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Extraits de Gisants 1985
NOUS NOUS SOUVENONS d'avoir vécu et comme
De moins mortels nous rions sur la réserve des vivres
La lune en rond parfait comble la préhistoire
L'océan se soulève plus haut que l'horizon
En trois-mâts repasse le fantôme du Golgotha
BORD
Pourquoi revient cette formule aimée
" Au bord du monde encore une fois"
Qu'est ce bord, qu'est-ce "bord", être-au-bord
La bordure chez Baudelaire et
La terrasse des princes de Rimbaud
Avec vue sur le monde et le tout comme
Ayant passé par ici qui repassera par là
APHRODITE COLLEGUE
Moderne anadyomène des VC belle
la botticellienne dans un grand bruit de chasse
s'encadre sur la porte verte rajustant blonde
à
l'électricité la tresse l'onde
et d'une manche glabre de pull
tire sur la jupe au niveau de l'iliaque
CONTE
Un soir où nous avions mis une seule ceinture
Tu me chuchotais un conte à l'oreille _____de neige
______Et me disais je suis émue
Et nous avions enjambé déjà plusieurs grands intervalles
Fait des arches d'absence plus grandes que celles d'Avignon
Et sommes revenus à nous par des gués en crue
NOTRE DEMEURE
Dame de près l'ombre chat sous ta main de peintre
joue
Tandis que l'âge crible La mienne drainant le derme
_______________(et mince taie sur la pupille)
La paume de la nuit en sueur scintille sur la nuit
Une meule d'étoiles
se rentre à l'horizon urbain
La lune fardée comme une Japonaise
Approvisionne là l'immeuble de la nuit
Les feux du stade bordent notre alcôve
Une demande précautionneuse
____________Cherche ta voix
Que ta diction lente et courtoise exauce
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Extraits de Aux heures d’affluences 1993
DE LA MORTALITÉ DE L'ÂME
La donne des dés passe
par ma main
Cette main d'un dieu qui ferait de même
__________Nul ne sait
Quelle saccade dès la paume qui ne dépend de rien jouant
__________"
Un peu de temps à l'état pur"
Perle en lobes sur la servante ou la maîtresse
__________O Simmias
et Cébès
C'est plutôt notre vie qui use plusieurs âmes
L'espièglerie du monde brille ce matin
Tu regretteras les heures
de tes seins dans mes mains
Celles de mon visage accouché sous tes yeux
II n'y a pas que dans les livres qu'on parle comme un livre
Je regretterai
l'anabase depuis ton sein
Remontant Eurydice tout le long d'Eurydice
Du chiasme ténébreux des lèvres au double sein
A l'horizon des yeux accouchés de tes lèvres
_____II n'y a pas que dans les livres
_____Qu'on n'aime pas que dans les livres
ÉLANCÉS...
Elancés ils s'enlacent, l'amour et
la comparaison!
L'amour compare la comparaison qui aime louer
avec des anaphores
_____et la lyre saphique tisse
_____l'incomparable beauté des
bords
_____à
contre-jour d'une éclipse de l'Etre
(or m'éloignant en
barque de l'île-hôtel
--
aube que tu saluais à la fenêtre d'Udaïpur --
nous n 'étions pas sortis du conte
mais protégés, édifiés même
par une constante de Propp plus belle
que les trophées photoscopiques)
_______________Ce sera
toujours trop tôt toujours trop tard
donc c'est maintenant _____le
trop tardif et trop prématuré adieu
ÉTANT DONNÉE...
É tant donnée toi par mes
soins trilobée Moi
_____Tige soignée de tes mains
L'haleine requérant un mot qui t'invagine
Je est un autre je aimant celle-ci
Par celle-ci un autre je simulant le semblable
Etre un être qualifié comme
un enfant
_____Bordé d'attributs de ta bouche
Aimant la supplication des langues remuantes
Le contrevent des faces liées à contresupplice
Ou la greffe de délices quand ton dos me regarde
Le poignet gauche évidait
l'aine
L'étang nu de la sueur fraîchissait
_____T'ai-je abandonnée
_____Moi l'axe de l'assise
_____Toi le jardin suspendu
EUROPE À LISBONNE
L'amour s'est "libéré" de
la prison d'Amour
Regarde_____ Il reste ce beau vide
d'amour évidé Ce mouchoir de marbre
que l'amante agitait à l'océan agité
ou à l'amante captive un troubadour captif
Et maintenant décris
le château d'eau pétrée
Le château de vigie capitane
qui fit aux Renaissants penser au Féodal
Voeu accompli d'un prince accomplissant le vers de Gongora
"
d'une tour de Vent construite en Rareté"
Et maintenant
Le sage tapis de Tage tiré se retire à ses pieds
Le savoir s'est aussi retiré
Comme un jusant sous une sécheresse ignare
Où les notices jettent une écume de dates
De la Tour de
Belem à la Tour de Stephen
Je veux ne pas médire du sens de la visite
Qu'autorise le ticket culturel polyglotte
J'y suivais dans la cage la femme de ménage
Qui a fonction de bien tenir ce vide bien à vide
De nouer la faveur de la pierre au troisième palier
Et de ranger turbans, de pierre, écus, de pierre, de sultan,
_____[de croisé
_________________________de ménager
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à l'Amour qui ne reviendra pas
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Un extrait de Spleen de Paris,
2001
Tableau parisien
On ne « monte » ni ne « descend » à Paris
quand on est parisien. Souvent au téléphone, donc, entre
Parisiens on se demande : « Tu es à Paris ces temps-ci
? » On ne dit pas « en ville ». On la nomme. Peut-être
comme on dit : « Tu as vu Hélène cette semaine
? »
Être à Paris, qu'est-ce que c'est ? Et de père
en fils, et de fils en père : de père en père.
