Luca Rizzatello | Main morte avec doigts_prequel

Traduit de l’italien par Alessandra Cava


Main morte avec doigts est une saga familiale dont chaque saison se compose d’onze poèmes. La première saison a été publiée sous forme de livre en 2012, par Valentina Editrice. Celle que vous vous apprêtez à lire est la deuxième saison, où l’on narre les évènements qui se sont déroulés auparavant. D’autres saisons sont à venir, situées dans des lieux et des temps différents ; les personnages, en revanche, restent toujours les mêmes, à l’exception de ceux qui sont déjà morts, ou de ceux qui ne sont pas encore nés.
Luca Rizzatello



Le réfectoire donne abri à deux chiens,
ou presque. Eh bien, le petit garçon observe
en premier le chien-loup accroché au mur ;
le chien-loup porte une médaille à son cou,
parce que lors de la rafle il a perdu
la vie. L’autre chien est un dalmatien
en Fimo, exclu de la loterie car
il apparaît macrocéphale. Pour mieux
l’aimer, la petit garçon le caresse en
se léchant les cinq doigts, jusqu’à ce que plus
aucune tache noire ne soit visible.

Le jeune analyste ne respire pas
et fixe la gymnaste qui se dépense
pour la collecte de fonds. Dans le foyer
les membres se rassemblent, et le voilà :
le président ; il explique : les moutons
de poussière ne font rien de mal, car c’est
des cheveux, de la peau morte, des textiles ;
puis il se tait. Les membres signent les chèques ;
et la gymnaste trébuche ; l’analyste
se baisse, afin de ramasser tous les chèques ;
les redonne à la gymnaste, qui s’excuse.

Vous ne connaissez ni l’heure, ni le jour,
où la poussière arrivera, avec ses
moutons, et alors l’acarien et l’agneau
seront ensemble, ainsi dit le président.
Le lieu des réunions est l’entrepôt
du centre chasse et pêche ; les animaux
exposés ne peuvent pas être touchés.
La brosse dont la gymnaste se sert pour
l’entretien des sangliers est faite en poil
de sanglier ; la gymnaste confond les
cheveux et les soies, les soies et les cheveux.

Le polyacrylamide est utilisé
pour prévenir les risques d’érosion
du sol, dit le petit garçon ; et puis : au
Minnesota, par exemple, des moulins
industriels éclatèrent, il neigea
farine et bras, et en Oklahoma, ou
au Kansas, au Texas, surgit le Dust Bowl,
les États se vidèrent. Comme ça la
ur-nonne enfonce l’aiguille dans la joue
du petit garçon, tend le fil ; ce faisant
elle écoute Carosello, et sifflote.

Quand elle pousse le bras en bas, le plâtre
se décolle de la peau, et l’air s’infiltre
à l’aide du crochet. La gymnaste observe
le sac de l’aspirateur, puis elle extrait
le fer, et le nettoie contre son jogging.
Le sac de l’aspirateur : un reliquaire,
note la gymnaste, et glose : un utérus.
Alors le président lui frôle le cou-
de-pied droit, et la gymnaste tout d’un coup
ferme les yeux ; il lui murmure : le mot
de passe est poussière ; et après il rigole.

La feuille avec les horaires de visites
est toute déchirée ; le petit garçon
reste en silence, et la gymnaste dit : mange
un p’tit truc, tu bois au moins le bouillon, hein ?
Les gélatines sont vermeilles, ou bien
bleues ; le petit garçon observe les hôtes
se refléter dans les encadrés scellés ;
les spectres des suicidaires, dit-il.
Pendant ce temps la ur-nonne vient plus près,
la gymnaste lui refile la liasse ;
la ur-nonne s’incline, ensuite recule.

Le sac de l’aspirateur est conservé
dans le coffre ; les membres s’apprêtent pour
le rituel, et le président dit : vous
n’êtes pas poussière, vous êtes esclaves
du gommage, du Kärcher entre les carreaux,
du protège-matelas, sales pervers.
Il montre le sac, les membres s’agenouillent
sur les sacs de rechange ; alors la gymnaste
leur effleure la nuque, rassure les
nouveaux, vous êtes dans la nuée, dit-elle ;
puis elle recopie leurs codes bancaires.

Derrière le camion le président
emballe le matériel pour les membres
du Mouvement pour la Libération
des Enfants Poussiéreux ; les détergents
dégagent des vapeurs qui produisent des
visions, Charles Dickens nettoyant les
cheminées pendant que les encaustiqueurs
déchirent ses cahiers. Dans le camion
il y a un autel, note la gymnaste
et rajoute que les paroles sont pauvres.
ou, mieux encore, les paroles sont poudre.

Avec un exosquelette elle serait
aux championnats, et n’aurait pas de plâtre,
susurre le petit garçon ; si j’avais,
mettons, une carapace, serais-je
capable de bien sauter ? dit la gymnaste ;
le petit garçon secoue la tête, et dit :
ça n’a rien à voir avec – la carapace,
répète l’analyste, alors la gymnaste
sourit, et le doigt glisse sur l’accoudoir ;
ça n’a rien à voir, dit le petit garçon ;
pourquoi ça n’a rien à voir ?, dit l’analyste.

Les gouttelettes de cerise confluent
dans le creux du bras, ensuite la gymnaste
les lèche, et elle pose le bâtonnet
sur le plancher, et l’analyste examine
le bois mordillé et les dents violettes.
La menthe est certainement surestimée,
murmure la gymnaste, et puis l’analyste
ramasse le bâtonnet tout recouvert
de moucherons ; laisse-les s’alimenter,
ça te va ? dit la gymnaste ; elle remonte
ses genoux, elle dévoile ses chevilles.

Le président est sur le seuil de la chambre
d’hôpital, et il regarde l’analyste ;
je sais ce que vous faites secrètement,
mais la question n’est pas là ; là, dit-il,
il se trouve qu’elle a bu du brillanteur
cette nuit, dit-il ; elle dort maintenant.
Le petit garçon voit derrière le dos
de l’analyste jaillir le mariage
du prince Rainier avec Grace Kelly,
et les drapeaux monégasques qui s’agitent
à la brise de l’écran, et les colombes.

24 juin 2019
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