Cette manière disjointe
d'être là et de voir, comme si le visage et le
regard se croisaient, à contre-sens l'un de l'autre,
chacun de son propre mouvement, balayant, ou se
rétractant, comme ayant déplacé au
niveau du seul visage l'étonnant paradoxe des
peintures égyptiennes, corps de face et tête de
profil, elle : visage de face et regard de profil, visage
penché en avant et le regard levé, combinaison
qui semble sans fin jusqu'à parfois quand même
les faire coïncider, comme là, en direction de
la feuille, à moins qu'il n'y ait que le visage qui
soit vraiment orienté, le regard s'égarant,
s'en allant, le visage suivant les mots à la ligne
alors que les yeux s'enfoncent dans leur profondeur
(à moins que ce ne soit le contraire), de toutes
façons quand elle lève les yeux, et même
si le visage reste vers le bas, c'est dans
l'indécision de ne savoir qu'y mettre, la
satisfaction (de ce quelle a écrit) ou la peur
(d'avoir mal fait, de s'être trompée). Les yeux
sont une proie facile, elle se méfie, mais ne peut
empêcher ces chavirements de blanc qui parfois les
traversent, cette tristesse qui les dépouille comme
lavés, baignés d'opaque, de brouillard, cette
violence qui les vide comme à vouloir en effacer les
signes de trop grandes douleur. Ça passe dans les
yeux, le visage n'a pas bougé. Mais de tension trop
grande çà explose quand même, ça
expulse d'un rire, revers de rire cinglant, comme l'à
contre-temps du regard et des yeux le rire et la tristesse
se recouvrant l'un l'autre, jeux de voiles, la vie à
ce jeu là, et le visage alors à voir dans la
surimpression, l'un pas plus vrai que l'autre, pas plus
naturel, la douleur est native mais balayée par
l'évidente raison de rire (tant de bons souvenirs
à outrager la douleur), le rire est aussi premier
jusqu'au surgissement assourdissant du souci parfois
monté en terreur (tant de coups à fendre en
pleine figure l'envie de rire). La vraie douleur, c'est
peut-être d'être ainsi ballottée, sans
savoir de quelle rive tenir la terre aux pieds, à
souhaiter (oui, ce souhait là aussi) ne
dépendre que de la force de tristesse, le rire fait
si mal quand il n'est bordé de rien, quand il se
plante à-pic au milieu de l'incompatible. On voudrait
ne jamais y avoir goûté. Si simple. Tout
laisser tomber, les bras, le visage, le coin des
lèvres, l'oeil, la poitrine, tout laisser emporter
avec le dos qui se plie. Mais c'est sans compter avec le
coup de vie dans les reins, la vieille colonne
vertébrale qui résiste quel que soit le nom
qu'on lui donne ( espoir, il faudrait parler de l'espoir,
elle a écrit : Le cygne rêve de repartir vers
un grand lac pour rejoindre d'autres cygnes, car il se sent
seul et abandonné), mais ce qu'on voit c'est ce
pétillement de bulles à la surface de la peau
qui vient damer le pion aux certitudes d'horizon plat,
pétillement silencieux le plus souvent, jamais
à même de devenir pétulance, comme une
danse en retrait sous la pâleur du visage, il faut
être très près si l'on ne veut rien en
perdre. Et tout à coup ça s'ouvre :
ébullition alors, jubilation, sans cris, sans
éclats, le pétillement divulguant ses
promesses, pas longtemps certes, pas longtemps, mais bien
assez fort pour que la mémoire en reste, l'empreinte
au coin des lèvres, comme laissent traces à la
surface des gâteaux les bulles
éclaboussées ou l'empreinte d'un doigt de
l'enfant en cachette, peut-être ce geste seul alors,
elle, femme à malices sous la chape de vie,
espiègle, oui espiègle, ses enfants n'en ont
pas privilège (ni de l'espièglerie ni des
bulles à courir après), à la page du
dictionnaire ouvert sur la table, c'est le mot qui vient
juste après espérer, et elle...