Mais je gomme cette phrase-là, car la question n'est pas là.
La question est « à Paris » de longue date, dans
un depuis-toujours de nombreuses années.
Tout en sachant qu'être-à-Paris, y avoir son Dasein, n'est
pas la meilleure condition possible pour voir Paris.
J'arrive dans cette ville de ***. Mêlé à ses habitants
je « découvre » la belle place Saint-***. Mais eux
ne la découvrent pas. Nous nous adonnons au même lieu, à la
même chose, au même « spectacle » — car
même si pour eux, qui se hâtant ne la regardent pas, ça
n'est pas un spectacle, à tout instant néanmoins ils
peuvent la considérer, et se la redonner en spectacle. Et c'est
ce spectacle qui n'est pas « le même » pour eux et
pour moi, pas mêmement. Voyageur, je peux m'étonner qu'elle
soit belle ; je la découvre comme telle. Il y a deux regards
; et c'est le second qui est mystique : c'est pour ça qu'on
voyage. Deux regards pour un même phénomène. Celui
qui est d'ici depuis toujours ne voit pas sa ville du regard inventif
voyant du voyageur intéressé par ce qui n'intéresse
pas l'autre. Est-ce la même ville ? Mais l'habitant a besoin
de comprendre ce que voit le survenant, dont c'est la première
visite. Le poète est l'étranger.
«
Hé ! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? »
Aimer
Paris sans cette « première fois », est-ce
possible ? Je sais que j'aime Paris parce que dans le voyage ce que
j'aime surtout, c'est revenir. D'où que j'arrive, même
après deux jours seulement chez des voisins, Athènes,
Oslo ou Lisbonne, j'aime rentrer, reprendre tangence en douceur avec
le plancher de Roissy ou d'Orly, fendre la banlieue par ses falaises
vitreuses (« Eux les Hébreux moi Pharaon »), déplier
la ceinture périphérique, dépiauter les faubourgs,
compter à rebours les arrondissements jusqu'au cœur...
Bourgeois de Paris ? Oui.
À
peine Butor eut-il publié son Je hais Paris, je sautai
sur le papier et commençai « J'aime Paris ».
La
maison de campagne
«À une heure de Paris... » Hauterive.
2001. La lisière, le chemin au crépuscule. Y pensant,
je pleure le très ancien, le très lourd, l'autre vie.
J'y pense comme à la croissance, à la croyance. L'amour étroit
pour des êtres, la vie proche dans son sourdre, l'intimité,
la continuité.
La gravité, la maladie, les souffrances valaient la peine. L'histoire
traversait ; c'était l'émotion, la nuit avec son arbre,
les complies où peut-être même un vers aussi fameux
et ridicule que « j'entends l'herbe des nuits croître dans
l'ombre sainte » avait du sens.
(« Le temps va donc passer
par cette pièce où je
disais que le monde faisait un coin, coin saillant des livres en puzzle
avec le coin d'acacias où les pigeons sédentaires, éventés,
font aux fenêtres une volière parisienne —y devenir "mon" temps
dans le présent terrible qui fascine, méduse, amnésie,
prescrit. »)
Je rapporte à « Paris » toute
mon expérience.
Partir
Dans le wagon de première classe du TGV où il n'y a « personne », « je » fonce,
je fouette le train d'enfer panoramique, qui survole le monde à 300
kilomètres/heure dans l'absolu confort. « Personne non
plus » (c'est ainsi que nous parlons) sur l'autoroute qui aplanit
la terre, longeant la voie, plus large que le train, plus rapide même
que le train parce que d'un coup d'œil elle est à l'horizon
tandis que je ne vois pas le bout du train. Tout « dépasse » tout à toute
allure en tout silence. C'est plus inouï que le luxe : je
suis un dieu en tapis volant sur la terre spacieuse ; quelques comparses
se mettent à mon service ; je dépasse. Il y a quelque
chose d'absolu dans la suprématie humaine.
Cependant, là-bas, en Ogaden, en Amazonie, en Indonésie,
au Bangladesh ou en Sierra Leone, voici les multitudes dénuées
du tiers- et du quart-monde, les contaminés, les plus mortels,
derrière l'écran de la télévision, immobiles,
quasi, sur leurs brouettes cholériques dans l'encombrement pollué fuyant
les Seigneurs de la guerre aux armes occidentales.
L'Occident économiste produit cette disproportion, chaque jour
la perfectionnant par la technologie, emporte tout en avant dans une
ruée forcenée où l'humanité se scinde,
se délivre d'elle-même, se laisse en arrière, supériorité sans
frein de l'homme sur l'homme que caricature suprêmement, à la
rubrique people, le milliardaire gobergé dépassant à son
tour, le surplombant dans son jet privé, le lent TGV où je
commençai ma parabole.
La worldmusic même devenue techno amplifie en le synthétisant
le fracas de la précipitation concassante. L'identité des
moyens et des fins, technologiques, s'accomplit.
Les merveilleux nuages
Les oiseaux sont dans l'air, les poissons dans l'eau. Où sommes-nous
? En plan. Nous sommes les seuls à tomber. Poissons et oiseaux,
verticaux, montent et descendent, arpentant le trièdre avec
douceur, comme on se penche ou se glisse. J'aime les mouettes, les
merveilleux oiseaux. Le poisson, dragon chimérique, ondule des
bords.
Nous n'avons pas la verticale. À nous la chute. Nous les plats.
C'est nous les animaux machines, bien sûr, qui reconquérons
la verticale, à contre-chute.
Notre milieu est psychique. Il est à traverser, lui aussi. Les
choses sont dans la psyché. La mer est bleue, disons couleur
mer. Pour tous. C'est ça la réalité. Les rives.
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