POL / 1 - rectification
on était très fier de vous donner les URL directes des dernières chroniques "Le Grain des mots" de Camille Laurens dans l'Humanité, et on n'avait pu se retenir d'une petite pique au site POL, qui affichait une chronique datée 15 octobre... oui, mais voilà, c'était un choix délibéré de leur part, un flash-back en fait, d'où le rectificatif ci-dessous -
bien sûr, il ne s'agissait pour nous que d'inciter à un petit clic vers le site POL, depuis longtemps un des sites d'éditeurs les plus vivants et les plus réussis, ce qui est bien le moindre quand on présente... le catalogue POL! cela nous permet quand même une indiscrétion : les chroniques de Camille Laurens qui prolongent son étonnant livre de 1998, "Quelques-Uns", y seront reprises en volume, on a hâte -

POL / 2 - la protestation de POL
Cher François Bon,
Non, non, le site POL n'est pas bloqué au 15 octobre ! Nous avons simplement mis en ligne une ancienne chronique de Camille. Et chaque semaine il y en a une nouvelle, je vous assure. Ainsi, demain...
Nous nous donnons beaucoup de mal pour tenir notre site à jour et le rendre attractif (bientôt, dans quelques mois : des vidéos de lectures brèves), ce serait vraiment gentil de passer un rectificatif.
Amicalement,
Paul Otchakovsky-Laurens

POL / 3 - parce que POL proteste toujours
mais on s'honore quand même qu'il prend, pour nous, un ton tout autre que dans sa légitime colère : "à celle qui ne paye pas ses livres", colère salutaire pour tout le monde et qui fait qu'on a repris sur remue.net, il y a 2 semaines, son texte paru dans Le Monde
<http://www.remue.net/lect/T020315.html>

POL / 3 bis - qu'il le pourrait même après ses propres auteurs
on aurait pu cependant lui pardonner un retard sur le site au seul motif du travail impossible que demandent à leur éditeur certains auteurs excessifs : immergé dans les 463 pages des "Légendes" de Martin Winckler, incluant index, remerciements (et merci, Marc, de m'y remercier, mais de quoi?!), et ... une navigation hypertexte, j'en témoigne -
on a eu peur autrefois que l'hypertexte fasse concurrence au livre et l'affaiblisse, et voilà que le livre, dans le grand appétit de Winckler, le ré-avale... vous verrez, c'est assez incroyable
d'ailleurs c'est comme cela que je le lis, naviguant de Pithiviers à Bloomington, via Tourmens - le livre est déjà dans les kiosques de gare et dans les hypermarchés, c'est juste là que je tique : envie d'aller mettre une étiquette "attention danger"... le comble de Winckler : nous proposer en fin de chaque chapitre des "liens" qui ne peuvent renvoyer qu'au monde réel ("les camps d'internement du Loiret, 1942" ou bien "Les Indes Noires et Michel Strogoff, Jules Vernes") ou à un travail intérieur personnel ("cigarettes dans le tiroir, noms prénoms diminutifs, histoires de famille"), mais en tout cas hors du livre -
un livre enfin pour lequel le seul qualificatif qui me vient, en ces temps de manque, est celui de POLITIQUE - le contraire de la "Maladie de Sachs", qu'on avalait : un livre à laisser sur sa table, prendre par petites touches, faire durer -
<http://www.pol-editeur.fr/catalogue/fichelivre.asp?Clef=5646>

