Avoir 15 ans àCamille-Sée : l’atelier d’écriture des Seconde 4

J’ai demandé aux élèves d’écrire sur :
– un passé qui les travaille (le leur, celui de leur famille, un événement historique, etc.),
– leur présent en Je,
– leur vie demain, telle qu’ils l’imaginent.
Ensuite, leur ai-je dit, je ferai un montage de vos écrits, chacun y figurera avec des extraits piochés ici ou là. Chaque contribution sera anonyme et quand je reviendrai, on lira l’ensemble en classe, chacun se voyant attribuer un extrait au hasard. Bien sà»r, c’est totalement libre, vous pouvez participer ou non, inventer si vous le souhaitez, et vous pourrez àtout moment refuser que cela soit lu, ou refuser que cela soit publié.
Merci àleur professeure de français, Virginie Morgant-Valot, d’avoir permis àcet atelier d’exister.
Marianne Rubinstein.


Le passé :

1. J’ai mis un pied dans l’eau, puis le corps tout entier. J’ai commencé àavancer, et en voulant m’arrêter, j’ai glissé. Ma tête a été complètement engloutie par l’eau. Je me noyais. J’avais l’impression que ça durait des heures. Soudain, quelqu’un m’a attrapé et remonté àla surface.

2. J’avais un chien qui s’appelait Bondo, pendant 10 ans. Un labrador retriever. Il est décédé l’année dernière. Je l’ai laissé avec mon père dans mon pays quand je suis venu en France. Un jour, j’ai rêvé de lui, il était ici, avec moi, et soudainement il a disparu. Une semaine plus tard, mon père m’appelle et me dit que Bondo est mort.

3. Les problèmes commencent entre mes parents. Les causes sont que mon père ne prend pas son rôle en étant père, et il n’y a que ma mère qui m’élève et m’éduque toute seule, et cela la fatigue énormément. La situation s’aggrave de plus en plus, du coup ma mère décide de mettre fin àla relation avec mon père et divorce.

4. Avec le temps, j’ai compris que le cancer était parmi notre famille et que, àtout moment, il pouvait emporter ànouveau quelqu’un de cher àmes yeux.

5. Une tente doit être montée correctement pour tenir en cas d’intempéries nocturnes, dit-il. Deux heures plus tard, après avoir mangé des pâtes froides et dures (c’était très dur voire impossible de faire tenir la flamme d’un réchaud avec le vent), je me prépare pour notre première nuit. Quelques heures plus tard, je me réveille avec le bruit du tonnerre et le claquement de l’eau sur le toit de la tente. J’ai les pieds complètement trempés et la moitié du matelas est inondée d’eau.

6. Le groupe avance, je décide de ne pas les suivre et d’acheter le cadeau, cela m’a pris deux minutes, mais assez pour que je perde de vue le groupe. J’étais paniquée, il y avait du monde, j’avais chaud, j’avançais mais toujours rien, mon cœur commençait àbattre, mes larmes montaient. Je me retrouvais seule, sans téléphone, sans savoir parler la langue. De longues minutes plus tard qui m’ont paru des heures, j’aperçois au loin un groupe, mon groupe, j’étais soulagée, ils étaient rassurés de m’avoir retrouvée.

7. Les jours passent, et chaque matin je le vois. On commence àbien s’entendre, on parle des fois, j’apprends qu’il est sans domicile fixe, mais le temps manque, je dois partir. Mais un soir, en rentrant des cours, je l’aperçois avec des policiers, et l’homme a l’air énervé. Depuis ce jour, en allant àl’école, je ne l’aperçois plus. J’apprends par une de ses connaissances qu’il est en prison pour agression et trafic de drogue.

8. Je dormais paisiblement quand tout àcoup, je me suis réveillée en sueur. Je suis partie boire un verre d’eau dans la salle de bain, et en sortant, j’entendis quelque chose qui me glaça le corps. Un cri qui venait d’en bas, d’une personne àla voix grave. J’étais pétrifiée de peur et n’osais plus bouger.

