III.
L’INIMPOSSIBLE POÉTIQUE
Dans cet entretien avec Mona Chollet, Thierry Bedard raconte sa
découverte
de l’œuvre de Réza Barahéni et le travail qu’il
a entrepris pour la scène en collaboration avec lui.
Comment avez-vous
découvert Reza Baraheni ?
A sa sortie, j’ai acheté le premier roman de Baraheni traduit
en français, Les Saisons en enfer du jeune Ayyâz, parce que
je suis très attentif aux littératures arabe et persane,
dans lesquelles j’avais déjà quelques entrées – j’aime
beaucoup Salim Barakat, par exemple. Dans cette littérature, il
y a souvent – pas toujours, mais souvent – quelque chose d’assez épique,
une densité historique, une dimension du monde que je ne retrouve
pas ailleurs. Dans l’œuvre de Baraheni, en tout cas, il y a
une dimension inouïe, dans sa façon de rendre la violence du
monde, la violence de l’être ; c’est presque le monde
comme une hallucination. Il décrit un monde hallucinatoire, halluciné,
et, en même temps, tout à fait réel : on n’est
pas très éloigné de ça. La cruauté qui
est à l’œuvre dans cette œuvre-là, on a l’impression
de vivre avec. C’est probablement lié très directement à sa
puissance poétique. Et je ne suis pas le seul à dire ça,
parce que beaucoup de gens qui entrent dans cette matière du verbe – je
parle toujours d’Ayyâz, parce que ce ne sera pas forcément
pareil après – sont fascinés par cette présence
de la chair, par cette proximité. On est facilement en sueur en
lisant ça ! Et puis c’est une œuvre qui donne très,
très mal à la tête [rires]. Ça tape vraiment
sur le cerveau ! Tout tape sur le cerveau : ce qui est raconté,
la manière de raconter, la matière…
Quand je l’ai lu, j’ai entendu des voix. Les textes de fiction
que je monte, c’est vraiment parce que j’entends des voix !
C’est parce que ça se met à battre, en quelque sorte.
Cela dit, dans le cas d’Ayyâz, le document d’origine
fait 450 pages : j’ai donc travaillé sur une toute petite
partie de l’œuvre – une quarantaine de pages. Et, en même
temps, il y a cette espèce de flot verbal qui fait qu’on est
littéralement happé par toutes ces histoires. J’en
ai encore fait l’expérience récemment avec un atelier
de recherche que j’ai consacré à cette œuvre – comme
par une nécessité de revenir encore dessus… Les acteurs
se sont totalement emparés de cette matière.
On a donc construit ce travail, l’année dernière avec
une première version d’En enfer – il y a eu des versions
différentes, et là, à Avignon, il va y en avoir encore
une nouvelle. C’est comme si je me mettais dans une position musicale
: j’ai déjà travaillé un objet, je l’ai
déjà structuré - ce qui est très difficile à faire
-, et j’ai envie d’en créer une deuxième version,
comme il y a des quatuors à cordes qui jouent la même œuvre,
mais en en donnant des interprétations très éloignées.
C’est pour moi comme une nécessité, et, en même
temps, c’est un luxe inouï de pouvoir se réaffronter à une œuvre
pareille. Et là, j’ai beaucoup de chance, car je retravaille
avec des acteurs très jeunes, et qui semblent avoir déjà un
rapport étonnant avec cette œuvre ; ce qui est très
beau… J’ai reconstitué entièrement une autre équipe,
par goût d’entendre toutes les libertés que chacun peut
avoir avec cette œuvre.
L’envie de retravailler cet objet est aussi très liée
au dispositif scénique. Il s’agit d’une installation… Ou
plutôt, il n’y a pas de terme exact pour le désigner
; c’est du théâtre, mais il y a probablement quelque
chose qui se passe au-delà. Il y a quelque chose d’inhabituel
dans le rapport des spectateurs à ce qui est montré, dans
la position qu’ils occupent et depuis laquelle ils ressentent cette
matière, cette machine verbale.
