
Quatrième de couverture 20 ans de PO&SIE, Paris, Belin,
1997.
La revue PO&SIE a 20 ans. Tout en entrant, donc, dans sa jeunesse,
elle a beaucoup de souvenirs : plus de dix mille pages. Parmi lesquelles
comment choisir, pour rafraîchir en juin 1997 cette jeune mémoire,
fut la question. Mille coups de dés n'abolissent pas le hasard
et tous les auteurs, puisqu'élu chacun en son temps, prétendaient à la
réapparition en ce volume d'écho anthologique - anthologie
d'anthologies numérotées. Nous en débattîmes.
Diversité des provenances ; brièveté des reprises
possibles ; insistance sur les traductions ; notoriété,
nouveauté, ou découverte des auteurs ; préférence
pour les textes non repris en livre par leurs auteurs... ce fut selon.
Et autres critères. La contemporanéité s'étend
aux extrêmes.
Le résultat est cette récapitulation lacunaire qui commence
donc par l'exhaustion de tous les titres publiés au cours des
vingt ans, suivie de l'article sur l'"esperluète" même,
et se termine par l'index nominum, d'auteurs et traducteurs.
Michel Deguy

PO&SIE
Sommaires des trois premiers numéros parus
n° 1
Charles Racine : Poèmes • Charles Oison : Poèmes,
traduction Michel Deguy, R. Skodnick, Kenneth White et Jacques Roubaud • Kenneth
White : Poétique de l'ouverture • Eric Gans : Esthétique
de la métaphore • Correspondances : Stefan, Roubaud, Rossi,
Réda, Ray, Oster, Meschonnic, Gaspar, Garelli, Faye, Duault,
Deguy • Laurent Jenny : Barbarie et articulation : W. S. Burroughs • Michel
Deguy : La p... ...ueuse • Xénia Muratova : Apollon 77.
n°2
José Lezama Lima : Les Dieux, traduction Edison Simons et Michel
Deguy, Jean-Paul I. Amunatégui • Edison Simons, Guillermo
Sucre, Maria Zambrano, Javier Ruiz, Ana Martinez Arancon : Pour Lezama,
traduction Jean-Paul. I. Amunatégui et Edison Simons • Gérard
de Cortanze : Fragments • Robert Davreu : Marelles du Scorpion • Correspondances
(II) : Chambaz, Davreu, Deguy, Duault, Gaspar, Oster-Soussouev, Pérol,
Ray, Réda, Rossi, Stefan, Torreilles
•
Gérard Genot : Novalis • Alain Duault : Chantai Chazvaf,
Gérard Macé.
n°3
J. H. Prynne : Oripeau clinquaille, traduction de B. Dubourg et
de l'auteur • Joaquim de Sousândrade : O inferno de Wall Street,
transformation de Gérard de Cortanze • Philippe Denis
: Quarante Haïku • Emmanuel Hocquard : Élégie
quatre, Le chant séculaire pour un nomarque • Pascal Quignard
: La passion de Guy le Fèvre de la Boderie * Michel Deguy :
Amphisbènes.

Po&sie à la BNF
ou
Les conversations de poétique de Paris 2002-2003
(Introduction de Michel Deguy)
In Po&sie, numéro 101, Paris, Belin, 2002
Le projet
J'avais formé un «grand projet» de colloque international
au sujet de la poésie : « Pour 2000 ans la poésie
réfléchit son présent ». Après maintes
péripéties, la Bibliothèque nationale de France
accepta de le prendre en charge, avec l'aide du CNL. Sa réalisation
est en cours.
Venus du monde entier, voici que des « poètes » reconnus
comme tels exposent, s'exposent et débattent au sujet de la
poésie aujourd'hui : leurs expériences, leurs pensées,
leurs écritures, leurs dictions, leurs traductions de la poésie
permettent-elles de circonscrire quelque poétique, sinon commune,
du moins partageable en ces temps « mondialisés » comme
jamais ?