9. La relation de mon père et ma mère était épuisante moralement, ils ne se parlaient que par mail, ils ne voulaient pas entendre parler l’un de l’autre. Normalement, les parents protègent leurs enfants de leurs histoires d’adultes. Les miens m’ont mis dès le début dans leurs histoires, c’est devenu de pire en pire jusqu’àattaquer ma santé morale et physique, jusqu’àne plus tenir sur mes jambes et avoir des idées noires.

10. Ma mère avait un épais bandeau autour de la tête. Comme elle venait d’avoir subi une opération, et sous l’effet des médicaments, elle ne se rappelait même plus mon prénom et mon âge, ses paroles étaient incompréhensibles. Heureusement, elle s’est bien remise de son AVC, et est aujourd’hui en bonne santé.

11. Je me retrouve devant une policière pendant deux heures afin de lui raconter dans les moindres détails ce qu’il m’a fait ce 7 février 2020. Les vêtements que je portais sont dans un tiroir sous mon lit. J’essaie tant bien que mal de me relever, de sourire le matin quand je me réveille, de me reconstruire même si je sais pertinemment que je ne serai plus jamais la même personne. Cela fait un an que j’ai un syndrome de stress post-traumatique.

Mon présent :

12. En plus de mes amis, j’ai rencontré l’année dernière une fille remplie de bienveillance et d’affection àmon égard, que je lui redonne.

13. On se couche tard, on se lève tôt, on dort peu, on pense trop.

14. J’ai peur de l’abandon, de grandir, de ce que demain sera fait.

15. J’aime passer du temps avec mes amis et ma famille. J’aime rester entre moi-même, me remettre en question, réfléchir àl’avenir. J’aime prendre soin de moi et changer de style vestimentaire. J’aimerais bien apprendre àpatiner. J’aimerais réussir mes études et faire mon métier de rêve. J’aime bien travailler pour avoir de bons résultats et progresser. J’aime beaucoup mon pays, la Tunisie.

16. J’adore m’occuper de jeunes enfants car ils ont encore la joie de vivre et sont insouciants, alors que nous, les adolescents, avons perdu cette joie de vivre et cette insouciance. Pour ma part, c’était àma rentrée au collège que j’ai perdu toute confiance en moi et depuis j’ai du mal àla récupérer.

17. Chez les familles normales, les gens vont rigoler, manger, s’amuser, avec un sourire jusqu’aux oreilles. Alors pourquoi ? Son père n’est jamais là, toujours occupé par le travail. Quant àsa mère, elle, elle est làsans être là. Sa présence physique est présente, mais vide. Elle est vide. Principalement avec cette jeune fille. Alors pourquoi ? Pourquoi le jour de son anniversaire, elle doit être là, malheureuse, àne pas pouvoir le fêter comme tout le monde. Elle déteste les anniversaires, principalement le sien, car elle se sent seule. Je me sens seule.

18. Je suis une personne associable. Je parais froide. Je suis curieuse, je suis maniaque, je suis gentille, je suis polie, je suis organisée.

19. Mon présent est simple, je travaille beaucoup pour pouvoir faire le travail que je veux faire dans le futur. J’approfondis les matières dans lesquelles j’ai des difficultés, comme les matières scientifiques et les maths.

20. Je parle trois langues, anglais, arabe et français. Mes matières préférées sont les maths et la physique-chimie, et je déteste le SVT et SNT.

21. J’ai quinze ans et je suis àCamille Sée. Mes parents sont divorcés et mon père travaille beaucoup. Je suis donc chaque semaine chez ma mère, sauf un week-end sur deux et tous les mercredis, durant lesquels je suis chez mon père.

22. J’ai quinze ans et je viens du Liban. Ça fait que cinq mois depuis mon arrivée en France. Du premier jour, j’ai essayé de m’habituer àla vie àParis autant que possible ; et je voulais améliorer mon accent français aussi.