Les spectateurs ne voient pas
tout...
Non. C’est construit comme des sortes de cellules, avec de mauvaises
couvertures qui peuvent évoquer autant les camps de réfugiés
que des palais merveilleux. On est enfermé dans des tentes de couvertures,
comme dans des tentes de nomades, sauf que ces couvertures ressemblent
plus à celles qu’on voit traîner dans Paris et dans
lesquelles ont dormi quelques SDF. C’est un espace de l’enfermement,
fait de rien du tout, fait de notre imaginaire : on ne peut pas tellement être
enfermé entre des murs de couvertures… Il y a comme ça
plusieurs cellules, plusieurs geôles, avec de mauvais bancs, et les
histoires de Baraheni sont racontées presque comme une chose de
l’intimité, comme un rêve. Et puis, ça va devenir
un effroyable cauchemar. Autour de ces cellules, il y a beaucoup de monde
: littéralement, ça grouille. Avec des événements
que l’on ne voit pas, ou au contraire que l’on a cru voir de
manière fugace, mais qui sont induits par l’imaginaire des
spectateurs : en fait, il ne s’est rien passé, il n’y
a rien eu…
Ayyâz raconte l’histoire du démembrement d’un être,
d’une manière très précise et en même
temps très rêvée, comme si on cherchait à savoir
ce qu’il y avait dans le cerveau fracassé de ce supplicié.
C’est cela qui est dit, entouré de digressions, de questions
autour de ce que l’on voit, de la nature de cette violence : est-elle
aussi la nôtre ? Ce sont des mécanismes qui tournent beaucoup
autour de processus d’identification : qui parle ? Il y a bien
quelqu’un
qui nous raconte cette histoire, mais on ne sait pas qui : un bourreau
? la victime ? le sens commun, comme une sorte de doxa de la barbarie
?... L’ensemble du livre de Reza, les 450 pages d’Ayyâz,
racontent le meurtre de l’être, le meurtre de la pensée,
sur plusieurs millénaires, et on a beaucoup de mal à dater
ce moment qu’il
décrit. On a parfois l’impression d’être descendus
de mille ans en arrière, et, d’autres fois, on sent que ça
fait vraiment partie du XXe siècle...
La citation d’Hermann Broch qui sert souvent d’exergue à votre
travail, et qui évoque le « mutisme du meurtre »,
date d’avant la Seconde guerre mondiale. Ce que veut dire Baraheni,
n’est-ce
pas au fond que cette dégringolade vers la barbarie est impossible à dater,
qu’elle recommence sans cesse, qu’elle a toujours été là ?
C’est la question qu’il pose sans cesse : qu’est-ce
que c’est que ce monde de meurtre ?... Il interroge beaucoup, il
est sans cesse en train de basculer entre le présent et le passé.
Il est très friand à la fois des histoires les plus brutales
de nos civilisations monothéistes, et en même temps de notre
présent, de ce qui se passe aujourd’hui.
Jusque-là,
avec « La Bibliothèque Censurée » ou
les « Éloges de l’analphabétisme », est-ce
que vous n’étiez pas davantage dans une réflexion
sur le savoir, sur le langage ?
Non, nous nous étions déjà confrontés auparavant à la
violence politique, avec le cycle autour de Danilo Kis sur les mécanismes
de l’enfermement, avec l’univers du goulag, et sur l’incroyable
histoire des Protocoles des sages de Sion. La différence, cette
fois, c’est que cette œuvre-là est très rare
: c’est une monstruosité littéraire, en quelque sorte.
L’écriture même de Reza est absolument et totalement « en
ordre » avec ce qu’il raconte. J’ai lu beaucoup de
choses qui traitent de la violence extrême, mais peu ont une langue
aussi violente. Curieusement, les gens qui ont une certaine inimitié littéraire
avec Reza disent qu’il « malmène » la langue
persane : c’est assez drôle… Il faut croire qu’elle
devrait être
malmenée plus souvent ! On a vraiment affaire à un « cas » littéraire – pour
ce livre-là du moins, parce qu’il y a une autre partie de
l’œuvre qui est, non pas plus calme, mais structurée
tout à fait autrement, avec quelque chose de plus amusé,
de plus doux, de plus stylé…
Et comment s’est passée
la rencontre avec lui ?
