Des lits
On dort avec ou on dort près de. On dort dans le même
lit ou on dort dans deux lits séparés. On dort à
côté ou dort tout contre. On dort dort ou on dort fait semblant.
On dort bien ou on dort mal. On dort en bougeant ou on dort immobile.
On dort en sachant que lon dort ou on dort sans savoir que lon
dort. On dort en parlant ou on dort silencieux. On dort en faisant des
rêves dont on se souviendra ou on dort sans savoir que lon
a rêvé. On dort en aimant dormir ou on dort parce quil
le faut bien. On dort avec des objets ou on dort sans rien. On dort avec
des vêtements ou on dort tout nu. On dort avec une lampe ou on dort
dans le noir. On dort en se réveillant ou on dort sans se réveiller.
On dort en cachant un mouchoir sous son oreiller ou on dort sans jamais
rien cacher. On dort avec des boules quies ou on dort les oreilles libres.
On dort avec des gens ou on dort tout seul. On dort en tenant la main
de celui près de qui on dort ou on dort recroquevillé dans
son coin. On dort sur le dos ou on dort sur le ventre. On dort sur le
ventre ou on dort sur le côté. On dort près dun
mur ou on dort sans mur. On dort la tête au Nord ou on dort sans
se soucier des boussoles.
On dort avec Annabel au Vietnam. On dort avec Annabel à Hanoï,
à Hué, à Hoï An. On dort avec Céline
à Paris, à Marrakech, à Ouarzazate et à Zagora.
On dort avec Céline à Santorin et à Amorgos, à
Ham et à Lyon. On dort avec Marianne à Bourg-en-Bresse.
On dort avec Clémentine à La Motte. On dort avec Cécile
à La Réunion, à Paris et dans le golfe du Morbihan.
On dort avec Véronique à la marine de Scalo, à Paludes-sur-noves
et à Avignon. On dort avec Sophie au col du Merdassier. On dort
avec Sophie à Balard. On dort avec Sylvie à Molitor. On
dort avec sa mère à New-York, à Lisbonne et à
Amsterdam. On dort avec son cousin à Nancy. On dort avec sa sur
à Bourg-en-Bresse, à Auteuil, à la Croix-Rousse,
à Venise, à Krk, à Nancy, à Contrexéville,
à Bruxelles, à Barcelone, à Séville, à
Punta della Frontera, à Porquerolles, à Toulouse. On dort
avec Christophe à Lyon. On dort avec Clotilde à Montparnasse.
On dort avec Marc-Antoine dans la Baie des Chaleurs. On dort avec Eric
à Ménilmontant. On dort avec Rodolphe à Moutet, à
Dinard, à Dinan, à Honfleur, à Propriano. On dort
avec Rodolphe à Aix-en-Provence, à Apt, à Gordes,
en Bretagne, à Sens, à Vichy et à Londres. On dort
avec Rodolphe à Boulogne, à Auteuil, à Daumesnil
et à Joinville-le-Pont. On dort avec Jean-Christophe à Bastille,
à Auxerre et à Montparnasse. On dort avec Igor à
Bastille aussi. On dort avec Philippe Passage du désir. On dort
avec Roland à la Convention. On dort avec Olivier à Saint-Jean.
On dort avec Laurent à Molitor. On dort avec Loup et Nils à
la Marine de Scalo. On dort avec Alain à Auteuil, à la Butte
aux Cailles, à République et à Gambetta, à
Montparnasse aussi. On dort avec Alain à Chicago, à Kenosha,
à Boston, à Montréal, à Québec. On
dort avec Alain à Oxford, à Rome, à Florence et dans
la banlieue de Venise. On dort avec Alain à Saint-Affrique, à
Rodez, à Etretat, à Giverny, à Villeneuve Lez Avignon
et à Vaux-le-Vicomte. On dort avec des inconnus dans des dortoirs
à Barcelone, à Montréal, à Québec,
à Tadoussac, à Chicoutimi, à la Nouvelle-Orléans
aussi.
On oublie que lon dort.
