule pas nécessairement leur parole, ça c'est une autre question, le fait que ce qu'ils ont à dire sur leurs vies, leurs malheurs, ne circule pas, reste confiné, ça c'est un vrai problème. Problème de la société moderne depuis un certain temps. Les choses sont bloquées. Donc je trouve pas tellement que c'est une histoire d'expression, les emmener ailleurs, oui, mais je sais pas exactement ce que Hervé veut dire, parce que c'est quand même, moi ce que je trouve important pour les gens, c'est d'arriver à se confronter encore une fois, prendre le risque de leurs propres pensées, évidemment on va finir par se demander ce que je veux dire par pensée, je veux dire de leur propre façon d'élaborer à un moment donné où ils en sont. Il est très compliqué pour n'importe qui et n'importe quand mais il me semble quand même s'ils viennent chercher quelque chose dans un atelier d'écriture c'est quand même et ça je pense que c'est vraiment très lié à l'état actuel de la société, qui est vraiment faite de morceaux, de bribes, de gens par ci par là, etc. on a vraiment peu de moyens d'essayer de trouver où on en est... Qu'est ce que ça veut dire... je vais prendre un exemple un peu extrême. Est-ce qu'on peut par exemple exprimer les gens, il faudrait permettre aux gens d'exprimer leurs colères, leurs désespoir et ça très franchement je pense qu'ils l'expriment, ils le font, parce qu'on parle partout, on ne fait que ça, on est des êtres parlants, c'est comme ça, mais essayer d'en faire un peu plus c'est ça qui est difficile, de toute façon, j'ai pas non plus de solution, par rapport à ça. Des questions peuvent se poser mais c'est vrai que j'aimerais que ça aille plus loin qu'une simple expression, alors je ne sais pas, je ne pense pas que ce soit non plus les amener à faire des récits ou des choses plus... c'est pas exactement ça, je pense que tout de même le rôle de l'atelier d'écriture faire de l'écrit est quand même limité, même si je pense que c'est absolument bien, essentiel parfois, c'est que ça peut mettre en contact une personne avec ses propres questions, ça, déjà faire ça, je peux vous dire, que moi, ça me paraît énorme. Y aura pas de réponse, il faudra bien aller plus loin autrement et ça, l'atelier ne peut pas se substituer à tout. Le problème, un peu des choses assez générales, "l'état de désolation", c'est un mot de Hannah Arendt, je ne sais pas si vous l'avez lu cette femme, elle emploie le mot de désolation, la situation des masses comme elle dit, dans la société industrielle, et je crois que c'est vraiment ça, y a quand même un tel, une telle déliquescence des structures, politiques, de classes même, de famille, de tas de choses, que les gens sont vraiment très seuls dans leur coin, et donc y a des ateliers, des clubs de philo, y a des machins, y a des trucs, ça a un certain niveau et puis y a aussi plein d'autres choses, y a aussi malheureusement des groupes fascistes, etc. Il y a des sectes, et je crois quand même que ça participe à un même état des lieux. Enfin, je ne sais pas si ça vous intéresse...

- Si, si. Quand je parles des ateliers d'écriture, j'ai envie de parler des ateliers dans, par rapport à la société, par rapport à un projet global, une époque...
LK - Tout à fait, je crois...

- Que deviennent les textes produit en ateliers ? Est-ce que vous les gardez, est-ce que vous visez une publication voire l'édition ?
LK - Ecoutez, moi, je ne pense pas que ce ne sont pas des objets (?), moi je pense qu'ils sont la trace de l'expérience de l'atelier donc si les gens veulent, que ce soit des enfants, d'abord et à 100% le cas ou des adultes, ce qui est très souvent le cas, veulent garder cette trace, moi je trouve ça très bien.

