Dominique Dussidour / "Cette chose impossible à vivre..."
cette chose
impossible à vivre
qui ne trouve pas, en dedans de soi-même, où se poser
qui ne trouve pas, dedans, de lieu où se contenir quoi ? la
mort
quoi ? le théâtre - le théâtre
et la mort ont partie liée dans la question de la représentation
du corps, quil soit en mort ou mis en scène constituant
les deux faces dune pièce de monnaie quun beau jour
jette côté cour ou côté jardin en souhaitant
quelle touche au ciel et ne retombe pas mais elle retombe, et sengouffre
dans le trou du souffleur qui sait le texte parce quil le lit et
il le souffle, le texte écrit dans le tunnel, pas plus proche
que la cour du ciel, pas plus proche que le trou du jardin mais impossible à atteindre
ni à esquiver cest certain, ce nest pas moi qui dirai
le contraire, qui ne sais morienter vers le contraire du contraire,
cest-à-dire lavers, le recto qui halète, qui
crie et seffraie de ses cris, qui chamboule le va-tout, qui ne
saura jamais répéter le texte, ce que vous voulez quon
dit, de la pièce, de cette scène, des leurres tranquilles,
temps et durées, cadres secs où on se dissimule en attendant
au mieux ce quon ignorait avoir à vivre, ce transpercement
qui délimite sa trajectoire en léliminant, en lévidant,
le creusant, le faillant, assis en attendant au mieux, ou debout, peu
importent les positions du corps-semblant, fixant les initiales dorées,
les ânonnant puisquil est entendu que vous ne déchiffrez
plus, ni votre nom, que votre nom vous a été, effacé nest
pas le mot exact, quelque chose comme dérobé à vous,
plus solide que le sol, de vous soustrait, aboli de votre identité par
la défausse, un faux nez de carton ou une moumoute en papier,
posée de travers depuis, qui glisse, dérape sur la surface
lisse dun crâne où il aurait fallu la clouer
, lencoller,
geste peu imaginable, sans appréhension prospective, exigeant
presque un demi-siècle de latence, linconnue quoi, penchée
au bord du gouffre du nom, au bord du théâtre de la mort, à voir
avec le corps disais-je, pas seulement, à voir avec le nom dans
sa disparition, son extinction mais une expérience, je sais
désormais ce quest une expérience, je croyais le
savoir, je ne le savais pas, je le croyais je me croyais savante en
ciels et en trous, pas du tout je ne létais pas mais je
vous propose de lêtre après lexpérience
de la dévasion progressive du nom, lexpérience
de cette disparition, le nom saisi seulement quand il disparaît,
seulement parce quil disparaît, pas séteint,
pas sépuise, disparaît exactement, quelquun,
dailleurs peut-être quelque chose, mais simplifions, disons
quelquun, souffle sur votre nom, un dernier souffle doù vous êtes
absente, un dernier souffle qui vous souffle et qui vous étreint,
une expérience quon devait envisager, oui, quand on nen
connaissait pas le prix, quon supposait que paierait au kif kif
quelquun ou quelque chose et à linstant où le
paie perçoit quon est celui-celle qui règle laddition,
cest-à-dire la disparition, comment on lignore,
ni quand, pourquoi on, cest soi, moi, toi, pourtant pas le toi
de dhabitude, un autre de toi, un autre comme jexpliquais,
découvert dans linstant de sa soustraction, de son apogée,
plus question de séterniser sur lautre que soi,
question aujourdhui de se pencher sur lautre de toi, une
expérience dépourvue de narcissisme, sans apitoiement,
sans réflexion ni réflexivité dont jamais compris
la différence, pas plus que reflet, as-tu jamais traversé les
miroirs autrement que les yeux bandés sur le rien-voir-tout-ignorer,
cependant dis que oui, laffirmes, mais non, tant que considérés
comme encore possibles à vivre, la mort et le théâtre,
le corps, le nom, ah bien, chapeau les autistes, moi non, rien, goutte,
wellou, nothing, point, courte nennie et haut nada, out, penchée
au bord du gouffre du nom jépèle les initiales
dorées autrefois tracées au néon sur le cordeau
de la scène, désormais incluses dans le texte entre actes
et entractes, moi assis, assise ou debout, deboute, ou couché(e)
au-dessus du trou, pas pour longtemps tant le souffleur souffle, tant
souffle le souffleur quà la fin on y tombe, et le corps
dans tout ça, sais pas, effondré du dedans, absorbé par
le haut nada et la courte nennie, tutélaire maternelle et turlutain
paternel, on en rira quand on nen sanglotera plus
mais la ressource
paraît inépuisable, le temps passant les ressources se
ressourcent, tu ne me chercherais pas si tu ne mavais déjà trouvé,
tu parles, foutaises, grands mots de la belle fouterie ont rien vu,
rien entendu, bien parlu cest tut-tut, peut-être de ces
choses sans secours qui attendent dis-tu que nous les secourions, et
encore, suis pas certaine, pas certaine de rien sinon du rien qui manime,
le temps te chevauche, les heures te cravachent, quelque chose comme ça,
une approche lointaine, penchée au bord du gouffre du nom après
penchée au bord du gouffre du corps, je ne my attendais
pas, ou plutôt oui je my attendais mais inutile, sy
attendre change rien, sy attendre toute une vie changera rien
car voilà, le gouffre se tord entre le corps et le nom, on peut
résumer ainsi lexpérience, du doigt touché le
gouffre, jamais touché un corps, jamais arrivé à,
jamais touché le nom, jamais arrivé à, malgré tous
les paris arrivais pas, non, me bats pas, arrivais pas, me frappe pas,
arrivais pas, mécarte pas, penchée sur le gouffre
qui senflamme entre le corps et le nom, le lieu où accueillir
les impossibles à vivre, scène finale ou scène
initiale, la différence est infime, infinie, ce qui est mort
