Dominique Dussidour / Cette chose impossible à vivre...

 

retour remue.net

 


Dominique Dussidour, photo Philippe De Jonckheere

Dominique Dussidour vit à Paris. Elle a publié chez Zulma et au Rocher. Elle a aussi traduit "L'étreinte du soldat" de Nadine Gordimer chez Christian Bourgois, en collaboration avec Julie Damour, et collaboré avec Colette Deblé pour le "Journal de Constance" (1997). Elle est membre du comité de remue.net et assure le secrétariat de rédaction de sa revue en ligne.

Dominique Dussidour sur remue.net

petits récits de penser
1: un journal d'écriture
2: formuler sa grammaire
traverser la forêt des romanesques contraintes

fictions
Ta mort est l'assassin de mon coeur (Les Couteaux offerts)
août 2002 : Maï Mam, Honey Money

autres liens Dominique Dussidour
Dominique Dussidour est aussi sur Inventaire/Invention
bio/biblio et extraits sur site des éditions Zulma

principales contributions de Dominique Dussidour sur remue.net
dossier Réza Barahéni
étude sur Pierre Guyotat (oct 2003)
à propos de Caroline Sagot-Duvauroux (dec 2003)

les deux lithographies de Colette Deblé insérées ci-dessous en hommage à une artiste dont on respecte profondément l'engagement constamment aux franges de l'écriture

e-mail / courrier pour Dominique Dussidour

Dominique Dussidour / "Cette chose impossible à vivre..."

 

cette chose impossible à vivre
qui ne trouve pas, en dedans de soi-même, où se poser
qui ne trouve pas, dedans, de lieu où se contenir quoi ? la mort

quoi ? le théâtre - le théâtre et la mort ont partie liée dans la question de la représentation du corps, qu’il soit en mort ou mis en scène constituant les deux faces d’une pièce de monnaie qu’un beau jour jette côté cour ou côté jardin en souhaitant qu’elle touche au ciel et ne retombe pas mais elle retombe, et s’engouffre dans le trou du souffleur qui sait le texte parce qu’il le lit et il le souffle, le texte écrit dans le tunnel, pas plus proche que la cour du ciel, pas plus proche que le trou du jardin mais impossible à atteindre ni à esquiver c’est certain, ce n’est pas moi qui dirai le contraire, qui ne sais m’orienter vers le contraire du contraire, c’est-à-dire l’avers, le recto qui halète, qui crie et s’effraie de ses cris, qui chamboule le va-tout, qui ne saura jamais répéter le texte, ce que vous voulez qu’on dit, de la pièce, de cette scène, des leurres tranquilles, temps et durées, cadres secs où on se dissimule en attendant au mieux ce qu’on ignorait avoir à vivre, ce transpercement qui délimite sa trajectoire en l’éliminant, en l’évidant, le creusant, le faillant, assis en attendant au mieux, ou debout, peu importent les positions du corps-semblant, fixant les initiales dorées, les ânonnant puisqu’il est entendu que vous ne déchiffrez plus, ni votre nom, que votre nom vous a été, effacé n’est pas le mot exact, quelque chose comme dérobé à vous, plus solide que le sol, de vous soustrait, aboli de votre identité par la défausse, un faux nez de carton ou une moumoute en papier, posée de travers depuis, qui glisse, dérape sur la surface lisse d’un crâne où il aurait fallu la clouer