- C'est vrai que pour certains, ça fait un certain effet de voir le texte tapé ou imprimé.
LK - Absolument. En plus ils peuvent retrouver, très souvent à leur demande, le texte des autres, ceux qu'ils ont entendu. Comme ça a été une expérience qui dans la plupart des cas est très importante pour eux. D'ailleurs pas plus tard que toute à l'heure, par rapport à ça, j'ai reçu une carte postale d'une dame qui était dans l'atelier qui s'appelait "Mémoire des gens, mémoire des villes" et qui doit en parler en public, et elle disait à quel point c'était important pour elle, je crois que c'est vrai, c'est vraiment important, donc c'est tout à fait bien que les gens gardent quelque chose maintenant point à la ligne en ce qui me concerne. Je ne vois pas du tout comment on pourrait faire un quelconque commerce de ça, parce que ça a pas de sens.

- Quels rapport noués avec les participants de vos ateliers ? Est-ce que vous garder contact, après ?
LK - Parfois, c'est à dire, ça m'est arrivée. Parfois on se revoit, parfois pour un atelier d'après, ça c'est passé plusieurs fois comme ça, mais, oui, parfois j'en ai revu. C'est toujours un peu compliqué, mais ça dépend, ça dépend...

- Et la question du suivi, qu'est-ce qui se passe après, quelle suite ?
LK - Bien sûr, la question c'est quoi, comment et avec qui ? Ca fait partie de la même question si on les revoit. Là encore ça s'inscrit dans un problème très général de comment tout marche, c'est à dire, je pense concrètement à un atelier que j'ai fait en banlieue sud, là, où vraiment la question de qu'est-ce qu'allait devenir les mômes après l'atelier se posait; en effet, si la bibliothèque continuait de demander à d'autres écrivains, ce que je pense, dans le cas précis, ils vont faire. C'est évident que le désir de suivi, au fond, il faut l'analyser, faut se demander pourquoi y a un tel désir de suivi, c'est bien parce que dans la vie des gens, y a rien. Je schématise bien sûr, mais c'est un peu ça quand même...

- Est-ce que parmi ceux qui participent aux ateliers, certain avaient une pratique de l'écrit avant ?
LK - Certains, oui, oui. Des adultes mais aussi des adolescents, des journaux, des textes...

- Certains vous les ont fait lire ?
LK - Oui, oui, ça pouvait tout à fait arrivé, ou après ils me les envoient...

- et vous faites quoi, vous leur donnez des conseils ?
LK - Oui, oui. Franchement en essayant de relativiser parce que je peux faire vaste, je veux dire oui, j'essaye de donner des conseils, qui concernent le texte, la démarche.

- Et est-ce qu'il y en a qui sont vraiment porté par ça, qui écrivent régulièrement, qui aimeraient devenir écrivain?
LK - J'ai jamais eu de rapports assez suivis après et en fait, je pense à quelques personnes qui sont sûrement motivées pour faire quelque chose, écrivain, je ne sais pas, pas forcément, mais peut-être du théâtre, peut-être autre chose. Après ça se perd un peu dans le temps, je crois que ça dépend, de la personne, où elle en est dans la vie.

- Sinon, comment vous présentez-vous par rapport aux participants ? Faites vous une distinction entre votre pratique d'écrivain et celle d'animation d'atelier ? Est-ce que vous dites "je suis écrivain" ou "je suis animateur"...?
LK - Oh, y a les deux, moi je dis, ça a toujours été le cas, on m'a contactée, les bibliothèques, etc., parce que je suis écrivain, et après j'anime ces ateliers. En fait, là je suis pas sûre que je vois la question. Y a une question vraiment importante mais qu'on arrive pas à formuler.

- Est-ce que par exemple, la pratique de l'atelier est-ce que c'est lié à votre écriture, est-ce que ça a une influence sur votre écriture?
LK - ça j'ai du mal à le dire...

- C'est pas palpable...
LK - C'est ça, c'est absolument pas palpable. Ca m'intéresse de voir des gens qui habitent à Massy Palaiseau, ça m'intéresse de rencontrer, quand j'ai commencé en 88, j'étais absolument très contente ...., c'était parfois des situations parfois pas très évidentes, vraiment ça me faisait réfléchir, ça m'informait sur l'état de la société, sur plein de choses. Alors, de là , à ce que ça se retrouve dans mon écriture, sûrement mais alors comment ?