Le but est de faire s'entretenir les poètes eux-mêmes
(non les critiques) au sujet de la poésie - et non pas d'un
récital sériel de lecture de morceaux choisis par leurs
auteurs juxtaposés. La question est celle de « poétiques » convergentes
ou affrontées, en dialogue de toutes les façons, et non
pas de l'audition de prestations anthologiques dans les diverses langues.
Mais au lieu de rassembler tous les participants en une seule fois
pour les deux jours d'un colloque international (projet initial), voici
que l'occasion s'offre d'étaler toute l'affaire dans le temps
(une année) en cinq ou six sessions : à chaque fois sept
ou huit poètes invités mettent en question ce qu'ils
entendent par poésie sous un des aspects déterminés
en lesquels se fragmente la problématique générale
proposée.
L'originalité de la deuxième version du Projet concerne
donc la continuité des échanges, le pluriel de l'unité de
la préoccupation, en bref : la façon de relier les sessions
en une séquence s'engendrant et s'augmentant des échanges,
des anticipations, des rétrospections provoqués par chaque
rencontre : « inter-activité » au sens général
qui sera favorisée par l'utilisation du site de la BDF, où seraient
lisibles les résultats de chaque session et les échanges
subséquents, non seulement entre les invités mais entre
tel et tel poète, poéticien, écrivain, attirés
par le programme et entrant dans la danse (le « réseau »).
L'argument
Qu'entendons-nous aujourd'hui par « poésie » ? Mais
d'abord un nous peut-il prétendre parler au nom d'une virtuelle
assemblée mondiale de poètes ? Y a-t-il quelque sens
commun aux questions qui concernent la poésie, et un sens tel
qu'il distingue les poètes des autres écrivains, une écriture
en poèmes à l'intérieur de la littérature
en général ? La « mondialisation », en marche
depuis tant de générations, assujettit les arts à leur
réception « culturelle ». Qu'est-ce donc que le
culturel en tant que phénomène social total et maintenant
global au sens de la mondialisation, c'est-à-dire au sens, devenu
dominant, du marché ? Des « arts poétiques » à la
fois originaux, c'est-à-dire propres à des « créateurs » différents,
et spécifiques aux minorités vernaculaires où ils
peuvent être reçus à chaque fois, et traductibles
d'une aire sociale, ou géographique-ethnique, à une autre,
peuvent-ils entrer en dialogue, en échanges ? À quel
prix ? Peuvent-ils surmonter les grands obstacles, conceptuels et factuels,
qui conspirent à leur minimalisation, voire à leur disparition
? Les grandes objections que rencontre l'objet de ces arts poétiques
peuvent-elles être résumées ?
- l'objection « Bourdieu » ; qu'il n'y a de distinction
que sociale, ou relative au couple dominant/dominé, qui est à réduire.
- l'objection égalitaire : les valeurs de spontanéité expressive-créative,
et d'individualisme, l'emportent définitivement sur celles de
génialité (XVIIIe-XIXe siècles) et de chef-d'œuvre
(c'est-à-dire à la fin tout simplement d’œuvre}.
- l'objection de la communication : Babel est la dernière entrave à l'entente.
L'intraductibilité des idiomes, d'autant plus insurmontable
que ceux-ci se font entendre dans leurs poèmes, pousse à l'espéranto, à la
pidginisation des langues. Comme il y a une world-music, s'il y a une
world-poetry elle doit s'émanciper de la signification linguistique.
- l'objection de l'ordinateur, de la production textuelle : fin du « manuscrit »,
de l'écrituration singularisante.
