Bernard Siméone / Entre les langues : proximité, radicalité L'Indice, l'équivalent italien de la Quinzaine, prépare pour le Salon du Livre de Turin, en mai, un numéro spécial sur la traduction et sur ce qui se passe entre les langues. Cette contribution de Bernard Siméone y paraîtra évidemment en langue italienne. |
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"Ma pratique de la traduction serait-elle à ce point liée à mon écriture personnelle si j'avais choisi de traduire des oeuvres écrites dans une langue très éloignée du français ? Ou bien la nature, objectivement proche, des textes italiens que je traduis détermine-t-elle en grande partie ma conviction d'avoir affaire à deux démarches étonnamment voisines ?" |
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Je me pose depuis longtemps cette question,
qui tourne autour d'une littéralité bien comprise. Traduire
une langue proche, c'est pouvoir soutenir, plus longtemps et plus loin
que dans d'autres cas de figure, l'épreuve de l'étranger
qu'a nommée Antoine Berman. C'est trouver dans la tentation du
calque non un simple repoussoir mais un danger fertile. Jamais comme
dans la traduction de l'italien vers le français, ou vice versa,
je n'ai éprouvé aussi nettement l'interpénétration
des langues et l'acte créateur qui peut en naître. Comme
si l'écriture, dans la langue d'arrivée, ne puisait sa
force et son " naturel " que d'avoir été inquiétée
aussi profondément que possible par les structures et stimuli
de la langue étrangère. Traduire devient alors l'expérience
d'une langue qui vibre aux confins entre son équilibre et son
risque. Oscillations infinitésimales ou grands écarts
incitateurs mais, toujours, variations autour d'un impossible transport,
d'une similitude interdite. C'est le plus proche qui est déjà
le tout autre, pour user de concepts lacaniens qui peuvent éclairer
l'expérience mais ne la déterminent guère. Car
la proximité des langues rend encore plus aléatoire la
théorisation de l'acte. Ce sont mouvements osmotiques de part
et d'autre d'une frontière, indiquée par leur seul repérage.
La frontière se constate plus qu'elle ne se conçoit, sans
cesse modifiée par l'expérience des possibles : que puis-je
me permettre en traduisant, quelle proximité, quelle translation,
quelle radicalité ? que peut supporter la langue qui est la mienne
lorsque la langue étrangère et pourtant proche la scrute,
la dilate, la met à mal, exige d'elle des raisons ? Ce qui survient
alors, le choix qui sera le mien, ce que je m'autorise et ce que je
m'interdis, est le reflet très exact, j'oserai dire implacable,
du rapport que j'entretiens avec ma langue. En termes plus précis,
ce choix signe mon écriture et la situe, que je sois induit -
comme par les poèmes de Vittorio Sereni ou la prose de Silvio
D'Arzo - à demeurer au plus près de l'original, ou - comme
par la poésie d'Umberto Saba ou les récits d'Anna Maria
Ortese - à m'écarter plus nettement d'une littéralité
jugée non signifiante (et ce n'est pas le lieu d'évoquer
les raisons de cette " insignifiance ", qui reflètent
la tolérance dont fait preuve mon idiosyncrasie à l'égard
de l'altérité). |