Dominique Dussidour / petits récits
de penser, 2 formuler sa grammaire |
|
|
retour remue.net
|
retour pages Dominique Dussidour sur remue.net | ||
FORMULER
SA GRAMMAIRE
1. J’écris à partir de quelque chose en moi de grammaticalement inapaisable. 2. Mon existence entretient avec les circonstances des relations, encore
incertaines, que j’ai commencé à formuler à
la mort de mon père. Auparavant je devais faire un effort pour
me rappeler qu’il y a un rapport entre, par exemple, médicament
antalgique et disparition de la migraine. Après des heures passées
dans l’obscurité et l’insonorité, ce geste (dissoudre
un comprimé dans un verre d’eau et le boire) remportait une
victoire sur l’incohérence ordinaire du monde dont j’observais
les éléments vaquer ici et là, détachés
les uns des autres, détachés de moi. De même pour
: 3. Venons-en au fait grammatical. 4. Je n’ai plus rien pensé jusqu’à ce que,
renversant l’enchaînement, je formule assez tard (il y a peu)
: « Je suis morte parce que mon père est mort », une
proposition principale suivie de la proposition d’une circonstance,
cause en l’occurrence. Je viens de trancher à vif dans le
maillage serré de la douleur, c’est la première fois
que je m’aventure aussi loin dans sa construction syntaxique. 5. L’ivresse grammaticale s’empare de ma bouche et je formule
la phrase suivante : « Mon père ne mourra plus puisqu’il
est mort », à nouveau une proposition principale suivie d’une
cause, la cause désirant toutefois justifier (à rebours)
l’antécédente. 6. Le dictionnaire Le Robert définit le mot Causalité comme le rapport de la cause à l’effet qu’elle produit. L’antalgique, la disparition de la migraine ; la fenêtre ouverte, l’air frais. Ca, d’accord. Je l’admets, quelquefois l’anticipe. Il définit ensuite le Principe ou loi de causalité dans ces termes : Axiome en vertu duquel tout phénomène a une cause (j’en doute, certaines réponses ne succédant à aucune question), avec un renvoi à Déterminisme. Que lit-on à ce mot ? 1) Ordre des faits suivant lequel les conditions d’existence d’un phénomène sont déterminées, fixées absolument de telle façon que, ces conditions étant posées, le phénomène ne peut pas ne pas se produire. Le déterminisme, fondement de l’induction. On évoque ici, je suppose, les phénomènes scientifiques tels que la loi de gravitation. 2) Doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements, et en particulier les actions humaines, sont liés et déterminés par la totalité des événements antérieurs. À cela, je ne suis pas non plus certaine de souscrire. L’efficacité des antalgiques est-elle la cause de la mort de mon père ? 7. « Il faut beaucoup de patience pour retrouver le texte dans tout cet enchevêtrement. Seule y mène une analyse grammaticale du printemps, de ses phrases et de ses périodes : qui ? que ? quoi ? Il s’agit d’éliminer le papotage confus des oiseaux, leurs adverbes et prénoms aigus, leurs pronoms personnels faciles à effaroucher, pour dégager petit à petit la graine du sens. » (Bruno Schulz, « Le printemps ».) 8. Cependant une nouvelle série de questions apparaît :
la proposition de mon père (vie et mort) a-t-elle créé
ou révélé la causalité ? Autrement dit : ai-je
vécu hors sa vie sans que j’en sache rien ? Existe-t-il une
autre circonstance que sa vie (et mort) selon quoi j’ai été
en vie (et en mort) ? 9. La mort de mon père a ouvert la boîte noire des circonstances. (J’avais écrit précédemment « la boîte de Pandore » mais toutes les circonstances ne sont pas des plaies.) 10. L’irréversibilité, au même titre que les antonymes indéterminisme, hasard, liberté - fleurs naïves des rhétoriques tacites -, appartient-elle à la causalité ou à la temporalité ? Dominique Dussidour, |