POL / 4 - mais publie quand même
j'ai été particulièrement sensible, dans les sorties POL de ce mois de mars, à "Gagmen", de Frédéric Boyer, un chant autobiographique - mélopée tenace, presque dissonante - où le personnage du père est vu à travers une réflexion (presque au sens optique) sur Charlie Chaplin - Frédéric Boyer, qui a piloté le projet "Bible 21" chez Bayard (vendu à 130 000 exemplaires depuis octobre), qu'ouvre sa propre traduction de Genèse, reprend ce fil très risqué et ténu qui fait lien entre ses livres - extrait de la présentation de l'ouvrage par Frédéric :
Personne ne verrait la ressemblance. Elle n’existe pas. Mon père n’a probablement rien de Charlot. Mais j’ai toujours cherché à ne pas connaître mon père, à me le rendre mystérieux et drôle. Nous n’avons jamais parlé tous les deux. Ce qu’on appelle parler entre un père et un fils. C’est la raison pour laquelle très vite, si tôt, je l’ai identifié à ce personnage du cinéma muet. Le gagman – cet aventurier solitaire et fraternel qui ne s’arrête jamais, qui occupe toutes les places et les abandonne toutes. A la fois suspect et innocent. J’ai relu toute notre histoire de petite classe moyenne avec les catégories de cet événement, la mort du cinéma muet. Avec les significations spirituelles et politiques du gag cinématographique.
<http://www.pol-editeur.fr/catalogue/ficheauteur.asp?num=32>

POL / 5 - et nous dérange (pour le moins)
j'aimerais aussi, dans les prochaines semaines, qu'on puisse enfin aborder sur le fond le changement de perspective esthétique induit par Olivier Cadiot, et comment son "Retour définitif et durable de l'être aimé", en déplaçant nos modes mêmes de lecture, faisant des cinétiques le premier lien au livre, infléchit ce qui était déjà la marque de "Futur, ancien, fugitif" - nombreux sont les universitaires à lire ce bulletin : j'espère que vous entendrez l'appel! le livre d'Olivier déstabilise et dérange parce que son matériau c'est la logique de narration elle-même, position antagonique de "Anachronisme" de Christophe Tarkos paru l'an dernier, à-plats de matière monde venant solidifier sous la lecture et lui interdire toute distance narrative qui nous protégerait (tiens, c'était aussi chez POL) -
à lire sur site POL : entretien Cadiot avec Nelly Kapriélan (les Inrockuptibles)
<http://www.pol-editeur.fr/alaune/main.asp#a24> pour l'entretien Cadiot
<http://www.pol-editeur.fr/catalogue/fichelivre.asp?Clef=5583> pour Anachronisme de Tarkos

POL / 6 - pourtant on lit quand même
POL propose ce mois-ci un livre qui me semble à tous points de vue important, "Les mille raisons du rêve et de la terreur" de l'écrivain Atik Rahimi - une langue magnifique, et un projet basé sur l'image, l'onirisme - voici sa biographie, telle que résumée sur le site POL:
Atiq Rahimi est né en 1962 Kaboul (Afghanistan), il vit et travaille aujourd'hui à Paris. Il a fait ses études au lycée franco-afghan Estiqlal de Kaboul puis à l'université (section littérature). En 1984, il quitte l'Afghanistan pour le Pakistan à cause de la guerre, puis demande et obtient l'asile politique en France où il passe un doctorat de communication audiovisuelle à la Sorbonne. Il réalise actuellement des films documentaires.
Il écrit en persan, et pour faire connaissance, je vous propose de lire l'entretien ci-dessous, pris sur un site canadien, à propos de son précédent livre (oui, chez POL, bien sûr) : "Terre et cendres".
<http://www.pol-editeur.fr/catalogue/ficheauteur.asp?num=5637>

avant de vous laisser lire Atiq Rahimi, je tenais à redire que, si effectivement je signe personnellement ce bulletin-ci, ce que vous transmet remue.net résulte d'un travail d'équipe, animé par un collectif de travail ouvert à vos critiques et suggestions - d'autre part, que remue.net association a justement pour but de souder et approfondir ce travail collectif, et qu'il a besoin de soutien -
François Bon

PS : j'ai fait suivre hier soir un message émanant d'écrivains palestiniens, qui m'a valu aujourd'hui de nombreuses réactions, exprimées avec densité - je reste convaincu que remue.net doit plus que jamais veiller à rester un site exclusivement littérature - cela n'empêche évidemment pas nos prises de position citoyennes - mais s'il m'a semblé important de transmettre ce message, et vos réactions m'en confirment le bien fondé, je ne crois pas que remue.net soit le lieu approprié pour ce débat -
voici, pour le saluer à Ramallah en guerre, et puisqu'il était en tête des signataires de cet appel, deux aphorismes de Mahmoud Darwich
« Souviens-toi de moi avant que je n'oublie mes mains. »
« Heureux celui qui peut faire avorter le feu dans la foudre »
(voir ici : <http://www.maulpoix.net/darwich.htm>)

