Florence Delay / "Cela s'appelle l'aurore" |
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Prose express propose une promenade hypertexte dans un domaine esthétique encore neuf, peu formalisé, celui des proses narratives ultra-courtes - ce sont des extraits complets, conçus comme tels par leur auteur, mais une invite évidemment à lire en entier le livre chaque fois indiqué d'où ces textes proviennent. |
Parmi les phrases envolées de leur page pour se fixer n'importe où, je retrouve celle-ci, un matin d'août 1996, dans un livre de Joseba Sarrionaindia. Militant d'une cause que son nom de famille suffit à désigner, il écrivit "Ni ez naiz hemengoa" ("Je suis pas d'ici") à la prison de haute sécurité d'Herrera de la Mancha. Journal sous forme d'essai sur le lointain, l'éloigné, le plus éloigné, comme un qui, au désert, essayerait d'entendre le son d'un ruisseau. Je crois aujourd'hui, j'espère, que Sarriomaindia est dans la nature : ayant changé de prison, il a profité d'un concert pour s'échapper, avec un compagon, dans les caisses des haut-parleurs. Voilà ce qu'il notait à l'aube d'un 21 mars, arrivée du printemps: "Comment cela s'appelle-t-il, a demandé une femme, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève. - Cela a un très beau nom, lui a répondu un mendiant, cela s'appelle l'aurore." Alors il se souvient du film de Luis Bunuel qui a pour titre la dernière phrase d'Electre*. Florence Delay, La Séduction brève,
Gallimard, 1997. * de Giraudoux, ce texte étant extrait du chapitre : "Sur le front du bonheur, Jean Giraudoux." et on recommande, de Jean Giraudoux : "Littérature", Folio / essais, n° 267. |