- C'est lié à une expérience...
LK - En tous les cas, ça s'élabore petit à petit, c'est difficile de dire ça autrement. Par contre, je peux vous dire, parce que c'est plutôt à l'envers, j'en parle parce que c'était vraiment très très bien. Je vous ai parlé de St Denis, où j'avais donc fait un grand chantier d'écriture dans la ville, avec cette compagnie qui s'appelle Les Lucioles, qui avait mis en scène un livre à moi, qui s'appelle donc Depuis maintenant, c'est sûr 68, et il y a un personne qui s'appelle Miss Nobody Knows, Mademoiselle personne ne sait et qui passe son temps à poser des questions et à les écrire. Et en fait en se demandant comment on allait jouer la pièce, et à part ça comment on allait faire le chantier d'écriture, il m'est venue une idée, c'était de faire une sorte de questionnaire, que j'ai appelé "questions-questions" qui était une liste de questions posées aux gens voulant susciter de l'écriture et qui étaient posées dans les ateliers, soit dans des bibliothèques, dans des classes, etc.
Et ce que je raconte là, en fait est passé du personnage à la façon de concevoir le chantier d'écriture, ça c'est passé dans ce sens là. C'est à dire les questions suscitant l'écriture des ateliers venaient du livre même si c'est pas dans le livre, les questions étaient inspirées par le livre, voilà, y a quand même une circulation.. Enfin c'est pas tout à fait vrai, y a une phrase que j'avais mise une fois. En fait, c'était justement cette première expérience à Aubervilliers, dans un lycée professionnel et je rencontrais pour la première fois des mômes de 14, 15 ans qui étaient apprentis et en particulier apprentis dans des secteurs alimentaires et ça m'avait absolument choquée, parce que, vraiment je trouvais qu'ils n'apprenaient rien , ils passaient leur temps à balayer..., je les trouvais surexploités, enfin, j'étais très choquée. Un jour, en classe, c'était leur période au lycée, je crois que c'était 1 semaine au lycée, et 3 semaines en stage, peut-être que c'est le contraire, mais si je vous dis ça comme ça, c'est pas un hasard, j'ai demandé, j'ai dit mais enfin quand même "Vous n'apprenez rien" et là, un jeune garçon, qui était en fait chez un boucher, qui était très jeune, très beau, qui me regarde et qui me dit : "Mais madame, bien sûr que si on apprend. Moi, madame, je connais tout de l'épaule". Cette phrase m'avait sidérée. Une phrase dont je ne savais pas quoi faire, parce que lui il pensait qu'il apprenait, qu'est-ce que c'était ? Je l'ai prise, et il y a eu un apprenti boucher dans Le silence du diable-, qui dit cette phrase. Cette phrase là, parce que en plus je ne savais pas quoi en faire de cette phrase, elle me semblait énorme... quelque chose de pas tellement drôle...

- Et vous l'aviez notée dans un coin de votre tête, cette phrase ?
LK - Oh, oui, dans ma tête, ça m'a tellement étonnée...

- Et comment est né votre livre, l'histoire s'est construite autour de cette phrase ?
LK - Oui, assez... Si un jour vous lisez Le silence du diable, c'est une histoire d'amour plutôt violente, et en effet, à un moment donné, la fille de l'histoire tombe sur un apprenti, donc je pense qu'il m'avait vraiment..., dans une boucherie, pour elle ça a rapport à plein de choses, à de la violence etc., et il a cette phrase qui étonne la fille. Donc, c'est vraiment..., j'ai reproduit la situation.

