Benoît Lecoq / À
toutes petites haines |
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Benoît Lecoq vit et travaille à Nîmes - on a déjà accueilli sur remue.net une première série de ses proses brèves : Déroute |
A toutes petites haines. A partir de plus rien. A force de comptoirs où plus rien ne se paie. Et à force de contes où tout est arrivé. A petites jouissances, moments méchants, quand vient la gifle de linstant. Que vous tournez en boule, ramassé dans le peu, dégonflé dans la veine obscure des silences. Quand vient ? A partir dune balle, la danse dune balle, loin dune volonté honteuse. Ou dune hésitation défaite. Quand vient ? Parce quil y a la brouille des années. Que dans le ventre gît un beau parleur, un rossignol. Et que lautomne abîme sous le dehors des anges. Quand vient ? Un petit rien habite et va jusquau moment. Dans lhorreur essentielle des amusements. Dans la bêtise réduite. Alors il y a, qui viennent, des fatigues jolies. |
Je suppose, aujourdhui, que rien, là-bas, ne devait être comme on me lavait dit, ici. Je devine quil devait y avoir des étendues. Des bancs de brume crevés par des vols détourneaux. Des moments dembrassade et le silence des fuites. Je devine. Jhypothèque des morceaux de rêve. Fragmente lenvie doublier. Et dêtre seul. Un jour. Au bout du brouillard blanc qui bout dans la marmite. Je suppose que tout était juste ce soir-là. Les paroles volées : des poses maladroites. Les gestes indiscrets : des aveux. Les regards : des preuves. Dans létonnement de la rencontre, chacun brandissait le doute. Après la bousculade, on était heureux den voir qui se pressaient vers la sortie. Vers le secours. La confusion bariolée des regards donnait limpression dune fête. Et quelques-uns, qui avaient bravé lempoignade générale, ouvraient des bouches malhabiles vers des cris irréels. La fuite était en eux. Comme il ny avait pas de spectateurs, que je men
étonnais, interrogeant poliment les ombres qui croisaient, et quà
mes questionnements discrets nulle réponse nétait
donnée, jai supposé quil y avait là un
jeu dus et de coutumes. Je ne dérangeais pas. Je ne dérangerai
pas. Ferai fête ordinaire à ces figures singulières,
à ce comportement baroque. Jai navigué longtemps au
milieu des foules, de la foule. Inquiet et pas très convaincu.
La danse des lampions, la braise des paroles, le tintement froissé
des chiquenaudes, ce tumulte croisé, ocellé, avait, à
la longue, quelque chose de nauséeux. |
Comme le sang venait au marbre, la sueur aux statues, les larmes aux psychés, jai rallié dincertaines mythologies. Lirrésistible envie de mapprocher. De mabandonner à la Parque. Comme le temps balayait, que, dans la pièce malheureuse, le vent avait soufflé trop fort et tous ces objets qui semblaient démunis, chaises renversées, tables absentes, candélabres épars, amphores brisées -, les rêves eux-mêmes sétaient mis à suinter. Quelques oiseaux, implorant dinutiles pardons, venaient crier aux portes, se cognant à elles, proférant, dans un battement dailes affolées, des cris soudains. Et injurieux. Je métais assis là, par terre, dans ladmiration confuse du parquet mosaïqué, de ses lames oblongues. La démence ordinaire commençait à gagner. Assujettie bientôt à lobscurité du langage, aux illusions des images et des mots. Eventration totale. Evidement. Linspecteur de ces lieux je ne sais comment dire autrement sest approché de moi, abattant une main velue sur mon épaule. Réveillant ma stupeur. Mintimant lordre de déguerpir. Jai acquiescé mollement, traînant la patte et maugréant contre les autres et moi-même. Je suis passé par létroite ouverture, à gauche, qui longtemps mavait tenu lieu de boussole. Un spectacle désolant : quelques lambeaux de maisons et des corps incertains au milieu des ruines. Le matin tardait à grandir. A livrer ses miettes. Son ombre ventrue intimidait. Lenvie gagnait de regarder le silence. De saffronter à son regard fier. Tous ces siècles dépassés ! Siècles osseux. Rôtis au grill de labsence. Repus de tous les os repus... Siècles majeurs de labondance. |
A force de traverser des pièces sombres, nous ne prêtions plus guère attention au décor. Le regard sétait habitué au profond et la noirceur saffadissait en ombres duveteuses. Comme je venais de passer un couloir, mimpatientant de la longueur du trajet, je restai interdit sur le seuil. Dans cette pièce, un je-ne-sais-quoi de sourd, de tendre, de tiède. Lindice dun souvenir ; dune amitié peut-être. On eût dit une sorte détuve, traversée par la pauvre lumière qui séchappait des volets à claire-voie. Après mêtre assuré de la solidité du plancher et même des parois le salpêtre qui couvrait les murs dessinait des formes singulières -, jai fait quelques pas, les autres à ma suite. Au fond, une grande armoire, genre homme-debout mais à deux pans, un flanc dédié à la penderie, lautre distribuant des tiroirs étroits et nombreux. Oubliant toute prudence et les autres toujours dans mon dos -, jai avancé la main vers ces cases vieillies, les faisant coulisser lune après lautre, dans un bruit de poulie ou de carriole. Chacune découvrait des objets dautrefois. Les pas à moitié effacés dune histoire. Jetons jaunis, fume-cigarette en corne, stylographe à pompe, menue monnaie percée, dé à coudre ouvragé, montre à gousset, perles fanés, cartes postales sépia, vierges de toute écriture. Et même quelques boutons médiocres quon avait pris soin dempiler dans le creux dun coulant en ivoire. Un vrai puzzle dannées, de dates. Et dhistoriettes. Ces babioles dun autre temps avaient excité la convoitise de mes compagnons et jai dû jouer des coudes, de la voix même, pour les dissuader de sen emparer. Javais en tête de procéder à un relevé détaillé des lieux, des meubles et des biens. Une minutieuse topographie dont un registre ferait foi, témoignant pour les siècles. Tandis que les autres maintenant vaquaient, essayant les matelas, soupesant les oreillers, se disputant les meilleurs des édredons, je my suis fébrilement employé. Un crayon à la main, mon minutier dans lautre, je me penchais, je magenouillais, je me relevais, je prenais toutes les mesures, restituant la disposition des aîtres, les hauteurs sous plafond, lemplacement des choses. Nayant garde, surtout, doublier les annotations marginales : épaisseur des couches de poussière, minuscules articles enfouis au creux des lames du parquet, couleur et qualité des peintures, chaque pièce étant différente. Jai poursuivi tard ce travail, les autres endormis. Et dans la crainte, toujours, que lon surprît ma fièvre. Au réveil, traits tirés, carcasse ankylosée, je me suis découvert, mon album à la main, à-demi allongé dans le moelleux dune méridienne. Le seul meuble qui restait. Vestige. Mes amis les déménageurs avaient tout emporté. Tout vidé. Les murs eux-mêmes ayant été grattés. Dehors, il faisait frais. Les larmes-de-Job avaient envahi
les buissons, même les champs. Et dans la brume, au loin, jai
cru reconnaître la course dune femme au milieu des bruyères. |