On dort seule dans des chambres dhôtels à Chicago,
à la Nouvelle Orléans, à Québec, à
Percé, à Tozeur, à Douz, à Matmata, à
Tataouine, à Djerba, à Bangkok, à Chiang Mai, à
Khorat, à Orléans, à La Rochelle...
On dort sous une tente en Corse, on dort sous une tente sur lîle
de Krk en Yougoslavie, on dort sous une tente près dAvignon,
en Ardèche aussi. On dort dans la cabine dun grand paquebot
entre Marseille et Bastia. On dort sur la couchette dun petit bateau
de pêche amarré dans le port de Porquerolles. On dort dans
un ancien couvent en Ardèche, sous de gros édredons. On
dort dans une cellule de labbaye du Mont-Saint-Odile. On dort dans
un champ à la sortie de la ville de Sens. On dort dans des fourrés
près dune bretelle de lautoroute qui conduit en Bretagne.
On dort dans un jardin public à Boulogne-Billancourt. On dort dans
une maison troglodyte à Matmata, Tunisie. On dort sur les sièges
en plastique de l'aéroport de Moscou, près du petit réveil
de voyage posé sur le sac à dos.
On dort dans l'appartement de la tante américaine à New-York.
Il y a du parquet dans la chambre, de gros cartons pleins de photographies,
des dessins. On entend le bruit des ventilateurs, les sirènes dans
la nuit de Mannathan, central park west avenue. Dans le hall de limmeuble
un homme en livrée veille et surveille et salue, si bien que lon
croit vivre dans un hôtel.
On dort loin sur la terre.
On dort dans des greniers, des hangars, on dort sous des tentes, près
des chevaux dont on guette vaguement les bruits et les insolences : sabots
frappés sur le sol, frottement des longes tirées, cliquetis
des mousquetons et hennissements de luttes obscures.
On ne dort pas dans la paille, on ne dort pas au bord des sabots.
On dort dans son propre lit - une banquette clic-clac pourvue dune
barre qui divise le lit en deux dans le sens de la hauteur, on pense à
lépée dIseult. Parfois on déplie linconfortable
futon qu'il faut rouler et dérouler sans cesse pour aplanir le
coton - rue Erlanger, rue de la Bombarde, boulevard de Vaugirard. On pense
souvent quil faudrait acheter un lit véritable.
On dort sur une banquette clic-clac abandonnée par un locataire
canadien parti en Australie, et dont il a laissé la facture : 899
F. chez Ikéa le 19 octobre 1994.
On dort sous une couette pleine de mots bleus sur fond blanc qui disent
: quel rêve dit-elle en séveillant, quel rêve
cette femme pensa le metteur en scène en voyant la femme séveiller,
mais pourquoi se levait-elle ? le film nétait pas fini, vous
le finirez avec ma doublure lui répondit-elle car le jour se lève,
il faut que je sorte de votre scénario sans queue ni tête,
mais ce nest pas possible supplia-t-il, vous êtes la version
originale de mon rêve
On dort avec le jeune amour dans une chambre de bonne au septième
étage. On dort sur un matelas en mousse fatiguée qui, replié,
forme un petit canapé. On dort la tête contre le mur, les
pieds contre le frigidaire. On dort entre létagère
pour les livres et le placard pour les vêtements. La nuit on entend
les gens longer le couloir étroit. La nuit et le jour des gens
longent le couloir étroit comme sils marchaient entre vos
bras. La moquette est dun rose sale et les murs sont blancs. On
loue une deuxième chambre à lautre extrémité
du couloir. Le sol est revêtu dun linoléum sombre dont
les mouchetures estompent les taches véritables. On repeint les
tuyaux en noir. On installe deux lits à une place qui réunis
forment une grande couche nuptiale. On court souvent dans le couloir dune
chambre à lautre, on court à cause du téléphone,
dune casserole où leau bout, dun objet dont on
a besoin. Souvent on discute de la place des choses, on déménage
les lits, le peu de meubles quon a. La chambre qui faisait office
de cuisine (une plaque électrique posée sur un frigidaire)
et de bureau (une planche sur des tréteaux) devient pour quelques
temps la chambre à coucher. Quand le jeune amour doit rentrer tard
dans la nuit on découpe des flèches en papier que lon
colorie au feutre fluorescent avant de les disposer sur le sol. Elles
le guideront jusquau lit. Il ne peut pas se perdre.