- Et sinon, est-ce que vous pourriez vous passer des ateliers ?
LK - Et bien, écoutez, ça je sais pas trop. Je pourrais pas formuler ça exactement comme ça. Là, je sais que je continue d'avoir envie d'en faire pour une raison très simple, c'est que là, j'ai un peu hésité par rapport à l'année prochaine, l'enseignante avec qui j'ai fait 3 fois de suite un atelier, m'a demandée encore, parce qu'elle aimerait, et quand même il y a ce côté, on ne peut pas faire autrement, autre chose ? Et réellement, je me suis dit, non j'ai envie. Je ne sais pas si je peux dire, que là tout de suite où j'en suis, parce que je suis dans un livre que je suis en train de, j'en ai encore je pense pour à peu près un an, et c'est très difficile de répondre, parce qu'à la fois j'aime beaucoup faire ce travail, je peux pas dire, que c'est vital, au sens où si je le faisais pas, si j'écrivais pas là vraiment je sais que je pourrais pas. Cela dit sans emphase. Et les ateliers je pourrais pas dire ça, ça serait pas conforme à la vérité et en même temps, je veux en faire, j'aime en faire, je pense que c'est une façon importante pour moi d'être dans la vie, dans le monde. Alors je sais pas, mais là je parle de ce moment là, parce que faut dire aussi que j'ai un délai, un livre à finir etc., alors que ce passera t-il quand j'aurais fini ce livre là, on verra...

- Quand vous dites un délai, c'est vous qui vous l'êtes fixé ou c'est votre éditeur ?
LK - Non, c'est moi. Enfin, c'est pas tout à vrai. En fait, c'est les 2, il m'en a fixé un plus serré que j'ai étendu un peu...

- J'imagine autrement que vous connaissez d'autres écrivains qui animent des ateliers, est-ce qu'entre vous vous parlez des ateliers ?
LK - C'est à dire, j'ai toujours quand même, mais ça je crois que c'est la nature de ce genre de colloques, été un peu déçue quand... c'est très compliqué de rendre compte de ce qu'on fait, faudrait vraiment beaucoup de temps. Je peux en parler individuellement avec des gens, un grand groupe et tout, j'ai jamais remarqué que ça apportait grand chose. Non c'est peut-être pas tout à fait vrai, l'année dernière, y avait une réunion au Jardin des Plantes et c'était intéressant d'écouter ce que disaient les autres, je reviens exactement à dire le contraire, y avait des gens plongés dans leurs pratiques, chacun parlait de ça, c'était plus écouter ce que disaient les autres, enfin pour ma part...
Il y a vraiment des gens avec qui en parler m'a apportée et puis c'est vrai qu'après comment chacun fait c'est assez difficile à échanger, je pense. On pourrait sûrement sur des questions plus d'ensemble, sur le suivi etc., mais là il faudrait aussi que ce soit avec des institutions et il faudrait que ce soit très sérieusement pensé.

- C'est pas le cas ?
LK - Je ne j'ai jamais vu que ce soit le cas, parce que c'est....

- Et comment ça se passe justement au niveau des institutions, est-ce que la question des ateliers est vraiment quelque chose de pensé ou est-ce que c'est pas quelque chose qui part dans tous les sens ?
LK - .... Pour ça il faudrait que vous voyez des gens comme Donatella Saulnier ou P. Souchon à la Maison des écrivains... C'est des choses qui ont démarré presque comme ça, quand on a commencé à parler des banlieues, tout le monde s'est effrayé, il faut faire quelque chose, faut qu'on colmate... Moi, déjà à ce moment là, c'était après Aubervilliers, je disais on fait appel au écrivains parce qu'il y a une crise dans l'enseignement. Parce que c'est pas normal que ça se passe si mal dans les écoles. C'était pas une critique sur le fait de faire appel à des écrivains, c'est simplement qu'il fallait pas se voiler, qu'il y avait un constat épouvantable dans l'enseignement, dans les banlieues, pas seulement dans les banlieues, ça pose beaucoup des questions politiques, c'est à dire qui veut faire quoi, qui se donne les moyens, comment on pense ça, comment on pense l'éducation, comment on pense l'avenir ? Comment on pense la jeunesse, etc. Je crois que quand même tout le monde semble être pris de très très court, semble être là, vraiment dans l'urgence, alors qu'en même temps les choses sont urgentes et en même temps c'est pas comme ça qu'on pense...