Atiq Rahimi: Silences et blessures
source de l'entretien :
<http://www.librairiepantoute.com/magazine/rencontres/rahimi.asp>
Bien malgré lui, l'écrivain d'origine afghane Atiq Rahimi s'est retrouvé projeté à l'avant-plan de l'actualité à la suite des événements du 11 septembre 2001. Appelé à commenter l'actualité sur tous les podiums, les médias en ont presque oublié son magnifique livre, Terre et cendres. En quelques pages, Rahimi nous fait réfléchir sur les horreurs de la guerre (dans ce cas, le conflit entre la Russie et l'Afghanistan) et sur ses effets sur la population. Nous l'avons rencontré lors de son passage au Salon du livre de Montréal.
Propos recueillis par Antoine Tanguay
Au moment d'écrire Terre et cendres, de la période de sa naissance à celle de sa publication, l'Afghanistan était un pays profondément blessé, et malheureusement oublié du reste de la planète. À cette époque, sentiez-vous que ce pays pouvait renaître, ou du moins, être en mesure de cicatriser ses blessures?
J'ai écrit ce livre en 1997, au moment où les talibans ont pris le pouvoir. Je l'ai écrit justement parce qu'à ce moment-là, le monde entier était devenu silencieux face à l'Afghanistan. Nous étions tombés dans une autre guerre : d'abord dans une guerre civile, puis dans une guerre contre les talibans. La violence que ces derniers imposaient aux femmes et aux Afghans m'a incité à chercher la raison de ce conflit et, en même temps, à constater ce qui se passait. Nous, les Afghans, on n'a pas eu le temps, après dix ans de guerre contre les Russes et dix millions de morts, de faire le deuil. Personnellement, j'ai perdu mon père dans cette guerre. À l'époque, je n'ai pas fait le deuil; j'habitais la France et c'est seulement deux ans après son décès que j'ai appris qu'il était mort. Pour moi, écrire Terre et cendres était donc une sorte de réflexion sur la guerre et la souffrance. Je ne dirai pas que je l'ai écrit dans le but de faire parler les Occidentaux sur l'Afghanistan et tout ça, non. Je ne crois pas à ces missions; je crois que l'acte d'écriture est un acte très intime. En écrivant mon roman, je ne pensais même pas le publier un jour. Tout simplement, je l'ai écrit pour chercher au fond de moi-même ce qu'était la souffrance pendant la guerre.

Trouver les mots exacts pour aborder la question de la mort représente une des principales difficultés rencontrées par le grand père dans Terre et cendres.
Oui, mais le deuil, c'est quoi? Le deuil, c'est parler de la mort, c'est l'assumer. Le deuil ne peut se réaliser qu'à travers des mots, des larmes, de l'apaisement et du partage. Voilà, pour moi, ce qu'est le deuil. C'est un travail de mots, la recherche des mots qui expriment la souffrance.

Le seul survivant du village décimé est un jeune enfant devenu sourd à cause du bruit des bombes qui ont anéanti son village. Alors que son grand-père le ramène à son père, le garçonnet s'interroge à savoir pourquoi il est toujours en vie alors qu'il a encore sa voix. Particulièrement bouleversant, ce passage suscite un grand questionnement à propos de l'interprétation que l'on peut donner à cette " voix " et à cette " vie "…
Dans Terre et cendres, j'ai parlé de trois générations par le biais de trois personnages : le grand-père ou le vieillard, qui représente le passé de l'Afghanistan, avec ses traditions et ses codes d'honneur; le père, qui travaille à la mine de charbon et représente le présent, la génération trahie par le communisme; et finalement, l'enfant sourd, qui représente l'avenir, qui ne sait pas pourquoi le monde est devenu muet car, à cet âge-là, on ne sait pas ce qu'est la surdité. Il n'a pas l'impression de ne pas entendre, il croit que c'est le monde qui a perdu sa voix. Il a perdu l'ouïe lors des bombardements. Pour lui, la guerre est là pour prendre la voix des autres. Cette " non-communication " est manifeste entre le vieillard qui ne partagera jamais le deuil avec son propre fils. Il ne lui reste son petit-fils, mais il est sourd. Que lui reste-t-il alors, sinon lui-même pour exprimer ce déchirement intérieur? C'est pourquoi j'ai écrit ce personnage à la deuxième personne. Je le tutoie pour que le lecteur ait l'impression que c'est le personnage lui-même qui se tutoie. Tout simplement pour montrer cette déchirure qui nous condamne à parler avec soi-même. Voilà pourquoi je dis que souvent, on n'a pas pu partager le deuil.

