Bernard-Marie Koltès / Seulement
envie de raconter bien... l'hommage de remue.net à Bernard-Marie Koltès |
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le succès au théâtre de Koltès, trop tôt disparu pour nous tous, occulte un travail en prose parmi les plus novateurs dans l'engagement urbain, le rythme et les lumières de la phrase, comme par exemple ci-dessous la première page de La Nuit juste avant les forêts |
retour remue.net
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"Bernard-Marie Koltès est mort il y a exactement quinze ans. Depuis, son œuvre n’a cessé de croître en influence. Parce que nous avons plus de documents, de lettres, d’entretiens pour la comprendre. Mais surtout parce que nous ne cessons d’y revenir à mesure que nous progressons chacun dans notre propre travail, et que nous le retrouvons devant nous, où les relations des êtres sont les plus urgentes, fragiles, nocturnes. Comment Koltès s’est-il inventé lui-même ?" François Bon prononcera le samedi 24 juillet 2004, à 11h, au festival d'Avignon, un hommage à Bernard-Marie Koltès * * dans le cadre des lectures SACD/festival d'Avignon, retransmission France-Culture Pour Koltès, de François Bon, est publié aux Solitaires Intempestifs (deuxième tirage). |
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le dossier Koltès de remue.net François
Bon : fraternité avec
une place vide Koltes
: "paroles
sur..." Enzo
Cormann: La révolte des anges Bernard-Marie
Koltès: petit papier indigne Christophe
Bident : Koltès, archéologies du mythe |
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autres liens et ressources pages Bernard-Marie Koltès sur le site des éditions de Minuit et bibliographie un site voué à Koltès: les pages Koltès de Gwenn Koltès dans son contexte : Le théâtre dans tous ses états, par Jean-Pierre Thibaudat, sur France-Diplomatie ainsi que son Théâtre français contemporain (même auteur, même site) |
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Le
début de "La nuit juste avant les forêts"
« Tu tournais le coin de la rue lorsque je t'ai vu, il pleut, cela ne met pas à son avantage quand il pleut sur les cheveux et les fringues, mais quand même j'ai osé, et maintenant qu'on est là, que je ne veux pas me regarder, il faudrait que je me sèche, retourner là en bas me remettre en état -- les cheveux tout au moins pour ne pas être malade, or je suis descendu tout à l'heure, voir s'il était possible de se remettre en état, mais en bas sont les cons, qui stationnent : tout le temps de se sécher les cheveux, ils ne bougent pas, ils restent en attroupement, ils guettent dans le dos, et je suis remonté -- juste le temps de pisser -- avec mes fringues mouillées, je resterai comme cela, jusqu'à être dans une chambre : dès qu'on sera installé quelque part, je m'enlèverai tout, c'est pour cela que je cherche une chambre, car chez moi impossible, je ne peux pas y rentrer -- pas pour toute la nuit cependant --, c'est pour cela que toi, lorsque tu tournais, là-bas, le coin de la rue, que je t'ai vu, j'ai couru, je pensais : rien de plus facile à trouver qu'une chambre pour une nuit, une partie de la nuit, si on le veut vraiment, si l'on ose demander, malgré les fringues et les cheveux mouillés, malgré la pluie qui ôte les moyens si je me regarde dans une glace -- mais, même si on ne le veut pas, il est difficile de ne pas se regarder, tant ici il y a de miroirs, dans les cafés, les hôtels, qu'il faut mettre derrière soi, comme maintenant qu'on est là, où c'est toi qu'ils regardent, moi, je les mets dans le dos, toujours, même chez moi, et pourtant c'en est plein, comme partout ici, jusque dans les hôtels cent mille glaces vous regardent, dont il faut se garder -- car je vis à l'hôtel depuis presque toujours, je dis : chez moi par habitude, mais c'est l'hôtel, sauf ce soir où ce n'est pas possible, et si je rentre dans une chambre d'hôtel, c'est une si ancienne habitude, qu'en trois minutes j'en fais vraiment un chez-moi, par de petits riens, qui font comme si j'y avais vécu toujours, qui en font ma chambre habituelle, où je vis, avec toutes mes habitudes, toutes glaces cachées et trois fois rien, à tel point que, s'il prenait à quelqu'un de me faire vivre tout à coup dans une chambre de maison, qu'on me donne un appartement arrangé comme on veut, comme les appartements où il y a des familles, j'en ferais, en y entrant, une chambre d'hôtel, rien que d'y vivre, moi, à cause de l'habitude --
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