On a d’abord eu des contacts par mails – une correspondance
très légère. Il nous disait qu’il avait confiance,
qu’il était très heureux que quelqu’un s’empare
de cette œuvre – et très fier que ce soient des Français
! On a créé la première partie du spectacle à la
Scène nationale d’Annecy, puis la suite à La Filature à Mulhouse.
Lui, il l’a vu à la Ferme du Buisson, près de Paris.
Il a été très surpris de la forme… La rencontre
a été immédiate – de ma part elle a été un
peu alcoolisée, le soir même… C’est un homme d’une
incroyable générosité. Le fait de rencontrer des jeunes
gens aussi engagés, aussi acharnés sur cette œuvre qu’il
sait très difficile, l’a changé des débats politiques
et littéraires auxquels il participe par ailleurs. Ensuite, on n’a
plus arrêté de correspondre. Et on lui a donc commandé cette « chose » un
peu étrange, qui n’a pas de nom, mais qu’on a fini par
intituler « leçon de poétique ». Ce n’est
pas une rencontre avec un auteur, ce n’est pas une conférence,
ce n’est pas un spectacle, ce n’est pas une performance… On
l’a retourné dans tous les sens. En fait, il s’agissait
de chercher des intitulés au rapport qu’on entretenait avec
lui. Il était certain que ça avait un lien avec sa poétique
: c’est de la Poétique au sens le plus noble du terme, comme
il peut y avoir de la Politique au sens le plus noble du terme. La pensée
du monde de Reza est bien de l’ordre de la Poétique – au
cas où on aurait oublié que ça puisse exister, d’avoir
un état sensible aussi extrême à l’état
du monde… Ensuite, que ça devienne des leçons… Eh
bien, pour moi, il me donne des leçons, c’est évident.
Le terme était peut-être un peu fort, mais, en même
temps, c’était le terme juste. Joyce a fait des leçons
de poétique qui sont aussi de vraies leçons sur le monde.
Par ailleurs, j’ai déjà monté une autre leçon
de poétique : celle de Joseph Brodsky sur Wystan H. Auden ; et c’est
une vraie leçon, puisque Brodsky décrypte, vers après
vers, un poème d’Auden, et qu’en même temps, il
nous donne à voir l’état d’observation poétique
que Auden a sur l’état du monde (à l’automne
39, très précisément). Il s’y ajoute sa propre
poétique, celle de Brodsky lui-même, qui s’immisce dans
cette pensée – bien que ce soient deux poètes très,
très différents…
Cette commande qu’on lui a faite est donc venue assez vite. On était
très fascinés par la singularité de son regard sur
le monde – même si on a le sentiment que ce terme de « pensée
singulière » est en train de s’user un peu, et que c’est
de moins en moins singulier de parler de singularité ! –,
et aussi par ces histoires qui sont d’une telle étrangeté,
et qu’on n’imaginerait jamais venir du monde occidental… Disons
qu’on avait, nous, des questions à lui poser. Et, en plus,
il n’y avait pas d’autre œuvre traduite ! Shéhérazade
et son romancier (2e éd.), un autre roman traduit, est arrivé pendant
qu’on travaillait. On avait envie de tout savoir, d’être
vraiment au cœur même de l’œuvre. C’était
: « Racontez-nous le monde, racontez-nous votre monde… Racontez-nous
vos figures, vos personnages. » Ce qu’il y a de curieux, avec
Reza, c’est que les figures récurrentes qu’il manipule
dans son œuvre ne relèvent ni de la métaphore, ni de
l’allégorie, ni du symbolique… On n’arrive pas
bien à savoir où ça se passe, ce truc. Il faudrait
vraiment faire une analyse très savante pour parvenir à le
