Remarques sur le stage
: Lire, rêver, écrire la “ traversée ”,
animé lors des Lectures sous l’arbre organisées par
Cheyne éditeur, du 13 au 18 août 2002
1. L’intitulé du stage met l’accent
sur le lien entre la lecture, la rêverie qu’elle déclenche,
et le mouvement que spontanément cette rêverie est censée
inspirer, soit le désir d’écrire, non pas sur le modèle,
mais plutôt comme dans la trace, le sillage ou la fracture que la
lecture a ouverts. Que cette ouverture-là ait été
collégialement partagée dans un échange oral, ou
que chacun se soit simplement laissé travailler seul à seul
par une lecture à voix haute, ou par une lecture silencieuse.
Par rêverie, j’entends le mot dans son sens
bachelardien, me souvenant aussi d’une lettre de St John Perse à
Jacques Rivière sur son souhait que son critique soit lui aussi
poète, c’est-à-dire susceptible de le lire depuis
les mêmes sources que lui, comme à partir d’une même
origine.
Le thème de la traversée a été
choisi précisément pour sa richesse immédiatement
perceptible, et comme évidente.
2. Il ne s’agit donc pas ici au sens strict du terme
d’un “ atelier d’écriture ”, et cette précision
a été donnée dès le début du stage
; elle est rendue nécessaire par l’intitulé lui-même,
qui laisse planer une indécision à cause du verbe “écrire
”. Non pas donc “ atelier ”, dans ce sens qu’aucune
injonction d’écrire, aucune “ consigne ”, n’ont
été données, ce qui aurait été contradictoire
avec la place prépondérante que devaient ici prendre la
lecture et le type de questionnement autour de ses effets que celle-ci
devait impliquer. Ce serait plutôt comme une saisie du fait littéraire,
expérience en amont de l’écriture. Du reste, je pense
qu’un atelier d’écriture doit poser la question du
travail, et en particulier celle du retour sur le texte, celle de sa réécriture
; or cet aspect, essentiel à l’acte d’écrire,
n’a jamais été abordé collégialement
durant ce stage, même si une rencontre avec trois des stagiaires
sur douze a eu lieu à ce propos, et à partir des textes
produits, en dehors des heures de stage.
Cependant, la proposition de consacrer une partie du temps à un
travail de “ relecture ” de certains textes effectivement
écrits sous l’effet de telle ou telle lecture, sous la forme
d’un échange par groupes de quatre personnes, moi compris,
et dans l’idée de s’aventurer à creuser ce qui
se trame de spécifique dans les lignes des “ premiers jets
” que chacun des stagiaires avait lus à l’ensemble
du groupe, je l’ai faite à un certain moment, vers le milieu
de la période : l’avancée des échanges, et
les prises de risque que chacun avait consenties, me paraissaient justifier
un tel retour. Les stagiaires non concernés par ce travail de groupe
seraient engagés dans d’autres activités de lecture.
Ma proposition a reçu collégialement une réponse
négative fondée sur l’idée que l’aventure
de ce stage devait rester collective.
3. Chaque demi-journée était centrée sur un texte
“ emblématique ” autour duquel étaient lus,
ou simplement mentionnés, et disposés comme en étoile,
d’autres fragments ou œuvres inspirés par un thème
identique. Il était évidemment essentiel, de par la nature
même de ces textes, de poser la question des enjeux précisément
littéraires dont ils témoignent - entendons par là
: ce qu’ils disent du monde et du rapport spécifique de leur
auteur au monde et à la langue -. De toute façon, l’idée
de conduire la réflexion sur la “ traversée ”
jusqu’à en venir à s’interroger sur l’écriture
comme traversée impliquait bien que serait abordée la question
de savoir ce que vraiment l’écriture joue et engage.
C’est pourquoi ce qui était suggéré aussi c’était
de s’ouvrir à ce qui pouvait apparaître, dans chaque
texte, comme son identité, à la fois en partie repérable
(rythmes, lexique, mise en page etc.) et à la fois cependant toujours
énigmatique (problème ou faux problème des “
genres ”, question de “ l’autre de la parole ”,
problème de l’achèvement supposé du texte,
problème de l’œuvre, etc.). Etant entendu que s’ouvrir
à l’énigme de ces paroles “ extrêmes ”,
c’est aussi s’ouvrir à la question de leur écart
ou de leur différence, soit s’ouvrir à cette part
d’invention dont la loi cependant échappe toujours à
l’inventeur lui-même, à celui qui se laisse traverser
par la langue, et qui découvre, dans le présent de son écriture.
