Tout de suite c'est le front,
l'étoile qui le frappe comme en ont les chevaux -
étoile blanche sur front rude, sur tête dure,
entêtement à piaffer tout son saoul de ne
pouvoir jaillir : être cheval ! galop ! envol par
dessus les obstacles ! et mépris s'il le faut des
choses basses qui font le jour après le jour !
Voilà le rêve dont la blessure
cicatrisée au front (l'étoile) est comme le
manifeste. Ou la mise à l'écart, l'obesssion
qui bourdonne chassée comme une mouche (peur que
ça recommence, que l'envol soit trop lourd, trop
violente la chute qui marque encore le front). D'où
l'offensive des cheveux en panache, en couleurs, cette danse
de boucles et de henné qui voudraient en finir avec
les signes de blessures et n'offrir à
l'indiscrétion des regards que cette fierté de
bannière capable de braver les fantômes de
l'humiliation. Mais de quelle fierté se vêtir ?
Fièrté des origines ? Fièrté de
la blessure ? Fièrté de ce regard où
s'incrustent pourtant les affronts faits aux pères
venus de loin, ici, pour gaver de leur force, de leur sueur,
de leur sang, les machines des forges qui dressaient dans
les brûlures du feu tout un avenir de poutrelles de
fer, de boulons, de tôles, de voitures ? Maintenant
que les pères sont partis (dans les jardins de Dieu
ou revenus au pays), maintenant que les amarres sont rompus,
difficile de se dire d'ailleurs, difficile de s'arracher les
pieds à cette terre lourde et grasse qui borde les
remous de la Marne. D'où ce balancement. Cette
indécision. Cet art appliqué de l'esquive. De
l'esbroufe aussi. Comme si tous les moyens étaient
bons pour mettre la fierté à l'abri du danger.
Entre je sais tout et je m'en vais. Entre insolence et
dérobade. Entre coquette et Cosette (c'est elle qui
la revendique - joie des larmes pour qui sait pleurer entre
les lignes). Un coup d'épaules, et hop elle n'est
plus là ("Je ne vais quand même pas raconter ma
vie..."), partie, au-revoir, mais tout aussi bien simplement
retranchée derrière ce front, cette
étoile, derrière les arabesques de sa tenue de
bataille (jean, blouson de cuir, jupe longue à fleurs
de fête), cette frise de vêtements jetée
sur le désespoir comme un voile non qu'elle
crût ainsi lutter efficacement contre le
vieillissement attendu (de toute façon il viendra),
mais parce qu'elle n'a d'autre issue que cet état de
guerre, que cette attention permanente à ne
prêter le flanc à aucune des menaces au milieu
desquelles, pourtant, elle se sent bien souvent
acculée, cavale rétive luttant alors des
quatre fers, chef de harde toujours à la recherche de
son troupeau, hantée par ce désir de vie plus
haut que les épaules (même s'il n'a
cessé d'être contrarié), elle sait
d'expérience que c'est seulement à corps
meurtri que l'on sort de pareils afffontements, et qu'il
faut simplement user du plus de stratagèmes
possibles, brouiller les pistes, ne jamais rester là
où on est attendu, quitte à se perdre
soi-même, à ne plus savoir ce que l'on dit, qui
on est, quitte à se prendre le cou dans l'entrelac
des arabesques, à y perdre le souffle, mais tout est
mieux que ce risque mortel de taureau avançant
à découvert au milieu de l'arène, sans
préméditation, sans arrière
pensée, dans la naïveté des gestes qui
conduisent toujours à la même mutilation, et
qu'elle préfère masquer, femme et
moucharabbieh frappés du même destin, du
même pas...