23. J’aime le foot, j’aime mes amis et ma famille, j’aime lire des mangas, j’ai une petite collection de figurines, j’aime les bonbons, je sors souvent avec mes amis au parc, j’aime les fast-food, j’aime aller dans les champs avec mon père pour s’occuper des arbres fruitiers, j’aime les animaux, mon animal préféré est le tigre blanc.

24. Il est presque 20h30 et j’entends ma mère m’appeler : « A table !  ». En rangeant mon stylo dans ma trousse, je lui réponds : « j’arrive maman.  »

25. Je n’ai jamais été très proche de ma mère. Mes amies racontent tout àleur mère, mais moi, c’est tout l’inverse, mon papa connaît toute ma vie, mes peines, mes amours, mes envies.

Mon futur :

26. Je voudrais, pour mon futur, m’engager dans le domaine juridique (avocat, juge), vivre une vie paisible avec mes proches actuels, et ma famille.

27. Mon demain, je l’imagine sans plus aucune dispute entre mes parents, qu’ils se parlent correctement comme de vrais adultes, qu’ils comprennent que leurs actes rejaillissent sur moi, et que je reprenne où ma vie s’est arrêtée.

28. J’imagine le monde de demain rempli de masques. Et j’imagine les bébés d’aujourd’hui grandir pendant une pandémie, et j’ai pitié pour eux. J’ai aussi de la peine pour ma génération, car notre adolescence est àla fois mouvementée et ennuyante.

29. Plus tard, je m’imagine acteur, acteur de plusieurs genres : action, thriller, comique, intello, science fiction. Je m’imagine faire mes propres cascades et modeler àma guise mon texte. Je serai connu et célèbre dans le monde entier. J’aurai gagné de nombreux prix, tels que Oscar ou les Golden Globes. Je produirai mes propres films et on se souviendra de mon nom dans tout le monde du cinéma.

30. J’habiterai hors de France, évidemment. J’aurai une carrière réussie, un travail que j’apprécie. Beaucoup de gens ont des carrières qu’ils n’apprécient pas, et je ne me vois pas en faire partie.

31. Dans le futur, vers mes 40 ans, je me vois avec deux enfants, une fille et un garçon. Dans un appartement àParis, de taille moyenne. Je prendrai tous les jours les transports en commun pour aller travailler. Je serai architecte, et ce métier me fera beaucoup voyager et je serai souvent éloigné de ma famille.

32. « Cher Moi du futur, Quand tu ouvriras cette lettre, des années auront passé. Là, tout de suite, ça me paraît super loin, mais en fait, c’est demain, ou presque. J’espère que tu seras toujours aussi amoureuse (voire plus, pourquoi pas). J’espère sincèrement que tu auras eu la chance de porter la vie. (…) Sinon, j’espère que tu seras épanouie dans ton travail et que tu auras réussi àavoir le métier de tes rêves. (…) Je te souhaite d’être heureuse, de te lever avec le sourire chaque jour. Et puis avec passion. J’espère que tu vivras passionnément. (…) Je te souhaite aussi de voyager, de découvrir le monde, d’avoir envie de t’évader encore plus chaque jour. Enfin, j’espère que tu auras réalisé quelques-unes de ces envies folles ! J’espère que tu seras en bonne santé, surtout, ainsi que tous les gens près de toi. J’espère que tu aimeras chaque jour un peu plus fort, et que tu seras chaque jour un peu plus toi. A dans 10 ans !  »

33. Après réflexion, j’imagine une vie heureuse, une vie sans grosse encombre. Mais je l’imagine avec quelqu’un. Vous savez, cet amour de jeunesse jamais éteint. Peut-être avec de la richesse, peut-être avec de la pauvreté. Je ne sais pas, je ne veux pas savoir avant d’y être. Je voudrais faire de la mode plus tard, et je rêverais de finir comme ces grands créateurs jamais oubliés. Mais ce n’est pas comme ça que j’imagine la vie. Je l’imagine plus banale, mais heureuse.

