L’Histoire nous appartient

Joachim Séné était en résidence aux Archives publiques de Noisy-le-Grand.
Son roman en cours, en lien avec les archives de la ville, concerne un épisode de la Résistance : le piratage par le réseau Robert Keller, à Noisy-le-Grand au printemps 1942, des lignes téléphoniques pour écouter les Allemands et transmettre les conversations aux alliés à Londres.


Comment, au départ, est venue l’idée de s’associer pour une résidence au département des Archives d’une ville, en l’occurrence Noisy-le-Grand ?

J’ai commencé fin 2020 à me rendre aux archives de Noisy-le-Grand. Je leur avais dit que je voulais reconstituer le quartier, comme un décor de cinéma. J’avais déjà quelques cartes postales, une vue aérienne, mais c’était tout. Là-bas, les archivistes m’ont montré tout ce qui concernait la période d’occupation, j’ai eu accès à une douzaine de cartons : affiches, courriers, listes, cahiers de taxes… Mon projet leur plaisait, on s’est bien entendu avec Valérie Barbier-Vaillant l’archiviste, Flora Duret au patrimoine et Claire Peronnet la responsable du service. Un jour de fin 2020, début 21, elles ont eu l’idée de m’accueillir avec leur budget d’accueil de chercheur, et le même jour je me posais la question de proposer un dossier de résidence à la Région. Ça s’est fait naturellement.

Aviez-vous déjà travaillé à partir de documentation ? Quelle importance cela prenait-il dans l’élaboration de vos textes ?

Le seul autre livre pour lequel j’ai eu besoin de me documenter intensivement, c’est L’Homme heureux-détruire internet (HH), dans lequel la fiction se tisse avec les câbles sous-marins de fibre optique, les protocoles de communication réseau, et l’histoire de ces technologies. Avec ma formation d’ingénieur informatique, j’avais déjà quelques connaissances et je savais où et comment chercher. En revanche, pour l’aspect historique (câbles télégraphiques, histoire de l’informatique…) j’ai dû creuser, et apprendre. J’ai pris une carte de chercheur à la BNF où j’ai eu accès à des ouvrages d’histoire des sciences, des ouvrages purement technique, et à des cartes.

Que vous a permis la résidence à ce sujet ?

Pour l’aspect documentation, j’avais soudain un accès privilégié aux ressources de la ville, le temps de m’y consacrer. Et puis je me suis senti investi, j’ai pu jouer un rôle, celui de chercheur, j’étais comme autorisé. Je suis donc allé facilement au service historique de la Défense à Vincennes, j’ai envoyé des courriers un peu partout pour poser des questions (archives techniques, sites de mémoire…) avec le sentiment d’être à ma place. J’aurais pu, et même j’aurais dû faire ça aussi sans résidence, mais j’avais un confort non seulement matériel pour le faire, mais aussi symbolique.

Cette expérience a-t-elle modifié votre vision des archives ? A-t-elle changé votre manière de vous documenter et d’utiliser ces ressources ?

Oui, je pense. Car même à présent que je n’ai plus le sésame « je suis en résidence », j’ai écrit le livre, j’ai appris à chercher et cela a été formateur et c’est une corde de plus à mon arc d’écriture que je me sens le droit d’utiliser désormais. Et puis surtout c’est une manière de trouver du matériau d’écriture. Si j’arrive avec une idée de recherche, je vais trouver des choses qui vont partiellement ou complètement répondre à mes questions, mais je vais surtout repartir avec une quantité d’éléments que je ne pensais pas trouver, c’est un véritable trésor.

Votre rapport à l’écriture, vos méthodes de travail en ont-ils été modifiés ?

C’était une amélioration des méthodes utilisées pour HH, comme un diplôme que je passais enfin après avoir bien révisé… On sent, dans mes réponses, je crois, le syndrome de l’imposteur contre lequel je dois lutter en permanence ! Il se peut que la résidence m’ait aidé un peu à le soigner, je me sens plus sûr de moi maintenant quand je sais que j’ai plus d’outils qu’avant, et que j’utilise mieux, dans ma boîte à outils d’écriture.

Comment avez-vous procédé lors des ateliers d’écriture avec l’utilisation d’archives ?

Les publics, qu’ils soient jeunes ou adultes, étaient passionnés d’archives. Le document ancien, la trace rare et précieuse, est quelque chose qui fait rêver, qui passionne, je crois, tout le monde. Quand on montre un parchemin de 1536, ça ne laisse pas indifférent. Un permis de construire de 1934, c’est moins évident, mais quand on a l’histoire qui va avec, c’est tout aussi extraordinaire ! C’était donc très facile de présenter quelques documents projetés au mur et de lancer l’écriture. En partant d’une affiche, d’un plan, je racontais une histoire, je donnais une forme contrainte pour aider à se lancer, et ça marchait tout seul ! C’était fascinant de voir la facilité pour les participant-es de produire de la fiction à partir d’un document historique. Ou encore de chercher une précision dans la description, ou dans la plausibilité. Parfois de ramener le document à leur histoire personnelle, ou celle de leur famille. Et, pour les enfants, à l’actualité de la guerre autour de nous, avec un aplomb, une maturité, une vigilance incroyable. Ensuite, aux lectures finales en public, au milieu des archives réelles, cela disait que l’Histoire nous appartient, qu’on en est tous témoins et qu’on peut la transmettre, sans la trahir, par le document, le récit ou la fiction.

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