Michel Séonnet / Une part de la vérité du monde

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Tout de suite c'est le front, l'étoile qui le frappe comme en ont les chevaux - étoile blanche sur front rude, sur tête dure, entêtement à piaffer tout son saoul de ne pouvoir jaillir : être cheval ! galop ! envol par dessus les obstacles ! et mépris s'il le faut des choses basses qui font le jour après le jour ! Voilà le rêve dont la blessure cicatrisée au front (l'étoile) est comme le manifeste. Ou la mise à l'écart, l'obesssion qui bourdonne chassée comme une mouche (peur que ça recommence, que l'envol soit trop lourd, trop violente la chute qui marque encore le front). D'où l'offensive des cheveux en panache, en couleurs, cette danse de boucles et de henné qui voudraient en finir avec les signes de blessures et n'offrir à l'indiscrétion des regards que cette fierté de bannière capable de braver les fantômes de l'humiliation. Mais de quelle fierté se vêtir ? Fièrté des origines ? Fièrté de la blessure ? Fièrté de ce regard où s'incrustent pourtant les affronts faits aux pères venus de loin, ici, pour gaver de leur force, de leur sueur, de leur sang, les machines des forges qui dressaient dans les brûlures du feu tout un avenir de poutrelles de fer, de boulons, de tôles, de voitures ? Maintenant que les pères sont partis (dans les jardins de Dieu ou revenus au pays), maintenant que les amarres sont rompus, difficile de se dire d'ailleurs, difficile de s'arracher les pieds à cette terre lourde et grasse qui borde les remous de la Marne. D'où ce balancement. Cette indécision. Cet art appliqué de l'esquive. De l'esbroufe aussi. Comme si tous les moyens étaient bons pour mettre la fierté à l'abri du danger. Entre je sais tout et je m'en vais. Entre insolence et dérobade. Entre coquette et Cosette (c'est elle qui la revendique - joie des larmes pour qui sait pleurer entre les lignes). Un coup d'épaules, et hop elle n'est plus là ("Je ne vais quand même pas raconter ma vie..."), partie, au-revoir, mais tout aussi bien simplement retranchée derrière ce front, cette étoile, derrière les arabesques de sa tenue de bataille (jean, blouson de cuir, jupe longue à fleurs de fête), cette frise de vêtements jetée sur le désespoir comme un voile non qu'elle crût ainsi lutter efficacement contre le vieillissement attendu (de toute façon il viendra), mais parce qu'elle n'a d'autre issue que cet état de guerre, que cette attention permanente à ne prêter le flanc à aucune des menaces au milieu desquelles, pourtant, elle se sent bien souvent acculée, cavale rétive luttant alors des quatre fers, chef de harde toujours à la recherche de son troupeau, hantée par ce désir de vie plus haut que les épaules (même s'il n'a cessé d'être contrarié), elle sait d'expérience que c'est seulement à corps meurtri que l'on sort de pareils afffontements, et qu'il faut simplement user du plus de stratagèmes possibles, brouiller les pistes, ne jamais rester là où on est attendu, quitte à se perdre soi-même, à ne plus savoir ce que l'on dit, qui on est, quitte à se prendre le cou dans l'entrelac des arabesques, à y perdre le souffle, mais tout est mieux que ce risque mortel de taureau avançant à découvert au milieu de l'arène, sans préméditation, sans arrière pensée, dans la naïveté des gestes qui conduisent toujours à la même mutilation, et qu'elle préfère masquer, femme et moucharabbieh frappés du même destin, du même pas...