dire, et aucun critique ne l’a encore tenté. Quand il reconstruit
la figure de Shéhérazade, ça ne ressemble pas du tout à ce
qu’on peut savoir de Shéhérazade ! Et pourtant, Dieu
sait qu’il existe une littérature lourde, voire lourdingue,
sur Shéhérazade…
On a alors décidé qu’on ferait trois leçons
de poétique – et surtout, que c’est lui-même
qui les donnerait. Je crois même que c’est ça qui
l’a
décidé ! Ce n’était pas du tout prévu,
parce qu’il vit à Toronto, après tout, et qu’on
n’avait pas du tout imaginé qu’il aurait une telle
disponibilité pour
travailler et raconter les leçons avec nous. Je suppose que c’est
parce qu’on lui a posé de bonnes questions au bon moment… Et
qu’il a quand même assez envie de s’amuser, au sens
le plus doux du terme, avec beaucoup de malice… Et puis, peut-être
aussi qu’il souffre d’une certaine solitude – une solitude
artistique, plus que la solitude de l’exil. Enfin, il a un goût
et un penchant extraordinaires pour parler et raconter des histoires…
Mais
il ne parle pas françai ?
Non, il le lit, seulement. On communique en anglais, ce qui est un peu
difficile pour moi parce que je ne parle pas anglais [rires]. Mais parfois,
je me dis que c’est probablement pour ça que des choses sont
encore possibles entre nous, autant dans les embrouilles que dans le reste… Comme
des malentendus féconds… Pour Avignon, on a donc mis en place
un dispositif de traduction extrêmement savant, pour trouver la bonne « voix » publique. Ça
ne pouvait pas être une conférence ou une rencontre, parce
qu’on ne pouvait pas se contenter de faire une traduction simultanée
d’un bavardage de Reza Baraheni. Ça n’aurait eu aucun
sens.
Reza raconte des histoires assez folles, assez violentes quelquefois,
et l’émotion n’est jamais très loin de l’intelligence
: lui-même est sans arrêt entre l’intuitif et le réflexif.
Il explicite assez vite des pensées complexes, il en fait des histoires.
Il a une pensée ouverte, où les référents du
XXe siècle se cognent aux anciennes pensées qui ont fondé une
partie du soufisme, ou aux trois monothéismes – et ce, avec
pas mal de brutalité. Mais, en même temps, tout ce qui l’intéresse,
c’est toujours avant. Sans arrêt il y revient, il se demande
par exemple à quoi pourrait ressembler une pensée pré-adamique… Et
nous : « La pensée pré-adamique, mais enfin, Reza,
c’est n’importe quoi ! » Mais ça veut dire : la
pensée avant qu’elle ne soit inscrite… Et il cherche
! Parfois, il a presque un fonctionnement d’anthropologue. Il va
réinventer des mondes… Il adore aller chercher dans la racine
des mots, comparer les langues… La Bible, le Coran, c’est comme
si c’était sa propre chair, son propre corps. Il y est complètement
investi, et ce qu’il découvre, ça le change lui-même.
On a donc continué à se raconter des histoires. On a travaillé cet
automne à Toronto, en y passant des heures et des heures et des
heures… On est partis de cette figure démembrée dans
Ayyâz, qui dit « je suis la vérité »… Est
alors arrivée l’idée de construire ce qu’on a
appelé la « poétique du démembrement » – ce
qui peut surprendre, évidemment… ! Mais quand Reza utilise
le concept de démembrement, c’est comme quand Barthes utilise
celui de fragment. Ce sont des histoires de démembrement des êtres,
des corps, mais aussi des mots, de la langue, ou de démembrement
d’un pays… Il a aussi inventé un terme amusant, mais
quand même assez inexplicable [rires], qui est l’« inimpossible ».
