Christophe Tarkos / Qu'il y ait eu une modification de soi... Je ne le connais pas personnellement, on s'est juste croisé dans des lectures à Beaubourg (Proust, l'an dernier), mais il m'impressionne énormément - FB |
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à lire : "Anachronisme", POL,
janvier 2000
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Tarkos live 5
minutes et 19 secondes Real Audio sur la Sonothèque
de Télérama
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Christian Prigent
a consacré à l'écriture de Tarkos un des essais de
"Les Modernes"POL oct 2000... |
Poésie
impure : "d'une violangue proétique"
Ouvrier vivantTu
es mort, non, je suis vivant, tu n'es pas né, je suis né,
tu es mort et absent, non je suis là et vivant, tu n'existes pas,
j'existe, tu n'es pas là, je suis là, tu ne travailles pas,
je travaille, tu ne lèves pas les poutres, je lève les poutres,
tu ne dors pas, je dors, tu ne manges pas, je mange, je te ferai disparaître,
je ne peux pas disparaître, tu n'as jamais été là,
j'étais là, tu ne marchais pas, j'allais au chantier tous
les matins, tu t'en vas, je ne m'en vais pas, tu es mort, je suis vivant,
tu es vieux, je suis jeune, tu es vieux et triste, je suis jeune et joyeux,
tu ne vas pas au travail, je vais au travail, il n'y a plus de travail,
il y a encore du travail, il n'y a plus d'espoir, je suis l'espoir, il
n'y a plus de force, j'ai des forces, il n'y a plus de volonté,
j'ai de la volonté, tu partiras, je resterai, tu n'as plus le droit
de marcher, je marche, tu n'as plus le droit de parler, je parle, tu n'as
pas le droit de chanter, je chante, tu n'as plus le droit de lever les
yeux, je lève les yeux et je regarde, tu as traversé la
rue en dehors du passage pour piétons, je n'ai pas traversé
la rue, je suis resté sur le même trottoir pendant toute
la durée de mon chemin, je n'ai pas traversé, tu ne chemineras
plus, je cheminerai, tu ne sais pas, je sais.Je
suis la vie, je suis la vitalité, la vie vivante, l'énergie
nouvelle, la nouveauté, le sang frais, la jeunesse du pays, la
force vitale, la jeunesse au travail, l'espoir au travail, le chantier
ouvert, l'ouverture vers l'avenir, la force vive, l'énergie fraîche,
le métal souple, l'animal vivant, le nouveau civilisé, le
corps à l'oiieuvre, le nouveau départ, le travail de la
naissance, la souplesse tendue, la force du travail, les rires, les rires
des vies, la prouesse, la construction, l'élan vers l'avant, les
combattants, le courage, les æuvres ouvertes, les nouveaux hommes à
venir, la montée en vigueur, la poussée, la production,
le germe du monde à venir.Le droit ne couvre pas le monde, le monde
déborde de ce que le droit en jeu joue, est un peu plus grand,
passe par les trous du droit, le droit joue, articule, sait articuler,
articule jusqu'à l'absurde, le droit n'est pas clair avec le droit,
le droit trouve des règles introuvables, contradictoires, des règles
pour ne pas pouvoir répondre aux règles, des règles
pour se retrouver devant une impasse et ne pas pouvoir passer, dans les
trous du droit la légère poussée des voies de fait,
des faits, des c'est fait pour pousser à la faute, le droit à
des trous qui ne voient pas l'homme vivant, le droit oublie, le droit
ne voit pas, le droit apporte des collections de papiers, de papiers couverts
de signes, signatures, marques de tampons, le droit est bizarre, et pervers,
et mensonger, les institutions des administrations n'appliquent pas le
droit, ne veulent pas appliquer le droit, inventent le droit par les faits. J'amène
mes fiches de paye, j'amène ma déclaration d'impôt,
j'amène mon courrier et mes quittances de loyer, j'amène
le papier qui prouve que j'ai été détenu, j'amène
le visa de six mois, j'amène mon passeport, j'amène mon
acte de naissance, j'amène la convocation, j'amène la facture
de téléphone et la facture de l'électricité,
j'amène quatre photos d'identité, j'amène la preuve
d'un dépôt de dossier auprès de l'office français
de protection des réfugiés et apatrides, j'amène
trois relevés de notes de mes études anciennes, j'amène
un certificat médico-légal de l'hôpital de Lyon, j'amène
la décision de rejet de l'OFPRA, j'amène un certificat de
mariage, j'amène une attestation d'hébergement, j'amène
les enveloppes du courrier que j'ai reçu à mon domicile
depuis des années.Je dois faire la preuve que je suis là
pour démontrer que je suis un clandestin, je suis un homme caché
qui doit montrer tous les papiers du travail non caché fait depuis
des années pour rester caché, je montre que je n'étais
pas là pendant tout le temps où je payais mes impôts
ici en travaillant ici, je dois démontrer que j'ai été
détenu pendant deux ans dans un pénitencier secret, je dois
montrer que je n'étais pas là mais que je payais mes impôts,
je ne dois pas ne pas être là, je dois montrer que je suis
là parce que je ne dois pas être là, je dois me montrer
pour prouver que je suis un véritable clandestin irrégulier,
je dois me montrer sûr de mon dossier de preuves qui prouvent que
je suis un véritable clandestin, un travailleur qui est bien resté
longtemps caché dans le pays, qui n'en sort pas, qui n'en ai jamais
sorti, qui y était très bien caché, je ne dois pas
être là mais il me faut ne pas avoir été là
pendant plus de dix ans et prouver que j'étais bien l'ouvrier qui
n'existait pas pendant dix ans, je suis l'interdit, il m'est interdit
d'être là, je suis le dissimulé qui réclame
d'être vu, je suis un clandestin inexistant ayant payé ses
impôts pour son travail clandestin, je suis le caché prouvé,
que je prouve que j'étais bien caché pendant dix ans, que
pendant dix ans on ne me trouvait pas et que je travaillais légalement,
je dois prouver que je suis un des meilleurs clandestin, un des meilleurs
homme caché, montrer combien je me cachais bien et que je travaillais
visiblement, légalement, honnêtement, prouver combien il
est difficile de se cacher tout en travaillant légalement, je dois
faire preuve d'un don de dissimulation de clandestin inscrit auprès
des services fiscaux, je dois prouver et démontrer que je suis
bien entré dans le pays par une voie irrégulière
de façon clandestine par des chemins détournés, que
j'y suis resté de façon irrégulière longtemps,
je dois prouver que je suis vivant.Les vivants gagneront sur les morts.Les
ouvriers vivants grandiront la mort.
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