Claude Louis-Combet / Dits et médits de Lily Pute | |
C'est à l'amicale complicité
de François-Marie Deyrolle que cet ensemble de poèmes doit
de paraître à la fois dans l'Atelier contemporain
n° 5 ainsi que dans catte Revue de remue.net. En effet si
François-Marie Deyrolle a quitté Besançon pour Poitiers,
l'aventure de l'Atelier contemporaain se poursuit... Qu'il en soit donc remercié. Quant à Claude Louis-Combet, on trouvera l'essentiel sur le site des éditions Corti et pour ce qui est de remue.net on pourra se référer à Claude Louis-Combet, l'écriture au corps, à l'occasion des parutions simultanées de Transfigurations et de l'Homme du texte. Corinne Bayle et la revue Prétexte, qui avait consacré un hors-série de ses cahiers à l'auteur, a bien voulu que nous reproduisions sa lecture de Claude Louis-Combet: le coeur déchiré. Ronald Klapka. |
À
Roland Sénéca, initiateur de la Figure (janvier 1983) Hommage à Jérôme Bosch Oreille de Gulliver ! Dedans ! Dedans !
LÆobjet androgyne Avec ses ongles de marbre noir, ma main exhibe
son nom dÆange déchu : Lilia Putanea, fleur de lys au bout de sa
tige putassière, emblème nocturne dÆamour et de mort, Lily,
Lily Pute. Le fourreau Cherchez, petits amis, cherchez mon sourire et
les dents de mon sourire au fond du puits. Lily Pute Lily la Noire Fermez les yeux et vous me verrez comme vous êtes
: Il y a, dans la nuit, un grand ftus enivré
et sans issue, Appelez-moi Lily Boule de rire Enfermés dans lÆuf entier dÆune parole
sans voix Destin de Lily Pute I Alors parut la Dame dÆOmbre Est-ce bien moi ? Mon genou sÆest cassé. JÆai les doigts près Et je serai alors Acte monumental : Ouverte Ce nÆest pas dehors Enterre ton cur, Cette ombre II Est-ce par mes écailles Je nÆavais pas de bouclier. Et sur la scène du jour Alors étalée, Ma plainte, Et ce cri jamais poussé, Réfracté III Quel est celui qui me tuera, En douleur de joie Regardez bien : Je joue dÆun instrument Mes bras retiennent la nuit, Offerte comme je lÆai été
IV Allez ! Ça me démange : Alors, Une harpe Ou encore un bateau Tiens ta langue Du physique et quelquefois du cur de Lily Pute
JÆai lÆil cerclé Mon épine Ma bouche, JÆai une troisième main Et derrière mon crâne Faloppe, La raie de mes fesses Je ne puis dormir Si mes sourcils se froncent JÆai une cheminée quelque part, Mon ombilic Ah ! Seigneur, Si je me tiens à genoux Et si jÆôte mon corset Je suis toujours oblique, Inextricable, en apparence, Mais voilà, Et lovée On dit que je ne suis pas Il ne me manque Je nÆai pas besoin Quand je me lève Si je tendais la main, Permettez, Seigneur, QuÆest-ce qui peut bien Allons ! NÆayez pas peur de ma cagoule Pardonnez-moi, Seigneur, Sur le haut lit Mon oreille Et quand ils se pâment, Devant la croisée Les Doigts de Lily Pute Des griffes Souffrir Il y a comme un point dÆabsence Étreindre aussi Ou bien Près du zéro Et cette jointure Cette croix des doigts Et la paume Qui retient La caresse comme toujours Cette avancée Aurais-je seulement des seins Un seul doigt Ouverte Malaxant Oh ! Lily Et plus au-dedans Blanc miracle Qui monte Attention Ma dépliée Toujours plus mienne Je ne dirai pas Sont passés par là Seule Érigée Moi Multiple Chose exaspérée Je nÆai de trou Je nÆai de doigts Je les crisperai Tenez-vous bien Avant Revenus à eux-mêmes Trace Douleur Pute Lily sans frein Ce matin, je me suis levée dÆun bon pied
Voici lÆaube et voici lÆaurore, SÆil est un puits quelque part Il ne faudrait pas croire De lÆun à lÆautre bout Attendez ! Je voudrais bien Le vide. JÆai envie dÆêtre pleine. Personne ne me savait si noire La figure de Lily Pute, vierge folle, liliale et libidinale, éprise dÆelle-même et soumise au désir des autres, sommeillait probablement, comme un précipité de vieilles concupiscences, dans quelque repli de mon subconscient, lorsque, en 1983, Roland Sénéca mÆenvoya cinq ou six gravures sans titre destinées à provoquer des spasmes dÆimagination au fil dÆune correspondance grapho-poétique. Des images inidentifiables en termes dÆobjets mais toutefois, par un détail bizarre ou par lÆétrangeté de la composition, singulièrement suggestives, stimulantes, génératrices de rêverie. La perception de formes qui, en elles-mêmes, ne portaient pas dÆautre intention que celle dÆêtre là, me mettait immédiatement, et de jouissive façon, en état de dialogue. Une corde vocale, tendue comme celle dÆun arc musical, mais tenue, comme à la gorge, à la noire essence de féminité de mon âme verbale, entrait en vibration et pulsation, ramassant en quelques versets ce qui demeurait en moi, à lÆétat latent, pure puissance de cri, déchirure de tendresse, aspiration à une autre vie, nostalgie : comme un vieux fond de douleur porté jusquÆà la fleur de sa jubilation. Ainsi se constituèrent, après la suite des gravures de 1983, quatre albums de dessins, échelonnés de mars 1992 à avril 1993. Ils représentent dans lÆuvre abondante, multiforme et dÆune magnifique et hautaine puissance, de Roland Sénéca, un moment de transition, et presque de transhumance en territoire dÆhumour, pris entre les figures figurantes des débuts monstrueuses, copieuses, archaïques, maternelles et les immenses créatures gravées sur bois, que nous connaissons aujourdÆhui, et qui remplissent lÆespace de leur énergique transcendance, hors de toute chance de visage ni même dÆénonciation descriptive. Entre 1983 et 1993, on comprenait que la volonté créatrice de lÆartiste, par pur déploiement de son exigence dÆexpression, prenait de lÆaltitude, se désencombrait des adhérences et références aux réalités de ce bas monde, se dégageait de la gangue des nominations faciles et sÆaventurait vers des zones formelles totalement inédites, sans équivalent dans la peinture dÆaujourdÆhui. Je dis peinture, alors quÆil sÆagissait de gravures et de dessins. Mais lÆuvre picturale de Roland Sénéca allait aussi à son accomplissement, suivant la même dynamique, frayant avec les mêmes visions, ni abstraites ni figuratives et surtout pas ludiques, assises magistralement au sein de leur nécessité et décourageant les commentaires. Pour lÆécrivain, prosateur de longue haleine, cette brève percée poétique accordée au rythme de quelques images fortes, fut un de ces heureux moments de distraction attentive qui, avec lÆair de batifoler, ne sÆéloignent jamais du centre, mais au contraire le touchent au plus près. (juin 2001)
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