On dort seule dans un lit à une place, on dort à deux dans
un lit à une place, on dort à deux dans un lit à
deux places, on dort seule dans un lit à deux places. On dort seule
et on dort à deux dans un lit à une place et demie. On dort
seule et on dort à deux dans un lit de 140 centimètres de
largeur. En général on dort dans des lits dun mètre
quatre-vingt dix de long. En général on ne dort pas à
trois dans des lits à une place, ni dans des lits à deux
places, sauf si lon est un enfant et que les autres dormeurs soient
vos parents ou vos frères et surs. En général
on dort dans le sens de la longueur, quon dorme seul ou bien que
lon dorme à deux. Parfois on dort à deux dans un lit
pendant un morceau de nuit puis on dort seule dans le même lit pendant
un autre morceau de la même nuit. Dans ce cas-là ce nest
plus tout à fait le même lit.
On fait des bruits quand on dort. Des bruits que lon ne connaît
pas, que lon ne peut pas connaître. Sauf si on décide
de senregistrer, sauf si le bruit quon fait brutalement vous
réveille, sauf si la personne avec qui on dort vous en fait le
récit.
On dort historiquement. On dort sociologiquement. On dort philosophiquement.
On dort scientifiquement. On dort psychologiquement. On dort physiquement.
On dort métaphysiquement. On dort couché. On dort comme
on peut.
Pendant que lon dort profondément les paupières bougent,
le cerveau travaille, la bouche soupire et les rêves rêvent.
Quand on dort à deux dans un lit le corps le sait, il sen
souvient. Quand on dort à deux dans un lit le corps sen souvient
puisquil est rare que lon fasse tomber lautre en le
poussant vers le bord.
Quand on dort à deux dans un lit puis que la personne avec laquelle
on dort sen va le corps se déploie et gagne lespace
libéré.
Quand on dort à deux dans un lit on mène parfois d'âpres
luttes de couettes soutirées, de draps tirebouchonnés, d'oreillers
kidnappés.
Quand on dort à deux dans un lit après avoir longtemps dormi
seul on se demande si lon saura encore sy prendre.
Il ny a pas grand chose à savoir pour pouvoir dormir dans
un lit près de quelquun.
On dort dans un lit près de quelquun quon ne touche
pas ou on dort dans un lit près de quelquun quon touche.
On dort dans un lit près de quelquun quon ne peut pas
toucher ou on dort dans un lit près de quelquun quon
peut parfaitement toucher. On dort dans un lit près de quelquun
quon ne veut pas toucher ou on dort dans un lit près de quelquun
quon ne sait pas toucher. On dort dans un lit près de quelquun
dont on peut toucher les cheveux ou les joues ou on dort dans un lit près
de quelquun dont on peut toucher chaque partie du corps. On dort
dans un lit près de quelquun quon peut effleurer involontairement
ou on dort dans un lit près de quelquun quon ne veut
pas même effleurer involontairement. On dort dans un lit près
de quelquun dont on na jamais vu le corps nu ou on dort dans
un lit près de quelquun dont on connaît le corps nu.
On dort dans un lit près de quelquun quon ne veut pas
frapper ou on dort dans un lit près de quelquun quon
ne veut pas frapper mais qui pardonnera quon lui donne un petit
coup de pied pendant le sommeil.
Quand on dort à deux dans un lit pour la première fois on
vient de faire lamour ou on va le faire ou il nest pas question
de cela.
Quand il nest pas question de cela quand on dort avec quelquun
cest quil est question dautre chose.
On dort souvent avec les hommes que lon aime mais on naime
pas toujours les hommes avec lesquels on dort. Parfois on aime un homme
et on ne dort pas avec lui. Parfois on aime un homme et on ne dort pas
avec lui parce quil voyage, parce quil est marié, parce
quil est à lhôpital, parce quil travaille
la nuit, parce quil ne dort pas, parce quil est contre, parce
quil nen a pas envie, parce quil ne vous aime pas.