Dans Shéhérazade et son romancier (2e éd.), il y a
un petit personnage qui souffre comme un damné, parce qu’il
est battu, nié, réduit à l’état de sous-homme,
de merde, bref, qui fait l’objet d’une cruauté quasiment
obscène, et qui répète sans cesse : « Mais c’est
inimpossible, c’est inimpossible ce qui m’arrive !... » C’est
un endroit où, d’un seul coup, ce terme, qui est assez conceptuel
quand Reza l’utilise, devient presque de l’ordre de la plainte,
pour dire : « Je ne comprends plus, parce que ce que je vis là,
c’est au-delà du réel, c’est un cauchemar, et
pourtant, c’est bien le présent… » On est donc
allés jusqu’au bout de nos bêtises, et c’est devenu
: « l’inimpossible poétique du démembrement ».
Et on va expliquer, dans nos leçons de poétique, qu’est-ce
qui est inimpossible… !
En fait, on a en commun avec Reza un même regard amusé sur
une certaine intellectualité du littéraire : il y a quelque
chose d’assez moqueur dans tout ça. Cet automne, je m’inquiétais
de la difficulté de notre entreprise, parce qu’on en était
arrivés à réexpliquer Nietzsche à la lumière
de Shams de Tabriz, enfin, bref. Je lui disais : « On ne s’en
sortira jamais », et lui me répondait : « Mais non,
ne t’inquiète pas ! Moi, je peux raconter ça à des
enfants ! » Mais, dans les faits, il vaut mieux ne pas amener les
enfants. Parce que c’est quand même assez violent.
(Notoire ©)
Fragments de QesKes 1/2/3/, l’impossible poétique
du démembrement
texte de Réza Barahéni commandé et
mis en scène
par Thierry Bedard
Zabâniyat est un néologisme que Réza Barahéni
a inventé en persan : « J’ai fait un sort à trois
vocables de la langue persane qui s’écrivent pratiquement
de la même manière, dit-il. Il s’agit des mots Zaban/le
langage, Roman/le roman et Zaman/le temps… et que l’on peut
traduire par : la langag-ia-lité (…) qui passe au premier
plan de différentes façons. La première c’est
qu’on se rend compte ici qu’un langage qui a l’apparence
d’un vrai langage peut avoir été complètement
vidé de sons sens… La deuxième, c’est que le
langage pour être un langage n’a pas besoin du sens… Ce
texte qui n’est pas un texte poétique, n’a pas de sens,
ce qui le rend inquiétant et redoutable. Par ailleurs, en dépit
de son absence de sens, on ne devrait pas pouvoir écrire un texte
pareil. Troisièmement, comme ce langage dépend de la respiration,
il ne peut être parlé que tant qu’il y a du souffle.
Quatrièmement, c’est l’expression la plus proche de
ce que je nomme l’inimpossible du langage. C’est un langage
où tout ce qui est de l’ordre de la métaphysique a été supprimé. »
Du QesKes 1, il dit ceci :
«
Je suis un être très compliqué et pourtant, en dépit
de cette complexité, j’accède parfois en moi à une
zone de transparence ; c’est comme si je tenais mon cerveau face à un
miroir et que j’étais en train de l’examiner ; dans le même
temps, à la faveur de cette contemplation, je tiens à donner à voir
mon cerveau et le miroir à un groupe plus nombreux ; j’entends
les exhorter à scruter leurs propres cerveaux mis à nu, et à changer
; tout le monde doit changer, tu sais, il faut que les gens ne restent pas
comme ils sont, il faut qu’ils deviennent autres. Tout le monde doit
changer. »
Voici un extrait de « Si tu veux savoir quel est mon
nom » :
.gogogogogotohindsite.go
.theothersiteblackeyeswhiteskin.puresight.preadam.pregod.preeve.go
.preback.beforetheriseofhisparadisehisedenhishell.hisordertodepart.go
.beforeidentitycard.go.go.go.impassport.godeclinereclinefromafrica.up.go
.arrivinginasiaturnleftturnright.gobackarrivinginindia.china.japan.siberia
.go.shameonshamans.go.alongwithshamanka.nonstop….…goback.gothen
.savesavesavesaveamilliontimessave.gotothebigbangoflillilayllaylalaylilith
.nonstop.dot………athousandandonenonstop.go
.gosave.my.my.my.thebrokennonbrokenfictionmother&wifetogodandadam
.goback.whenitellthethethethebeginningthemiddletheendofthe
.gothousandandonenightsI.saveathousandandonelillith.layli.lil.stop
.ifyouwanttoknowwhatmynameismynameisis.go.givebirthtodiodeotheodaeva
et
les derniers mots conclusifs du QesKes 1 :
«
(…) Les racines de l’écriture fragmentée sont
diverses. On les trouve dans le langage de la mère et de l’enfant,
un langage d’ amour qui n’est pas constitué de phrases
entières,
mais de phrases fragmentées. Plus tard, la phrase viendra prendre
la place de ces fragments de nature amoureuse, généralement
incompréhensibles.
