On garde un peu tous les jours des images comme celle là. Aujourd'hui
au pied du pont, au feu, un homme assis sous la pluie, complètement
détrempé, à côté de sacs poubelle noirs.
Je l'ai repéré parce que j'étais arrêtée
au feu. Il tournait le dos à la circulation, les jambes allongées
sur la contre-allée au dessus du caniveau. J'ai pensé qu'il
s'amusait à regarder l'eau passer sous lui. Peut-être ? Hier
en sortant de Gradignan un jeune grand, maigre, des yeux bleus, des boutons
plein la figure, on a attendu qu'il sorte entre les deux gardiens. Il
pleurait, il s'essuyait le nez maladroitement à sa manche avec
ses poignets menottés. Ce geste forcé des deux bras ensemble.
Dans le métro jeudi en revenant de Beaubourg, un homme vieux, sale,
assis sur une banquette, qui saigne violemment du nez. Il s'essuie avec
du papier journal. Tout le monde regarde; on lui donne un paquet de mouchoirs
en papiers, et puis c'est tout. Il saigne, on ne sait pas quoi faire.
Me suis dit ce soir en sortant du boulot que les gens dans la rue avaient
des regards de bêtes traquées, anxieuses, prêtes à
mordre. Je ne sais pas comment moi je les regarde. Et puis quoi ? Tout
le monde voit ça, et voilà. Pas de quoi en faire une histoire.
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