- Connaissez vous des écrivains qui animaient des ateliers et qui se sont découragés ?
LK - On est tenté par le découragement à chaque fois, mais, tout simplement même si ça marche, c'est la question du suivi, moi j'appelle ça la question de la goutte d'eau, c'est à dire on fait ça, c'est formidable et après ? Découragés..., je sais pas, je peux pas dire que j'en connaisse. Ceux que je connais continuent plutôt.

- Est-ce que vous vous considérez comme un écrivain engagé ? Et d'abord ça vous évoque quoi ?
LK - Quand ça m'évoque Sartre et l'après guerre, ça m'irait pas trop comme ça, parce que si vous voulez c'est tellement connoté cette époque là, c'est pas tellement ça, mais ça correspond pas, moi ce que je pense c'est que, et je reprends peut-être autrement la question "est-ce que les ateliers vous pourriez vous en passer ?", il y a quand même une chose que j'ai compris, c'est que le fait d'avoir vécu les événements de mai 68 dans une usine occupée a été un élément très important pour moi, dans ma vie, et je pense que ça a bouleversé beaucoup de choses, mon rapport à la réalité, la question de la rencontre de gens très différents, je sortais des études, ça a vraiment énormément compté mais comme toute expérience ça a mis du temps pour que je comprenne un peu de quoi il retournait et finalement ce que je fais dans les ateliers, c'est une façon, c'est ma façon, de renouer, de bâtir un lien avec tout ce qui s'est passé à ce moment là, évidemment c'est différent, d'abords y a pas de grève générale, ni d'occupation, ou quoi ce sot, l'atmosphère est bien différente mais je crois tout de même pour moi la façon d'essayer d'aider les gens à se questionner, avec leurs questions à eux, mes questions... c'est vraiment, finalement, y a un lien entre les deux, donc, voilà, je définirais un peu comme ça. Et c'est pourquoi tout en étant autre chose que l'écriture, c'est évident que le rapport aux ateliers et aux gens est essentiel pour moi, je reviens un peu sûr... il faut le dire comme ça.

- Qu'est-ce qu'on pourrait mettre à la place de "engagé" qui soit moins connoté ?
LK - Je crois que ça dépend comment, c'est quelque chose, je sais pas comment dire ça, je pense que ce qui ne va dans ce terme, finalement il est malgré tout assez dogmatique. Mais je ne sais pas si c'est comme ça qu'il faut poser la question car encore une fois, je sais pas comment dire ça.... Je vais vous raconter une autre chose. L'an dernier, on m'a demandé de faire une conférence sur Kafka,, à Bobigny, et il y a avait dans la salle, une jeune fille, d'ailleurs avec son sac à dos et tout, qui a dit qu'elle venait de lire La métamorphose, et je suis dure que c'est pas le seul endroit où ça c'est passé en France et dans le monde, et que ça lui avait changé la vie. Bon, quand on pense, Kafka, c'est le prototype semble t-il, d'un écrivain apparemment en retrait, qui travaille la nuit etc., mais il est tellement ouvert au monde qu'il trouve les métaphores et les images telles qu'une petite fille black de Bobigny, dit ça m'a changé la vie. Finalement c'est évident que ça c'est la chose forte, moi j'aime rencontré les gens, je pense que je fais ce qu'on peut appeler un travail social, quand je fais des ateliers d'écriture, c'est certainement au sens de travail social. Enfin, appelons ça comme ça. C'est aussi dans ma tradition, parce que je suis d'origine juive, il y a une tradition de faire des choses avec les gens, etc. Je crois que c'est les mots qui sont engagés en fait...