On dort dans un lit où il y a deux oreillers, même quand
on y dort seule.
Quand on dort dans un lit il y a forcément quelquun, quelque
part. Le dormeur est quelquun. Le lit est posé quelque part.
Dans un lit on peut aussi parler, rêver, écouter de la musique
ou écouter la radio, dessiner ou écrire, dans un lit on
peut manger et boire, lire des livres, des journaux, des lettres, des
notices de médicaments, faire de la couture, téléphoner,
regarder la télévision, faire des ombres chinoises sur le
mur avec les doigts, se vernir les ongles, se coiffer les cheveux, se
passer de la crème sur le corps, fumer, se maquiller, se démaquiller,
se couper les ongles de pieds, des mains, faire lamour, masser ou
se faire masser, caresser ou se laisser caresser, jouer avec un homme,
une femme, un enfant ou un animal, regarder la chambre autour de soi,
écouter les bruits de la rue et du voisinage, jouer aux échecs
ou aux cartes, faire du trampoline, prendre des photographies, taper à
la machine à écrire ou à lordinateur sil
sagit dun portable, jouer de la guitare ou de la flûte
à bec, écraser un insecte, etc.
Les choses quon fait dans un lit, celle quon fait sur le lit.
Le lit : surface et profondeur. Les choses quon pose sur le lit,
celle que lon glisse dedans. En général des objets
tels qualiments, jeux déchecs, journaux, produits de
beauté, cahiers, ne sont pas dans mais sur le lit (sauf sil
savère quils aient à demeurer cachés.)
Les corps et les livres peuvent être alternativement dans et sur
le lit (même remarque que précédemment). Dans le lit
signifie entre le matelas et le drap, entre le matelas et la couette,
la couverture, etc. Le lit est un fruit qui se mange dedans / dehors.
Dans lexpression se mettre au lit le lit est un lit abstrait. Dans
la phrase viens au lit il ne peut généralement sagir
que dun seul lit.
On dort près dune table de chevet ou dun objet qui
en a la fonction. On dort près dune chaise. On dort près
dune grande malle ouverte à lintérieur de laquelle
on a posé une planche supportant une lampe. On dort près
dun casier à bouteilles composé de petites tiges en
bois qui semboîtent et parfois se déboîtent,
sur lequel est posé un plateau marocain. On dort près dun
casier en bois à roulettes où lon a caché la
télévision. Sur les tables de chevet on pose toutes sortes
dobjets utiles et inutiles. Sur les tables de chevet on pose une
petite lampe en papier japonais, deux réveils (un radio réveil
à quartz noir, un petit réveil de voyage blanc), des stylos,
des livres (Ton corps de Richard Morgiève, Benjamin à Montaigne
dHélène Cixous, le volume 4 du journal de Virginia
Woolf), un ou plusieurs carnets, une bouteille dhuile de Monoï,
un élastique à cheveux, un tube de crème hydratante,
une pince à cheveux, les télécommandes de la chaîne
hifi, de la télévision et du magnétoscope, une bouteille
deau, un yaourt vide et sa petite cuillère, une bouteille
en verre bleue contenant de leau, une bougie juive achetée
au supermarché (memorial candle, kosher, Tel-Aviv, Israël),
une boîte de boules quies, un paquet de mouchoirs en papier, un
cendrier, des cigarettes, une petite boîte dallumettes, un
spray nasal dhuiles essentielles contre le rhume, un flacon de gélules
de valériane, un journal. Quand la table de chevet est une boîte,
un casier, on peut aussi y ranger et même y cacher des choses :
une boîte de préservatifs, des cassettes vidéo, un
flacon de lexomil, des lettres, une boîte de suppositoires Pholcones
contre le mal de gorge, un cahier de rêves, etc. Il arrive donc
que la table de nuit, comme le lit, soit un fruit qui se mange dedans/dehors.
On dort sur le ventre, un bras replié sous loreiller. On
dort sur le côté, on dort en boule, on dort comme une crevette,
un ftus. On dort dans la cage des draps, dans la grotte des couettes,
on dort dans des ventres en tissu. On ne dort jamais sur le dos.
