Mais
au contraire l'eau, qui rend glissant et communique sa qualité
de fluide à tout ce qu'elle peut entièrement enrober,
arrive parfois à séduire ces formes et à
les entraîner. Car le galet se souvient qu'il naquit par
l'effort de ce monstre informe sur le monstre également
informe de la pierre. Et comme sa personne encore ne peut être
achevée qu'à plusieurs reprises par l'application
du liquide, elle lui reste à jamais par définition
docile.
Terne au sol, comme le jour est
terne par rapport à la nuit, à l'instant même
où l'onde le reprend elle lui donne à luire. Et
quoiqu'elle n'agisse pas en profondeur, et ne pénètre
qu'à peine le très fin et très serré
agglomérat, la très mince quoique très
active adhérence du liquide provoque à sa surface
une modification sensible. Il semble qu'elle la repolisse, et
panse ainsi elle-même les blessures faites par leurs précédentes
amours. Alors, pour un moment, l'extérieur du galet ressemble
à son intérieur : il a sur tout le corps l'Ïil
de la jeunesse.
Cependant sa forme à la
perfection supporte les deux milieux. Elle reste imperturbable
dans le désordre des mers. Il en sort seulement plus
petit, mais entier, et, si l'on veut aussi grand, puisque ses
proportions ne dépendent aucunement de son volume.
Sorti du liquide il sèche
aussitôt. C'est-à-dire que malgré les monstrueux
efforts auxquels il a été soumis, la trace liquide
ne peut demeurer à sa surface : il la dissipe sans aucun
effort.
Enfin, de jour en jour plus petit
mais toujours sûr de sa forme, aveugle, solide et sec
dans sa profondeur, son caractère est donc de ne pas
se laisser confondre mais plutôt séduire par les
eaux. Aussi, lorsque vaincu il est enfin du sable, l'eau n'y
pénètre pas exactement comme à la poussière.
Gardant alors toutes les traces, sauf celles du liquide, qui
se borne à pouvoir effacer sur lui celles qu'y font les
autres, il laisse à travers lui passer toute la mer,
qui se perd en sa profondeur sans pouvoir en aucune façon
faire avec lui de la boue.
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Comme
après tout si je consens à l'existence c'est à
condition de l'accepter pleinement, en tant qu'elle remet tout
en question ; quels d'ailleurs et si faibles que soient mes
moyens comme ils sont évidemment plutôt d'ordre
littéraire et rhétorique ; je ne vois pas pourquoi
je ne commencerais pas, arbitrairement, par montrer qu'à
propos des choses les plus simples il est possible de faire
des discours infinis entièrement composés de déclarations
inédites, enfin qu'à propos de n'importe quoi
non seulement tout n'est pas dit, mais à peu près
tout reste à dire.
Je propose à chacun l'ouverture
de trappes intérieures, un voyage dans l'épaisseur
des choses, une invasion de qualités, une révolution
ou une subversion comparable à celle qu'opère
la charrue ou la pelle, lorsque, tout à coup et pour
la première fois, sont mises au jour des millions de
parcelles, de paillettes, de racines, de vers et de petites
bêtes jusqu'alors enfouies. O ressources infinies de l'épaisseur
des choses, rendues par les ressources infinies de l'épaisseur
sémantique des mots !
A tout désir d'évasion,
opposer la contemplation et ses ressources. Inutile de partir
: se transférer aux choses, qui vous comblent d'impressions
nouvelles. Personnellement, ce sont les distractions qui me
gênent. Tout le secret du bonheur du contemplateur est
dans son refus de considérer comme un mal l'envahissement
de sa personnalité par les choses. Le meilleur parti
à prendre est donc de considérer toutes choses
comme inconnues, et de se promener ou de s'étendre sous
bois ou sur l'herbe, et de reprendre tout du début.
Le poète ne doit jamais proposer
une pensée mais un objet, c'est-à-dire que même
à la pensée il doit faire prendre une pose d'objet.
Le poème est un objet de jouissance proposé à
l'homme, fait et posé spécialement pour lui. Cette
intention ne doit pas faillir au poète.
Du peu d'épaisseur des choses
dans l'esprit des hommes jusqu'à moi : du galet, ou de
la pierre, voici ce que j'ai trouvé qu'on pense, ou qu'on
a pensé de plus original : Un cÏur de pierre (Diderot)
; Uniforme et plat galet (Diderot) ; Je méprise cette
poussière qui me compose et qui vous parle (Saint-Just)
. Si j'ai du goût ce n'est guère / Que pour la
terre et les pierres (Rimbaud).
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