"La loi de la guerre est la loi du sacrifice. Ou le sang est sur ta gorge, ou le sang est sur tes mains." Une autre phrase extraordinairement forte de votre livre qui signifie peut-être que, en regard des dix années de souffrance causée par la guerre contre les Soviétiques et non en regard avec les événements récents, on a oublié les horreurs et les souffrances qu'ont subies dans le passé les Afghans.
Je crois qu'il existe un système de guerre, une machine très compliquée à cause de conflits géopolitiques, psychologiques et sociaux. Il n'y a pas d'un côté, les bons, et de l'autre, les méchants. En période de guerre, tout le monde devient un méchant. Il n'y a pas de héros, que je considère eux aussi comme des méchants : il n'y a que des victimes. Pensons à des mythes fondateurs universels, par exemple à Abraham qui devait sacrifier son fils à Dieu et qui a vu son enfant transformé en bouc. Seulement, pour éviter le meurtre, Abraham devait tuer un bouc. C'est tout dire. À mon avis, dans toutes les religions, pour éviter de tuer on devait sacrifier. C'est pourquoi je dis que ce qui est important dans la guerre et le sacrifice, c'est l'acte de sacrifice en lui-même, et non les causes et les conséquences du geste. Lorsqu'on est en pleine guerre, que l'on est en situation de vengeance, on ne sait plus ce que l'on fait, on sait seulement qu'on fait la guerre. Aujourd'hui, on voit malheureusement ce que ça donne en Afghanistan : on tue ou on est tué. Voilà la loi de la guerre.

Terre et cendres accorde beaucoup d'importance aux rêves et aux racines de la tradition orale. Vous êtes fasciné par cela?
Oui, absolument. Notre culture est avant tout orale. Lorsque j'était tout petit et que je voyageais dans les provinces afghanes avec mon père - qui était gouverneur dans plusieurs villes - j'observais les vieux conteurs qui venaient dans les villages. Ils étaient analphabètes mais connaissaient par cœur les grands mythes fondateurs de l'empire perse et de notre littérature. J'ai un rapport très nostalgique avec la tradition orale. Dans mon roman, j'ai voulu réinterpréter les mythes et voir si vraiment on peut trouver les racines de notre violence dans notre passé, notre culture, notre civilisation. Peut-être est-ce parce que j'adore Carl Gustav Jung, mais je pense qu'éventuellement il existe une conscience collective, un archétype chez chaque peuple et dans toute l'humanité car tous les mythes fondateurs de la création se ressemblent dans le monde entier.

Votre récit parle des oubliés, ceux qui ont été écartés par le conflit, qui ne sont pas à l'avant-plan. Si l'on place le roman dans le contexte de la guerre en Afghanistan, votre roman ne peut-il pas ressembler à un plaidoyer pour l'humain avec un grand H?
Je ne voulais pas écrire un livre pour montrer la guerre, un héros quelconque ou le mythe des Afghans guerriers. Je voulais démontrer ce qu'était qu'entrer à l'intérieur d'un homme en temps de guerre. Comment on souffre? Qu'est-ce qu'on perd? À mon avis, autant on entre à l'intérieur de l'homme, autant on devient poète et le discours poétique, universel.

au 9 avril 2002, le bulletin remue.net est transmis à 718 abonnés

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