Du 20 novembre au 20 décembre 2002 au théâtre
national de la Colline
texte Olivier Cadiot - mise en scène Ludovic Lagarde
musique Gilles Grand - lumière Sébastien Michaud -
costumes Virginie et Jean-Jacques Weil - dramaturgie Anita Kerzmann
- avec la participation artistique d’Odile Duboc, chorégraphe
dispositif informatique réalisé dans les studios de
l’Ircam - assistant musical Emmanuel Poletti - ingénieur
du son David Bichindaritz
avec Valérie Dashwood, Philippe Duquesne, Laurent Poitrenaux Retour définitif et durable de l’être aimé
a paru aux Éditions P.O.L, janvier 2002
"On est dans un cerveau..."
D’abord la scène: un panneau coloré, lumineux,
trois figurines noires, 2 hommes, une femme, survêtement ou
combinaison de plongeur, identiques, bougent.
D’abord, le rythme. Voix et bruits de forêts, animaux,
vent dans les branches, sampling, boucles et roucoulements.
Mécanisme, machination, système.
Revoilà Robinson ? Bienvenu dans les tuyaux à coulisses
d’un crâne-toboggan.
Et ça marche bien, fort, immédiatement. Immédiatement
on est dans le texte senti, le texte musculaire, la parole comme
une balle lancée, un, deux, trois joueurs sur la scène
se refilent la balle, se touchent, s’évitent. On rit.
Ça virevolte. Ça ne raconte pas. Ça danse.
Ça mastique la phrase. Ça goûte. Les acteurs
tous les trois impeccables et précis, vivants, souples, liquides,
brassant dans la matière texte, danseurs et oiseaux.
On est dans un cerveau.
Ça bouillonne, ça brasse, et il faut bien 3 corps
à ce cerveau-là, non ?
Bien sûr côté spectateur la peau des oreilles
est toute tendue, les yeux ouverts (c’est souvent mieux au
théâtre), pas question de dormir, personne ne va vous
résumer ce qui arrive là. D’accord, on a peut-être
des images d’avant, déjà ancrées, quelques
souvenirs de lecture, on se souvient du lapin fluo, de la fête
et du cinéphile allemand, on se souvient de la partie de
campagne un peu, et de super sœur bien sûr, d’accord,
ça aide un peu à relâcher la prise, surtout,
à ne pas chercher le récit à tout prix, ça
aide surtout à ne pas connaître l’histoire, de
la reconnaître un tout petit peu.
(Mais pas tant que ça).
Il faut dire que le texte se donnait déjà à
lire comme scène, avec son découpage, ses lumières,
ses effets stromboscopiques, ses jeux de tempo, ses didascalies
(" pause ", " action "), se donnait à
lire comme fausse scène surtout, genre introuvable ("
si on est dans un film d’espionnage ") introuvable ou
piégé, toutes références jouées
/ dénoncées moqueuses (" Manque ici une vraie
bonne musique de début, effet de tremblé, réverbération
de tout, pur bruit de bruit, comme si on avait augmenté le
son de choses qui d’habitude n’en ont pas, bruit de
champ, bruit de chaleur sur une route, vibration générale
de nature. ") Et au centre du dispositif le son, bien sûr.
Car le travail, magistral, du metteur en scène Ludovic Lagarde
(déjà metteur en scène du Colonel des Zouaves),
est autant une mise en espace qu’une mise en ondes. On savait
vaguement que le travail d’Olivier Cadiot avait à faire
avec ça, le son, les ondes, les couches sonores dans la langue,
et ici, à entendre le texte, on se dit que l’écrivain
a trouvé le metteur en (s)onde qu’il lui fallait, exactement,
on mesure à quel point l’espace sonore met le texte
à l’épreuve, prouve ses résistances,
ses réticences aussi, ébruite ses silences. Soi-même,
bizarrement, on se sent comme greffée d’oreilles neuves,
plusieurs paires d’oreilles neuves ou alors, pourquoi pas,
un peu chauve-souris maintenant, et voilà que ça se
bouscule dans les écoutilles, on se brouille d’interférences
toutes neuves, on sonariser, on ultra-sonne, on entend des choses
bizarres (brouillage sur les sonotones).
C’est ce qu’il y a de bien avec Cadiot : c’est
le pays des merveilles, il y a des royaumes derrière les
trous et des trous derrière les royaumes. Il vous dit que
vous valez mieux que ça, il vous montre que ce petit morceau
de mot que vous tenez de la bouche, eh bien, il est immense, il
peut vous nourrir une année entière. Ce qu’il
y a de bien avec Cadiot c’est la gourmandise, le jeu, l’intense
travail de dépli opéré dans la langue, le paradoxe
de Zénon c’est ça, c’est lui, la flèche
n’arrive jamais, aucune phrase ne s’écrase jamais
sur le sol, il reste toujours un petit espace de sens à déplier
sous vos yeux.