- Et est-ce qu'en fait on pourrait dire, plutôt que l'écrivain engage une partie de lui même, au sens où il est là physiquement et que cela prend le pas sur l'œuvre ?
LK - Je pense que oui, c'est important, et c'est certainement dans un sens problématique parce qu'il y a un temps de travail de social où on fait ça plutôt que d'écrire, mais ça c'est un choix, c'est comment on se découvre dans son économie personnelle. Y a aucune règle par rapport à ça. Et Kafka, lui de son côté, il était fonctionnaire, dans un petit bureau, donc c'était peut-être pas un travailleur social mais il faisait ça... La répartition du temps et du corps, en effet, et tout ça, comment on le met et où on le met, c'est une vraie question. Je crois qu'il y a une gêne, une honte, à dire qu'au font si l'écrivain est aimé dans son atelier d'écriture, c'est probablement plus parce qu'il est sympathique, actif, ou enthousiasme ou chouette, ou je ne sais quoi et c'est pas les livres, et ça c'est sûr. C'est comme ça, c'est pour ça que pour moi, c'est vraiment très divisé, y a les livres, et il y a le travail avec les gens. Je crois que c'est illusoire de penser qu'il y a une unité, y a deux choses, travail social, aller en banlieues, s'occuper d'enfants, de gens, faire des trucs qui ont rien à voir quand même, je pense aux mômes de la SEGPA, on crée n petit roman dans l'année, ça n'a rien à voir avec mon travail d'écrivain, finalement, peut-être dans une bibliothèque où je peux parler littérature contemporaine, évidemment ça à voir quand même, puisque c'est ce que j'aime, mais franchement, avec des petits mômes de la SEGPA est-ce que ça à voir ? Ca à voir avec moi, parce que j'ai des enfants, parce que j'aime les enfants, parce que je m'intéresse aux processus compliqués avec lesquels les enfants se débrouillent quand c'est vraiment dur pour eux, des tas de choses comme ça, bien sûr que ça se ressent dans mon écriture mais alors vraiment l'exégète dans 100 ans fera le travail pour montrer, je vais prétendre c'est complètement unifié, c'est pas vrai, ou alors encore une fois, je vous dis, finalement oui, mais comme tout... c'est un peu quand même un peu pas vrai...

- Et quelle est votre définition de l'écrivain ?
LK - Ma définition de l'écrivain ?! C'est quelqu'un qui écrit ! Il faudrait que vous me demandiez quels sont les écrivains que j'aime parce que ma définition de l'écrivain j'en ai pas... Un écrivain c'est quelqu'un qui résout, qui pense avec des mots et qui se débrouille avec ça, qui n'a aucune solution, qui essaye de penser avec le langage et tout le monde le fait, et je pense que l'écrivain le fait en utilisant le langage à sa façon à lui... Un écrivain c'est quelqu'un qui traite son angoisse avec des mots, vous remarquez que ça ne veut pas dire, qu'il est un bon ou mauvais écrivain, parce que évidement on peut ressentir une nécessité intérieure très forte et être mauvais écrivain, c'est certainement pas l'engagement personnel dans les mots qui fait qu'on est un bon ou un mauvais écrivain, malheureusement.

- Quels sont vos écrivains préférés ?
LK - Alors j'ai beaucoup parlé de Kafka... Proust, je pourrais dire Dostoïevski, vraiment capital, voilà quelqu'un qui à sa façon était vraiment engagé, enfin je parle pas du côté religieux... Y en a beaucoup, Faulkner.... ça c'est les grands...

- A propos de la question : pourriez vous vous passez des ateliers ?
LK - Je crois qu'il faut penser la question des ateliers, et là bien sûr, je parle en mon nom propre, comme une manière d'être dans la société au moment où on est, et que c'est une forme qui reste... donc les ateliers; c'est une façon d'être là, d'intervenir, de faire passer des choses qui m'importe par ma pratique dans la société à l'heure actuelle auprès de gens que je ne vois pas autrement mais que c'est quand même, je pense, une forme qui peut bouger et qu'on peut trouver à la rénover tout le temps, si elle reste figée dans ce qu'elle est, ça c'est toute une grande discussion, je crois que ça peut quand même ensuite se terminer, ça a correspondu à quelque chose à un moment donné, ça correspond toujours mais il faut quand même imaginer des possibilités d'autres choses, d'intervenir, que ce soit le théâtre ou d'autres formes d'action, voilà...