34. Un de mes plus grands rêves, c’est de plonger avec des baleines, mais c’est très compliqué.

35. Je me vois déménager dans un autre pays, surement dans un de mes pays d’origine. Pour changer d’air.

36. Dans le futur, ma meilleure amie et moi avons envisagé de faire une colocation, comme ça on pourra enfin se voir tous les jours, voyager ensemble. Je pense que la seule chose qui puisse nous séparer est le fait que l’une d’entre nous se marie et devra donc quitter la colocation. Petites, nous nous sommes donné chacune une moitié de cœur, et actuellement nous l’avons toujours toutes les deux.

37. Je me demande si je parviendrai àréussir dans ce que j’entreprendrai, notamment dans les études. Exercer un métier où je pourrai enfin me dire : « j’ai trouvé mon but dans la vie  ». Cette question qui me tracasse depuis maintenant un an — un an que je me demande quel métier j’aimerais pratiquer, celui qui me rendra heureuse, épanouie, et d’autant plus fière du fait que j’aurai entrepris des études dans un but concret.

38. Je veux devenir un entraîneur de football ; j’ai commencé àjouer àsix ans, au Liban, et maintenant je joue en France. Je veux continuer mes études en Europe pour devenir un entraîneur, et mon but est de devenir le meilleur, ou au moins un des meilleurs.

39. Dans mon futur, je m’imagine chez mon propre chez moi avec ma famille, mes enfants et leurs mères, mais avant de m’installer, je pense faire une colocation avec mes meilleurs amis avec qui je sais que je vais énormément rigoler et m’amuser. Enfin, je dis tout cela en espérant que ça se produise parce qu’on ne sait pas de quoi est fait demain.

40. Plus tard, j’aimerais voyager, découvrir de nouveaux horizons, j’aimerais m’installer àl’étranger pour pouvoir étudier. J’aimerais être bilingue. A l’avenir, je souhaiterais venir en aide aux plus démunis. J’aimerais faire ce qui me plaît.

41. J’aime les sensations fortes, je rêverais de faire un saut en parachute. Et pour mon plaisir et mon objectif premier, j’aimerais rendre fier mon papa.

Passé/présent/futur tout ensemble

42. Hier, j’ai entendu un camarade de classe dire une injure àses amis, j’étais assez choqué de ses propos, et comment ils pouvaient être offensants, mais sur le moment, cela ne m’avait pas interpellé car il semblait en rigoler. Aujourd’hui, j’y ai repensé et je me suis dit que cela n’était pas normal, et en tant qu’élève c’est un peu mon rôle de ne pas laisser ce genre de choses arriver. Demain, j’irai le voir pour lui dire que ce genre de comportement n’est pas normal et approprié et qu’il devrait arrêter de dire ce genre d’injures.


P.-S. de Marianne Rubinstein : L’atelier d’écriture s’est clos sur la lecture de ces extraits, chacun des élèves en lisant un, àtour de rôle, dans l’ordre de leur positionnement dans la salle (il avait été dit d’emblée que l’anonymat serait préservé le jour de la restitution). Nous avons lu l’ensemble une seule fois. A la seconde lecture, nous avons évité le passé. Personne n’a souhaité sortir de l’anonymat en revendiquant de lire son extrait (ce qui avait été le cas avec les seconde 1). L’émotion était retenue. Certains ont dit que cette lecture leur permettait de comprendre que nombre d’entre eux avaient des vies difficiles, et qu’il y avait làcomme un soulagement de ne pas être aussi seul.e qu’on l’avait imaginé. La qualité, la diversité des effets utilisés dans leurs textes les a impressionnés. Quelque chose restait en suspens quand je suis partie. Après réflexion, chacun a accepté que son extrait soit publié (puisqu’ils avaient la possibilité, àtout moment, de me dire de le retirer).

28 mars 2022
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