Laurent Mauvignier / Du caractère organique des mots... "Un caillou dans la poche", de Laurent Mauvignier, a été publié dans L'Humanité en 1999. |
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Laurent Mauvignier sur le site des éditions de Minuit on peut lire les premières pages de Loin d'eux, son premier livre Apprendre à finir, son second livre .... ... ...., son troisième livre (janvier 2002 ?) |
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Un
caillou dans la poche
Il
fait chaud, ce quil fait chaud, quest-ce quil fait chaud
dit la mère en agitant le haut de son corsage entre deux doigts,
le petit relevé et puis quand même on nétait
pas si mal assis avant, il y a quinze ans, sur ces chaises, bon dieu de
chaises pliantes couleurs arc-en-ciel, couleurs plus rien du tout maintenant.
Elle dit : regarde-moi ça, ça seffiloche de partout
le dossier, ils tiennent plus les dossiers, on va se retrouver la gueule
à lenvers les quatre fers en lair ce quil fait
chaud oh mon dieu ce quil fait chaud, à se trouver mal, il
faisait pas si chaud avant. Elle continue (elle cherche du regard quelquun
qui serait daccord), toute la journée elle continue et puis
les deux frères cherchent les raquettes, pour une fois quon
va pouvoir jouer aux raquettes, avec de vrais raquettes maintenant, achetées
exprès, pas avec un, dix, quinze, vingt volants qui finissaient
toujours hop un coup de vent loin dans les arbres alors cette fois non
: on a acheté des vrais raquettes, des vraies balles ils vont pouvoir
jouer aux raquettes sur la même plage que quand ils étaient
gosses, il y a quinze ans, tout pareil sauf que non, va pas déranger
la petite ! elle dort ! ah, si la petite dort. Alors bon, pas question
daller chercher les raquettes là où elle dort, le
frère aîné sent le coup dil de sa femme
et dit, tant pis, les raquettes attendront, on attendra. Ça fait
quinze ans quils attendent, les deux frères, quinze ans ils
peuvent bien attendre une heure de plus et pas me la réveiller
cest vrai, il fait si chaud dans les toiles, un vrai four
les toiles de tente que les gamins pour dormir forcément, cest
la croix et la bannière, ils naiment pas ça et tiens,
tous ils arrivent, les gamins, les deux grandes en tête qui traînent
les jambes, le dos voûté on na rien à faire
quest-ce quon peut faire, et puis les moyennes juste derrière,
les grandes elles veulent pas, elles disent allez vous faire voir allez
vous faire, et puis les petites, les deux petites, six et sept ans, tout
ça, ça galope, ça galope dans les jambes et la mère
dit à ses deux filles : Nadine ! Sophie ! Vos gamines ! Oh non,
ça non, nous, ça oui, on vous tenez mieux que ça,
ça oui, papa il vous tenait mieux que ça, et les deux beaux-frères
sur la table de camping, à tour de bras ils battent les cartes
et battent et disent en battant les cartes tiens, on boirait bien un coup
en attendant lapéro mais arrêtez donc de boire
ségosillent en chur la mère les deux filles
et des deux frères en attendant les raquettes, tiens, laîné
se sert à boire, à la vôtre, et lautre dit cest
ça, et lautre alors tourne en rond quelle idée
il a eu de venir en vacances avec eux, quinze ans après, on ne
se souvient pas, on embellit, la journée dété
on la revoit comme avant, pas dans un camping grand comme trois quatre
cinq terrains de foot avec des places de quoi mettre des villes entières,
donc pas de places, pas de places du tout, tout le monde entassés
les uns sur les autres, tout le monde empilés les uns sur les autres,
non, on revoit plutôt les champs loués par les vieux paysans
les loups de mer on disait, les loups la peau craquée sous le soleil,
les cheveux blanchis, ça, cest le sel, le soleil, la mer,
tout ça, cétait les champs tranquilles avec juste
deux ou trois voisins, mais de loin, de quoi gueuler courir jouer aux
boules tranquilles, sans se dire jamais, mort de trouille, les enfants,
mes enfants, où sont mes enfants. Non. Cétait les
champs avec lâne du paysan au fond, près du puits,
là où le vieux avait son jardin, mais tu parles quinze ans
après le jardin les radis sont cueillis depuis longtemps et lui
raidi cueilli aussi sec, plus de jardin, plus de grand-père ni
béret ni âne, ni champs, tout ça depuis longtemps
transformés en jachère, en désert, en villa Mon Cur,
villa Mon Rêve, eh oui, Bienvenue vous êtes chez vous cest
ça, cest ça, on est chez vous. Paru dans LHumanité du samedi 7 et dimanche 8 août 1999.
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