Les gens rient dans la salle, parfois, souvent, mais, si la scène
réverbère bien d’authentiques morceaux des farces
du monde (scènes de fêtes, analyses de films, mystiques
bobos, éclats de bêtise rieuse), ce qu’il reste
à la fin, aussi, et que le texte garde entre ses plis très
pudiquement, mais que les dernières images de la " nageuse
" portent et emportent, c’est aussi affaire de tendresse,
la perte et le deuil. (" Disparue dans une mare ? terminé,
c’est loin, tes yeux tordus, comme un bateau plongé
dans l’eau fait un angle impossible. ")
Pour finir, ces mots de Cadiot : " Comment garder des poèmes,
au fond, c’est la vraie question qui est posée par
la littérature. Comment garder la douleur ? Comment garder
la beauté ? (…) C’est là que le travail
commence. (…) C’est comme ce que je crois dit Godard
du cinéma : c’est construire un terrain de foot pendant
trois ans, faire pousser la pelouse, discuter pression du ballon
avec la fédération, etc. Et jouer dix minutes. "
(Entretien publié dans le Matricule des Anges n°41, novembre-décembre
2002.)
A signaler: Le très beau dossier Cadiot publié dans le
Matricule des Anges n°41 et la fine lecture de Xavier Person
Dans Lexitexte (diffusé gratuitement aux abonnés du
théâtre de la Colline mais malheureusement pas (encore
?) en ligne sur leur site), un texte d’analyse du Retour
définitif et durable de l’être aimé,
par le critique d’art Michel Gauthier, qui explore notamment
la dimension fragmentaire et rythmique du texte de Cadiot, extrait
d’un essai à paraître, le Facteur Vitesse.
Et, bien sûr, la sortie de Fairy Queen, disponible
dans toutes les bonnes crémeries (POL) (de même que
le Cd de la lecture du Retour… faite par Cadiot à la
Colline)
Retour définitif et durable de l’être aimé
Du 20 novembre au 20 décembre 2002 au théâtre national de la Colline
texte Olivier Cadiot - mise en scène Ludovic Lagarde
musique Gilles Grand - lumière Sébastien Michaud - costumes Virginie et Jean-Jacques Weil - dramaturgie Anita Kerzmann - avec la participation artistique d’Odile Duboc, chorégraphe
dispositif informatique réalisé dans les studios de l’Ircam - assistant musical Emmanuel Poletti - ingénieur du son David Bichindaritz
avec Valérie Dashwood, Philippe Duquesne, Laurent Poitrenaux
Retour définitif et durable de l’être aimé a paru aux Éditions P.O.L, janvier 2002
"On est dans un cerveau..."
D’abord la scène: un panneau coloré, lumineux, trois figurines noires, 2 hommes, une femme, survêtement ou combinaison de plongeur, identiques, bougent.
D’abord, le rythme. Voix et bruits de forêts, animaux, vent dans les branches, sampling, boucles et roucoulements.
Mécanisme, machination, système.
Revoilà Robinson ? Bienvenu dans les tuyaux à coulisses d’un crâne-toboggan.
Et ça marche bien, fort, immédiatement. Immédiatement on est dans le texte senti, le texte musculaire, la parole comme une balle lancée, un, deux, trois joueurs sur la scène se refilent la balle, se touchent, s’évitent. On rit. Ça virevolte. Ça ne raconte pas. Ça danse. Ça mastique la phrase. Ça goûte. Les acteurs tous les trois impeccables et précis, vivants, souples, liquides, brassant dans la matière texte, danseurs et oiseaux.
On est dans un cerveau.
Ça bouillonne, ça brasse, et il faut bien 3 corps à ce cerveau-là, non ?
Bien sûr côté spectateur la peau des oreilles est toute tendue, les yeux ouverts (c’est souvent mieux au théâtre), pas question de dormir, personne ne va vous résumer ce qui arrive là. D’accord, on a peut-être des images d’avant, déjà ancrées, quelques souvenirs de lecture, on se souvient du lapin fluo, de la fête et du cinéphile allemand, on se souvient de la partie de campagne un peu, et de super sœur bien sûr, d’accord, ça aide un peu à relâcher la prise, surtout, à ne pas chercher le récit à tout prix, ça aide surtout à ne pas connaître l’histoire, de la reconnaître un tout petit peu.
