Prose express /Maurice Blanchot

Prose express propose une promenade hypertexte dans un domaine esthétique encore neuf, peu formalisé, celui des proses narratives ultra-courtes - ce sont des extraits complets, conçus comme tels par leur auteur, mais une invite évidemment à lire en entier le livre chaque fois indiqué d'où ces textes proviennent

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Dans cette ville, il savait qu'il y avait des gens qui ne fréquentaient personne, et alors il lui fallait se le demander : comment le savait-il? Ce n'était peut-être pas quelque chose qu'il savait, mais qui était compris dans le savoir. Savoir tout autre chose l'obligeait à savoir par avance cela ou à ne pas le savoir. Comment, à partir de là, résister à la tentation - au désir - de partir à leur recherche?

"Comment faire pour les rencontrer? - Eh bien, rien de plus simple : vous tomberez sur eux."

Ils étaient plusieurs, cela aussi, il pouvait en être sûr; plusieurs : vivant ensemble ou bien ensemble et séparés? Plusieurs - cela peut-être l'aidait seulement à n'y pas penser d'une manière trop déterminée; des gens.

"Vous voulez dire : par hasard?" Mais il répéta : "Vous tomberez sur eux." Naturellement, avant même de lui en parler et surtout tandis qu'il lui en parlait, il avait pressenti une autre réponse : "Vous les connaissez." Ce qui l'eût amené à comprendre que les connaître n'était pas la bonne manière de les rencontrer, mais quand il se fut décidé, comme sous la pression des paroles communes, à demander : "Croyez-vous que je les connaisse?", il fut surpris par la frivolité de la réponse : "Comment serait-ce possible : vous ne fréquentez personne."

Du moins le fréquentait-il, même si, tandis qu'il réfléchissait, il pouvait prévoir de quelle manière, le lui disant - mais il ne le dirait pas -, il lui serait répondu : "c'est bien ce que je disais, vous ne fréquentez personne."

 
 
 

Maurice Blanchot, Le Pas au-delà, Gallimard, 1973.