On dort avec le vieil amour dans les lits des hôtels. On dort avec
le vieil amour dans des lits loués. On dort dans des lits loués
à Vaux-le-Vicomte, à Giverny, à Etretat, à
Saint-affrique, à Rodez, à Villeneuve lez Avignon, à
Doubs, à Rome, à Florence, à Montréal, à
Québec, à Boston, à Chicago, à Kenosha, à
Bruxelles. On dort dans des villes dont on oublie les noms. On dort dans
des lits à deux places. On dort sur des matelas variables. On dort
derrière des portes, sous des draps. On dort près de néons
encastrés au mur. On dort près de lampes posées sur
des tables de nuit. On dort sous des couvres-lits en velours, en coton,
en laine. On dort sous des couvre-lits molletonnés, des couvre-lits
unis ou à fleurs, à motifs souvent. On dort dans des chambres
peintes et on dort dans des chambres tapissées. On dort derrière
des fenêtres à rideaux, des fenêtres à double-rideaux,
des fenêtres à stores, des fenêtres à volets.
On dort sur des sols en parquet, en moquette, en linoléum. On dort
dans des lits à sommier à lattes, à ressort. On dort
sur des matelas qui penchent. On dort sur des matelas qui ne penchent
pas. On dort contre des murs. On dort au milieu des chambres. On dort
au rez-de-chaussée, on dort à tous les étages. De
toute façon on ne dort pas beaucoup quand on dort avec le vieil
amour.
Pour faire croire à un corps couché dans un lit glisser
un traversin, dans le sens de la longueur puis dessiner la forme de la
tête au moyen dun oreiller.
On dort avec le vieil amour. On dort après le vieil amour. On dort
avant le vieil amour. Quand le vieil amour dort on veille. Quand le vieil
amour veille on dort. Quand le vieil amour dort on écoute les bruits
du sommeil, les grincements de dents. On pense au bruit que font les hamsters
en tournant sur les petites roues en plastique de leur cage. On écoute
les saccades des muscles agités sous le drap. On respire la sueur
qui coule sur le front. On surveille les ronflements. On mesure les bruits
dans le temps, comme les roulements du tonnerre. On parle à voix
basse. On écoute la respiration. On se lève sur un bras
pour regarder le visage. On pose des questions. On murmure des menaces.
On soupire des mots sans espoir. On respire le jus de vinaigre qui coule
sur loreiller.
Quand les parents redoutent que leurs enfants sen aillent dormir
ailleurs, ce nest évidemment pas du sommeil quils ont
peur.
Comment fait-on pour être si sûr que celui qui dort à
côté de nous nest pas mort ? (Son corps est chaud,
on entend sa respiration, son souffle fait trembler un cheveu, parfois
il bouge.)
On dort, on croit dormir, on ne dort pas, on rallume, on ne rallume pas,
on tourne, on se force à garder les yeux fermés, on s'interdit
de regarder le réveil, on arrange la couette sur les pieds, on
arrange l'oreiller sous la tête, on a soif, on boit, on a peur,
on a des pensées qui tournent, on ne compte pas les moutons, on
pense à une plage, on pense au corps chaud, détendu, allongé,
au bruit des vagues régulières, ça ne marche pas,
on sen va, on revient, on retourne sur le rocher, on s'assoit, on
regarde pêcher les oiseaux, on écoute, on respire, on est
trempé de sueur, on n'y arrivera pas, on regarde l'heure, on compte
ce qu'il en reste, on se redresse, on allume la bougie, on fume une cigarette,
on respire fort, on se force à respirer avec le ventre, on a les
yeux qui piquent, on inspire longtemps, on inspire en comptant les secondes,
on relâche doucement le souffle, on se vide de haut en bas, on pose
la main sur le ventre, on se lève, on va chercher un yaourt dans
la cuisine, on le mange dans son lit, on ouvre un livre, on le referme,
on fait tomber un comprimé dans sa paume, on pleure, on avale,
on souffle la bougie, on se recouche, on se promet d'aller voir un médecin,
on se promet d'acheter des gélules aux plantes, on se masse les
mains, on récite un poème à voix haute, on écoute
un morceau de musique, on ne dort pas. |