(Mais pas tant que ça).
Il faut dire que le texte se donnait déjà à lire comme scène, avec son découpage, ses lumières, ses effets stromboscopiques, ses jeux de tempo, ses didascalies (" pause ", " action "), se donnait à lire comme fausse scène surtout, genre introuvable (" si on est dans un film d’espionnage ") introuvable ou piégé, toutes références jouées / dénoncées moqueuses (" Manque ici une vraie bonne musique de début, effet de tremblé, réverbération de tout, pur bruit de bruit, comme si on avait augmenté le son de choses qui d’habitude n’en ont pas, bruit de champ, bruit de chaleur sur une route, vibration générale de nature. ") Et au centre du dispositif le son, bien sûr. Car le travail, magistral, du metteur en scène Ludovic Lagarde (déjà metteur en scène du Colonel des Zouaves), est autant une mise en espace qu’une mise en ondes. On savait vaguement que le travail d’Olivier Cadiot avait à faire avec ça, le son, les ondes, les couches sonores dans la langue, et ici, à entendre le texte, on se dit que l’écrivain a trouvé le metteur en (s)onde qu’il lui fallait, exactement, on mesure à quel point l’espace sonore met le texte à l’épreuve, prouve ses résistances, ses réticences aussi, ébruite ses silences. Soi-même, bizarrement, on se sent comme greffée d’oreilles neuves, plusieurs paires d’oreilles neuves ou alors, pourquoi pas, un peu chauve-souris maintenant, et voilà que ça se bouscule dans les écoutilles, on se brouille d’interférences toutes neuves, on sonariser, on ultra-sonne, on entend des choses bizarres (brouillage sur les sonotones).
C’est ce qu’il y a de bien avec Cadiot : c’est le pays des merveilles, il y a des royaumes derrière les trous et des trous derrière les royaumes. Il vous dit que vous valez mieux que ça, il vous montre que ce petit morceau de mot que vous tenez de la bouche, eh bien, il est immense, il peut vous nourrir une année entière. Ce qu’il y a de bien avec Cadiot c’est la gourmandise, le jeu, l’intense travail de dépli opéré dans la langue, le paradoxe de Zénon c’est ça, c’est lui, la flèche n’arrive jamais, aucune phrase ne s’écrase jamais sur le sol, il reste toujours un petit espace de sens à déplier sous vos yeux.
Les gens rient dans la salle, parfois, souvent, mais, si la scène réverbère bien d’authentiques morceaux des farces du monde (scènes de fêtes, analyses de films, mystiques bobos, éclats de bêtise rieuse), ce qu’il reste à la fin, aussi, et que le texte garde entre ses plis très pudiquement, mais que les dernières images de la " nageuse " portent et emportent, c’est aussi affaire de tendresse, la perte et le deuil. (" Disparue dans une mare ? terminé, c’est loin, tes yeux tordus, comme un bateau plongé dans l’eau fait un angle impossible. ")
Pour finir, ces mots de Cadiot : " Comment garder des poèmes, au fond, c’est la vraie question qui est posée par la littérature. Comment garder la douleur ? Comment garder la beauté ? (…) C’est là que le travail commence. (…) C’est comme ce que je crois dit Godard du cinéma : c’est construire un terrain de foot pendant trois ans, faire pousser la pelouse, discuter pression du ballon avec la fédération, etc. Et jouer dix minutes. " (Entretien publié dans le Matricule des Anges n°41, novembre-décembre 2002.)
Sereine Berlottier
A signaler:
Le très beau dossier Cadiot publié dans le Matricule des Anges n°41 et la fine lecture de Xavier Person
Dans Lexitexte (diffusé gratuitement aux abonnés du théâtre de la Colline mais malheureusement pas (encore ?) en ligne sur leur site), un texte d’analyse du Retour définitif et durable de l’être aimé, par le critique d’art Michel Gauthier, qui explore notamment la dimension fragmentaire et rythmique du texte de Cadiot, extrait d’un essai à paraître, le Facteur Vitesse.
Et, bien sûr, la sortie de Fairy Queen, disponible dans toutes les bonnes crémeries (POL) (de même que le Cd de la lecture du Retour… faite par Cadiot à la Colline)
Sur le site de POL des extraits des livres de Cadiot, dont Fairy Queen et l’entretien avec Xavier Person publié dans le Matricule des Anges.
Sur le site du theatre de la Colline des extraits vidéos et photos du spectacle.
Les pages consacrées à Olivier Cadiot et à Ludovic Lagarde sur le site théâtre-contemporain.net