René Char/ Grands astreignants |
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un extrait - source : Oeuvres Complètes, Galllimard Pléiade, p 711-712 :" Page d'ascendants pour l'an 1964." |
À l'Ouverture
le troubadour. Villon est sur les lieux; Dante, sensuel féodal,
assortit le cyprès à la chair de l'érable; d'Aubigné
est le plus ravagé; Pétrarque dessine avec Giotto le double
chrysanthème; Shakespeare est la postérité de Shakespeare;
Louise Labé a gagné ses éperons à la trêve
des lys, elle est amante; Scève vitrifie; quoique carrée
la voile de Ronsard a des ris de serpentins; Thérèse d'Avila
et Sade, les plus hardis, sont les plus exposés; Racine en clair-obscur
nous incendie; Chénier a la fermeté du désastre;
le capitaine de louveterie Puchkine; le rot prophétique de William
Blake; Keats, tel Endymion, n'a pas fait son temps, n'a touché
aucun mur, noeur coulant lumineux; Léopardi poétise sa peur
devineresse dans la nuit de la nature; la main d'Hugo bande le sein de
Ruth, un chant parfait s'élève; Chateaubriand emplit de
ses volontés l'urne de la parole; Vigny est inspiré dans
un angle insigne; Nerval a la grâce qui affame; Baudelaire fond
les blessures de l'intelligence du coeur en une douleur rivale d'âme;
Hölderlin est d'ailes spacieuses, autant que les muets, il sait;
Mallarmé est à la fois unique et conditionnel; Nietsche
détruit avant forme la galère cosmique; Melville est sûr;
Poe, de face ou de dos, m'est témoin; dans le harassement Emily
Brontë est souffle; Rimbaud n'humilie pas le Pays qu'il révèle;
Verlaine dans la gravelure a le plus de vénusté; Lautréamont,
blasphémateur, homme de bien, met fin; le timbre de la bicyclette
de Jarry n'hallucine pas que la banlieue de Paris capitale; Apollinaire
abouche le chant profond avec la faconde; Claudel est irresponsable; Synge
nous sourit de son vert promontoire; Kafka est notre pyramide; Rilke nous
tend le trèfle à quatre feuilles de la mort; Proust est
soudain Pindare; Reverdy se cave et dédaigne le gain; je revois
Éluard; celui que j'oublie fut heureux. |