À la veille de la première session de nos rencontres
je proposai à nos invités d'envisager les choses à leur
gré sous l'un des angles suivants :
1. Qu'entend-on par poésie aujourd'hui?
À quoi
est-elle bonne? N'est-il pas vrai qu'elle n'a cessé de s'amoindrir à tous
les égards, « genre mineur » en diminution ? N'a-t-elle
pas « déposé son fardeau », confié ses
tâches à d'autres, et en particulier au roman celle de
dire les choses et le monde d'aujourd'hui ? N'intéresse-t-elle
plus que les « littéraires » ou continue-t-elle à faire
parler une expérience universelle, intéressant toute
société humaine et tous les « milieux » de
celle-ci ? Est-elle devenue asociale ? Ou bien même n'est-ce
qu'à la faveur d'une homonymie que son nom, «poésie»,
en toute langue, fait encore un sujet d'entretiens divers, sans qu'on
puisse s'entendre en l'entendant résonner à la surface
de la terre ?
2. La « mondialisation » : peut-elle
concerner un « art »,
et singulièrement celui de « poésie » ?
Sans
doute cela arrive-t-il par le moyen du MARCHÉ quand il y a une
valeur marchande en jeu et donc une économie de
la chose dont il s'agit ; c'est manifeste dans le cas de la peinture
(avec ses « bourses »,
ses galeries, ses expositions, etc.) ; mais quoi dans le cas de produits
langagiers (les « poèmes »), et relativement peu échangeables
(on dit « intraduisibles » pour signaler une perte de valeur
intrinsèque dans le passage d'une langue à une autre)?
C'est pourquoi le « marketing » de la poésie en
général contribuera à arracher la poésie à la
langue vernaculaire, le « poème » à la
phrase, pour son devenir-objet, artefact échangeable pareil
aux autres. Les « éditeurs » seront-ils les futurs
acteurs d'un tel marché... mais correspondant à quel
besoin, ou désir,
de consommation, et de là rétroactivement à quelle
production commandée par le marché, etc. ?
3.
Du culturel en général
Et en particulier
sous cet angle : les manifestations culturelles programmées
par les Instances (exemple « la journée mondiale de la
poésie » prescrite
par l'UNESCO et les gouvernements) seront-elles toujours d'autant plus
insignifiantes que mondiales-mondialisées (« insignifiantes » au
regard d'une « valeur intrinsèque » de la poésie
précisément irréductible à une valeur d'échange
mondialisable i.e. transposable en information et communication « universelle » c'est-à-dire
indifférente au voisinage, etc.) ? Comme si le cœur du
génotype « poétique » n'était pas
patrimonialisable « mondialement » (cf. le « patrimoine
mondial de l'UNESCO ») mais plutôt pareil à un goût
auquel « les autres » demeureraient insensibles, voire
hostiles).
4. Guerre et paix.
Si ce qu'on entend par « la poésie » se
confondait « traditionnellement» avec l'expression du patriotique
(du local régional au « nationel », pour reprendre
un terme énigmatique de Hölderlin), lié donc à l'état
de guerre des sociétés humaines entre elles (« versions
des vainqueurs » ou « versions des vaincus », chants
de victoire ou de vengeance, etc.) ; si d'autre part l'avenir fatal
de l'humanité est de paix, est-ce qu'alors l'exaltation « chauvine » des
minorités fournirait les motifs des combats-relais où se
calme la part belliqueuse du « cœur humain » (entretenant,
remémorant, métamorphosant l'état de guerre) ?
La tâche d'apaiser, précisément, i.e. de réduire,
ou de concilier, ou de surmonter des oppositions, telle celle des grandes
langues aux petites langues, suffira-t-elle à faire vivre, c'est-à-dire à maintenir
en survie, la poésie, chargée de contribuer à « éduquer » l'humanité (mots
de Hölderlin) hors de l'état infantile des « frères
ennemis » ?
5. L'Occident a-t-il encore un dehors ?
Des poétiques sont-elles
confrontables (i.e. thématisables, théorisables, exposables à d'autres)
sans conversion (ou convertibilité) a priori à l'Occident
; en d'autres termes la démarche même, ou condition de
possibilité, de nos rencontres, ne présuppose-t-elle
pas une conceptualisation occidentale, celle qui par exemple axiomatise
et principialise la différence « théorie-pratique » ?