, l’encoller, geste peu imaginable, sans appréhension prospective, exigeant presque un demi-siècle de latence, l’inconnue quoi, penchée au bord du gouffre du nom, au bord du théâtre de la mort, à voir avec le corps disais-je, pas seulement, à voir avec le nom dans sa disparition, son extinction mais une expérience, je sais désormais ce qu’est une expérience, je croyais le savoir, je ne le savais pas, je le croyais je me croyais savante en ciels et en trous, pas du tout je ne l’étais pas mais je vous propose de l’être après l’expérience de la dévasion progressive du nom, l’expérience de cette disparition, le nom saisi seulement quand il disparaît, seulement parce qu’il disparaît, pas s’éteint, pas s’épuise, disparaît exactement, quelqu’un, d’ailleurs peut-être quelque chose, mais simplifions, disons quelqu’un, souffle sur votre nom, un dernier souffle d’où vous êtes absente, un dernier souffle qui vous souffle et qui vous étreint, une expérience qu’on devait envisager, oui, quand on n’en connaissait pas le prix, qu’on supposait que paierait au kif kif quelqu’un ou quelque chose et à l’instant où le paie perçoit qu’on est celui-celle qui règle l’addition, c’est-à-dire la disparition, comment on l’ignore, ni quand, pourquoi on, c’est soi, moi, toi, pourtant pas le toi de d’habitude, un autre de toi, un autre comme j’expliquais, découvert dans l’instant de sa soustraction, de son apogée, plus question de s’éterniser sur l’autre que soi, question aujourd’hui de se pencher sur l’autre de toi, une expérience dépourvue de narcissisme, sans apitoiement, sans réflexion ni réflexivité dont jamais compris la différence, pas plus que reflet, as-tu jamais traversé les miroirs autrement que les yeux bandés sur le rien-voir-tout-ignorer, cependant dis que oui, l’affirmes, mais non, tant que considérés comme encore possibles à vivre, la mort et le théâtre, le corps, le nom, ah bien, chapeau les autistes, moi non, rien, goutte, wellou, nothing, point, courte nennie et haut nada, out, penchée au bord du gouffre du nom j’épèle les initiales dorées autrefois tracées au néon sur le cordeau de la scène, désormais incluses dans le texte entre actes et entractes, moi assis, assise ou debout, deboute, ou couché(e) au-dessus du trou, pas pour longtemps tant le souffleur souffle, tant souffle le souffleur qu’à la fin on y tombe, et le corps dans tout ça, sais pas, effondré du dedans, absorbé par le haut nada et la courte nennie, tutélaire maternelle et turlutain paternel, on en rira quand on n’en sanglotera plus