Le langage des rêves est lui aussi fragmenté. Ce n’est
qu’au
réveil que la logique de la phrase et du récit reprennent
leur place. Le langage de l’amour - au sens charnel – il ne
s’agit
pas ici du langage amoureux – il s’agit du langage de la chair,
ce langage est lui aussi fragmenté. Le langage de la torture, que
ce soit celui du tortionnaire ou celui de sa victime, est fragmenté.
Le langage du questionnement intérieur est extrêmement fragmenté,
mais quand ce questionnement est mis sur le papier, il redevient phrasé.
Le langage du délire, le langage des coups, le langage du plaisir
artistique, le langage de la mort et celui du deuil sont fragmentés.
Cela ne veut pas dire que chacun des mots qu’on emploie dans ces
circonstances les plus sensibles de l’existence n’ait pas de
sens. Non. Mais, l’élément
dominant de ce qui s’exprime à ce moment là est l’absence
de sens. Celui qui entend ou celui qui lit est interdit par cette expression.
Il se trouve dans un endroit impossible, il rentre dans l’inimpossible,
dans le ZABâNIYAT, l’endroit de l’absence de sens. »
Thierry
Bedard ajoute :
«
Réza Barahéni en a fait l’expérience quand
on l’a
forcé à parler une autre langue, quand il a été torturé,
quand il a été confronté à un simulacre d’exécution,
quand il a fait des rêves et des cauchemars, quand il a fait l’amour,
quand il s’est fait battre. Son idée a été alors
de transformer ces expériences du démembrement dans le
plaisir artistique d’une écriture fragmentée. (...)
L’enfer, le purgatoire
et le paradis se retrouvent ici pour danser ensemble un non-langage du
langage, un ZABâNIYAT...
Ce sont les mécanismes même du langage qui sont les acteurs de ce
poème :
Man shir-e aan shirkhaareh raa ke boridam midaanad ke labhaayash heiy
eiy kalaaghi heiy Labhaayash tanhaa be shekl-e motavarrem-e pestaanhaayam
pestaan-e
diagaraa
raa
midooshad eiy kalaaghi heiy
Baadaam-e sabz-e angoshtaanash baaraan-e seksekast heiy heiy heiy eiy
kalaaghi heiy
Oo table mizanad be tanahaaie bar gerdi-ye sorin-e jahaan heiy, eiy kalaaghi
heiy...
Taavoos migozarad az cheshmash shab shabashab
Chandin hezaareh kaf zadeh-am bee-dast shabshab shabshab eiye kalaaghi
heiy
Naasour namishavad labash az goftan ranjeedeh boseh meedahad Aaghoosh
khaane-ye
Teemi-st bandari hey, eiy kalaaghi heiy
Heiy heiy eiy kalaaghi heiy, heiy, heiy, heiy, heiy, heiy,
Eiy kalaaghi, eiy kalaaghi, eiy eiy kalaaghi, heiy
Jaaaaaaaaaaaaaaaaaa…….nn
(Réza Barahéni et Thierry Bedard © pour l’ensemble
de ces textes)
|