Et dans la foulée de ce questionnement : les différences « principales » (telles
entre oralité et écriture ; ou élite et audience
populaire ; ou anciens et modernes, devenue arrière-garde et
avant-garde, et autres) sont-elles (in)tenables ?
6. À ce
qui n'en finit pas...
La « poésie » est-elle
foncièrement et à jamais (sous peine d'extinction, ce
qui n'est pas inimaginable) logique, si par là on entend en
matière de langue et en paroles de langue maternelle-naturelle
; identiquement : en phrases, euphrasie et eurythmie ; ou
bien destinée
(c'est le destin post-moderne) à sortir de cet élément
pour entrer dans des alliages « à égalité » (de
type donc « multimédia », ou syncrèses ou « collage-montage »,
etc.) avec le pictural-plastique, le musical devenu techno-synthétique,
et chanson, l'iconique-photo (vidéastique, publicitaire, etc.)
dans la multiplicité technologique post-moderne.
Remarque : L'« élément» archaïque
allégué portait
le nom de spirituel. C'est la croyance - elle-même dite
rationnelle et rationaliste - en sa substance qui soutenait la classification hiérarchique des
arts, la hégélienne précisément, en
laquelle la poésie occupait la place supérieure, celle
où la proximité à soi de l'esprit devenait toujours
plus consciente de soi dans la Sprache en tant que « unmittelbares
Dasein des Denkens ». L'expression « à égalité »,
que je viens d'employer, dit la sortie de cet élément,
la déhiérarchisation moderne de la poésie, son
devenir « mineur » aux côtés de toute autre
manifestation de l'expressivité « culturelle ».
7. De
la traduction.
Une rencontre entre « poétiques »,
une réflexion « entre soi » de poètes sur
la poésie aujourd'hui à la tourne des millénaires,
peut-elle se passer d'une réflexion sur la traduction - si la
relation des littératures entre elles consiste en l'acte effectif
de l'intertraduction des textes ? Se pose alors la question de l'anglais
et de son reste (ou « reste du monde », comme dans les
compétitions sportives « USA contre reste du monde »).
Quelle situation résulte pour les autres langues de l'hégémonie
de la « langue anglaise » - elle-même changée
en médium de la communication-mondialisation? Qu'en est-il de
la différence entre grandes langues véhiculaires et idiomes?
Grandes littératures et littératures mineures ? Babel
est-elle menacée, qui protégeait la multiplicité des
langues, elles-mêmes protégées par l'excellence
des oeuvres littéraires ? La minoration des littératures
et en elles des poèmes, tout cela engage-t-il à une vue
inquiète nostalgique de l'ancien «régime»?
8. De
la révolution...
Si le XXe siècle a enterré avec
lui la conception de - et la confiance en - une révolution poétique,
une essence poétique de la révolution et révolutionnaire
de la poésie, pour des générations qui n'estimaient
pas que le surréalisme - et, en amont, Rimbaud - n'étaient
que des références françaises et facultatives
; s'il apparaît au bilan que la seule Révolution qui mérite
sa majuscule pour avoir transformé la vie de l'humanité en
sociétés pour le meilleur et pour le pire aura été la
Révolution scientifique et technique (dont la phase en cours
de mondialisation informatique ou d'informatisation mondiale fournit
la preuve suprême et captive définitivement l'espoir des
hommes), alors où en sommes-nous, « poètes »,
avec le changer-la-vie en termes poétiques, et l'utopie en général
?
9. De l'écologie.
Un géocide est en cours. Il ne pourra
pas y en avoir deux. Si « l'habitation poétique » du
terrestre - pour reprendre encore une fois, malgré l'épuisement,
les mots de Hölderlin - a encore du sens (de la glose, de la paraphrase,
devant elle), alors n'est-ce pas avec l'écologie fondamentale
qu'une poétique futuriste pourrait (devrait) s'allier? La poésie
peut-elle jouer un rôle d'alarme écologique, d'auxiliaire
de la pensée écologique ?