Dès le départ du reste, quelques lectures ont été
faites au sujet de ce “ présent de l’écriture
”, selon la formule de Claude Simon dans le discours de Stockholm
dont un extrait était proposé comme texte emblématique.
4. Soixante-douze extraits différents tirés des trois Carnets
de du Bouchet, et choisis pour leur écho au thème de la
traversée, ont été distribués au hasard à
chaque stagiaire, à raison d’un extrait par jour. Ce viatique
a été le plus grand déclencheur de commentaires,
d’écriture et de partage, de tout le stage. Sans doute par
son aspect déroutant lié à son caractère fragmentaire,
sans doute aussi parce que le resserrement de la parole y rend immédiatement
perceptible deux choses : d’une part que la littérature qui
interroge vraiment est celle qui a évacué toutes les tentations
du “ sentiment ”, alors même que, d’autre part,
elle rend immédiatement sensible cette évidence et cette
émotion que c’est toujours un être particulier et au
destin unique qui s’y engage et qui, écrivant dans la “
faute ”, ou la “ traîtrise ” au sens deleuzien,
engage sa vie.
5. Le plan qu’on trouvera ci-après, rebâti le dernier
jour en fonction de ce qui a été accompli en réalité,
correspond, dans ses grandes lignes, à la perspective de départ
telle que je l’avais imaginée. Cependant, l’ordre des
textes, leur distribution dans la semaine, bien des aspects de détail,
on été bouleversés au cours de l’avancée,
tandis que d’autres références, et en particulier
venues de l’expérience des stagiaires eux-mêmes, sont
venues enrichir le corpus.
Le plus étonnant du reste pour moi, et le plus émouvant,
est le retour constant que j’ai eu, et de plus en plus riche, mes
propres questions et mes approches très vite se confondant simplement
avec celles des autres, dans le partage d’un même risque,
celui donc d’interroger vraiment les textes.
La littérature ici, l’expérience littéraire
plutôt (lecture/écriture en fin de compte presque nécessairement
confondues, la question de la nature du stage n’ayant plus semblé
elle-même faire question, chacun s’étant engagé
dans l’épreuve d’une véritable écoute
des textes lus ou produits, et même ceux qui s’étaient
définis au départ en quelque sorte comme “ non écrivants
” en venant à écrire eux-mêmes), littérature
et expérience littéraire, donc, ayant été
immédiatement légitimées, parce que greffées
comme de leur mouvement naturel et évident sur le dehors, sur le
monde, sur la vie et sur l’expérience d’hommes et de
femmes mûrs, engagés pour la plupart dans des professions
extérieures à la littérature, même si certains
étaient déjà concernés par une pratique d’écriture.
( A en rester uniquement dans la perspective d’une
simple “ lecture ”, le risque serait de verser très
vite dans la glose, qui serait perçue par certains comme une pure
tentation de “ l’explication ”. L’originalité
de ce stage vient sans doute aussi de ce que l’animateur, en tant
qu’il écrit lui-même, et/ou qu’il est perçu
comme “ écrivain ”, communique un rapport spécifique
avec la chose littéraire qui implique nécessairement son
engagement dans l’écriture, engagement dont il doit aussi
porter témoignage.)
Il me semble que ce qui s’est peu à peu imposé,
c’est cette idée qu’on trouve exprimée chez
Deleuze et que reprend quelque part Hervé Piékarski, à
savoir que c’est le “ dehors ” qui ne cesse d’interpeller
le texte, qui l’ouvre et le fait “ fuir ” comme on le
dit d’un tonneau, cette fuite-là, cette fracture, renvoyant
chacun à l’énigme de sa propre vie, de son rapport
au monde dans ce qu’il a de plus concret, de plus actuel ou contemporain,
et dont le texte littéraire porte témoignage.
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