ne mourra plus, est sauvé, sain et sauf par la mort, de quelle
représentation donne la mort, de quel corps donne le nom, allez
savoir, le monde disparaît avant que vous ayez même posé un
doigt sur lorifice par où tout séchappe,
le monde était parfait, le monde parfait sest troué et
on en tombe, le monde était parfait et on en est tombé,
parfait, daccord, quajouter, rien, la scène était
suffisamment parfaite pour quon renonce à se servir de
ses mains sinon pour applaudir et les pieds à décamper,
on avait renoncé à, et les jambes à se dresser,
on avait renoncé à, abolition graduelle des membres un à un
en fonction, un pari redoutable, un parti à prendre, qui sait,
sais pas, sais pas si reviendront, parier avant de savoir, sais pas
si me reviendront un à un tels ils sont partis, douleurs imprécises,
quatre-vingt-trois jours dans la chambre des douleurs, des aphasies
du nom, renaissances du phénix soudain activé par le
souffleur, brouillage des autodafés du siècle passé,
une chambre verte aux bleus coulissants, vérification imposée
des mythes, et pari renouvelé vingt siècles plus tard,
on se balade dans le temps, plutôt les siècles vous baladent
dans leurs poings fermés, on compte en siècles de lumière
et quatre-vingt-trois jours sans sortir de la chambre mythique comptent
pour une seconde dobscurité, sortiras sortiras pas, simulation,
anéantissement programmé de longue date, corps qui sétouffe,
douleur qui sétoffe, cétait donc ça,
rien que ça, cette histoire pleine de nuits et de rumeurs, cette
scène dombres et de fureurs, juste ça, cette seconde
dobscurité, cette resucée de la déperdition
du nom, inconnu au bataillon, valse des noms et des perditions, nuit
de chine nuit caline, perdita tangua brûle pour moi une seconde
fois, expérience rendue fallacieuse par lissue annoncée,
phénix pauvret, réchappé, mort ou vivant question
encore indécidable bien que décisive pour la suite des événements,
patience, patience ô ma douleur tiens-toi recroquevillée
et ne dérange pas, lhomme meurt lhomme est mort,
jamais vu présenté en un si peu de temps un cataclysme
dune telle ampleur, vous men direz tant, jen tairai
si peu, impossible à vivre une seconde, oui dans la seconde,
la seconde fois jai appris les indécences de limpuissance,
lhomme est une créature imparfaite certes certes, est
une créature impuissante certes certes car qui peut rien contre
la mort peut rien pour la vie, absurde affaire en définitive
que cette conviction quon en peut à la vie, alors que
non, le haut nada séclipse avec la courte nennie, les
propres de lhomme sont lindécence et limpuissance,
sont la mort, sont les théâtres du corps, la faille qui
dévoile lexclusion réciproque du corps et du nom,
là où il y a du nom le corps tchao, et vice versa, et
vice versus le souffleur omniscient, je ne veux pas, non, je ten
prie mais nennie se taille, sentaille le souffle, se dévaste
le nom, je ten supplie nimporte quelle seconde dobscurité mais
pas celle-là, justement pas celle-là, tu ne pouvais pas
vouloir ça, je ne peux pas laccepter non je le refuse
au nom de toutes les indécences et impuissances de la créature
humaine, mais je crois aujourdhui que lerreur est là,
dans cette croyance dans le temps, la mort est moins une question de
temps que despace, voilà une manuvre dapproche
habile, despace daccord, entrer dans la mort comme un nouvel
espace tapaise-t-il, parce que si oui daccord, défaille
dans ta faille, dans la faille du nom entamé par la mort, aiguise
tes couteaux naie crainte, le nom sentame aisément,
se battre contre les moulins à prières du nom et du nom
et encore du nom je comprends est une tâche remarquable, admirable,
où tu as passé tes forces vives je comprends, mais aujourdhui
il te faut entamer une chair autrement plus remarquable, autrement
plus admirable, autrement plus redoutable que celle du nom, la chair
paternelle ne se laisse pas aisément circonvenir, elle ne sentame
que de nuit, durant la seconde nuit de son existence, avec circonspection,
avec retenue, avec respect, elle qui nexistait pas la mort la
révèle, comme elle révèle la chair du nom,
le sang qui saigne ne coule plus des épines du nom, on peut
en acquérir une certaine autonomie je le reconnais, une certaine
légèreté pourquoi pas, mais ne temballe
pas de cette façon, daucune façon qui comble, une
douleur parfaite a succédé aux succédanés
de limparfait, une douleur de bonne compagnie, non malfaisante,
une douleur qui te veut du bien, que peut-on te vouloir de meilleur
que le bien, le propre de toi, lintime connaissance de la douleur
annonce des perspectives convenables, des arrière-scènes
carrossables, des extensions du trou du souffleur qui se sent moins
seul avec la scène quil faut quil dit, voici lange
déchu et voici la jeune fille qui se promène dans le
jardin du texte, la mort est quelle annonciation, souffle souffleur,
souffle lannonciation du trou, la mort est quelle démission,
souffle souffleur, souffle la sueur qui perle au front, la représentation
a permuté certains circuits, annihilé les passages obligés
dimages inefficaces, la mort rend jeunes filles les corps quelle
engouffre, les opérations de lannonciation en cours inaugurent
des pistes vierges où la mort sengloutit, se ravale comme
un caillou lisse, un crâne veux-je dire, où perché sur
le crâne sans nom le souffleur souffle au sommet du mont des
morts, où chaque chose révèle son revers, les
serres de la jeune fille et les côtes du jardin thoracique, le
corps est lacteur de ce théâtre quà son
tour le souffleur déserte, texte su, mort nue |