mais la ressource paraît inépuisable, le temps passant les ressources se ressourcent, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé, tu parles, foutaises, grands mots de la belle fouterie ont rien vu, rien entendu, bien parlu c’est tut-tut, peut-être de ces choses sans secours qui attendent dis-tu que nous les secourions, et encore, suis pas certaine, pas certaine de rien sinon du rien qui m’anime, le temps te chevauche, les heures te cravachent, quelque chose comme ça, une approche lointaine, penchée au bord du gouffre du nom après penchée au bord du gouffre du corps, je ne m’y attendais pas, ou plutôt oui je m’y attendais mais inutile, s’y attendre change rien, s’y attendre toute une vie changera rien car voilà, le gouffre se tord entre le corps et le nom, on peut résumer ainsi l’expérience, du doigt touché le gouffre, jamais touché un corps, jamais arrivé à, jamais touché le nom, jamais arrivé à, malgré tous les paris arrivais pas, non, me bats pas, arrivais pas, me frappe pas, arrivais pas, m’écarte pas, penchée sur le gouffre qui s’enflamme entre le corps et le nom, le lieu où accueillir les impossibles à vivre, scène finale ou scène initiale, la différence est infime, infinie, ce qui est mort ne mourra plus, est sauvé, sain et sauf par la mort, de quelle représentation donne la mort, de quel corps donne le nom, allez savoir, le monde disparaît avant que vous ayez même posé un doigt sur l’orifice par où tout s’échappe, le monde était parfait, le monde parfait s’est troué et on en tombe, le monde était parfait et on en est tombé, parfait, d’accord, qu’ajouter, rien, la scène était suffisamment parfaite pour qu’on renonce à se servir de ses mains sinon pour applaudir et les pieds à décamper, on avait renoncé à, et les jambes à se dresser, on avait renoncé à, abolition graduelle des membres un à un en fonction, un pari redoutable, un parti à prendre, qui sait, sais pas, sais pas si reviendront, parier avant de savoir, sais pas si me reviendront un à un tels ils sont partis, douleurs imprécises, quatre-vingt-trois jours dans la chambre des douleurs, des aphasies du nom, renaissances du phénix soudain activé par le souffleur, brouillage des autodafés du siècle passé, une chambre verte aux bleus coulissants, vérification imposée des mythes, et pari renouvelé vingt siècles plus tard, on se balade dans le temps, plutôt les siècles vous baladent dans leurs poings fermés, on compte en siècles de lumière et quatre-vingt-trois jours sans sortir de la chambre mythique comptent pour une seconde d’obscurité, sortiras sortiras pas, simulation, anéantissement programmé de longue date, corps qui s’étouffe, douleur qui s’étoffe, c’était donc ça, rien que ça, cette histoire pleine de nuits et de rumeurs, cette scène d’ombres et de fureurs, juste ça, cette seconde d’obscurité, cette resucée de la déperdition du nom, inconnu au bataillon, valse des noms et des perditions, nuit de chine nuit caline, perdita tangua brûle pour moi une seconde fois, expérience rendue fallacieuse par l’issue annoncée, phénix pauvret, réchappé, mort ou vivant question encore indécidable bien que décisive pour la suite des événements, patience, patience ô ma douleur tiens-toi recroquevillée et ne dérange pas, l’homme meurt l’homme est mort, jamais vu présenté en un si peu de temps un cataclysme d’une telle ampleur, vous m’en direz tant, j’en tairai si peu, impossible à vivre une seconde, oui dans la seconde, la seconde fois j’ai appris les indécences de l’impuissance, l’homme est une créature imparfaite certes certes, est une créature impuissante certes certes car qui peut rien contre la mort peut rien pour la vie, absurde affaire en définitive que cette conviction qu’on en peut à la vie, alors que non, le haut nada s’éclipse avec la courte nennie, les propres de l’homme sont l’indécence et l’impuissance, sont la mort, sont les théâtres du corps, la faille qui dévoile l’exclusion réciproque du corps et du nom, là où il y a du nom le corps tchao, et vice versa, et vice versus le souffleur omniscient, je ne veux pas, non, je t’en prie mais nennie se taille, s’entaille le souffle, se dévaste le nom, je t’en supplie n’importe quelle seconde d’obscurité mais pas celle-là, justement pas celle-là, tu ne pouvais pas vouloir ça, je ne peux pas l’accepter non je le refuse au nom de toutes les indécences et impuissances de la créature humaine, mais je crois aujourd’hui que l’erreur est là, dans cette croyance dans le temps, la mort est moins une question de temps que d’espace, voilà une manœuvre d’approche habile, d’espace d’accord, entrer dans la mort comme un nouvel espace t’apaise-t-il, parce que si oui d’accord, défaille dans ta faille, dans la faille du nom entamé par la mort, aiguise tes couteaux n’aie crainte, le nom s’entame aisément, se battre contre les moulins à prières du nom et du nom et encore du nom je comprends est une tâche remarquable, admirable, où tu as passé tes forces vives je comprends, mais aujourd’hui il te faut entamer une chair autrement plus remarquable, autrement plus admirable, autrement plus redoutable que celle du nom, la chair paternelle ne se laisse pas aisément circonvenir, elle ne s’entame que de nuit, durant la seconde nuit de son existence, avec circonspection, avec retenue, avec respect, elle qui n’existait pas la mort la révèle, comme elle révèle la chair du nom, le sang qui saigne ne coule plus des épines du nom, on peut en acquérir une certaine autonomie je le reconnais, une certaine légèreté pourquoi pas, mais ne t’emballe pas de cette façon, d’aucune façon qui comble, une douleur parfaite a succédé aux succédanés de l’imparfait, une douleur de bonne compagnie, non malfaisante, une douleur qui te veut du bien, que peut-on te vouloir de meilleur que le bien, le propre de toi, l’intime connaissance de la douleur annonce des perspectives convenables, des arrière-scènes carrossables, des extensions du trou du souffleur qui se sent moins seul avec la scène qu’il faut qu’il dit, voici l’ange déchu et voici la jeune fille qui se promène dans le jardin du texte, la mort est quelle annonciation, souffle souffleur, souffle l’annonciation du trou, la mort est quelle démission, souffle souffleur, souffle la sueur qui perle au front, la représentation a permuté certains circuits, annihilé les passages obligés d’images inefficaces, la mort rend jeunes filles les corps qu’elle engouffre, les opérations de l’annonciation en cours inaugurent des pistes vierges où la mort s’engloutit, se ravale comme un caillou lisse, un crâne veux-je dire, où perché sur le crâne sans nom le souffleur souffle au sommet du mont des morts, où chaque chose révèle son revers, les serres de la jeune fille et les côtes du jardin thoracique, le corps est l’acteur de ce théâtre qu’à son tour le souffleur déserte, texte su, mort nue