C’est l’histoire d’on aime la poésie et on
aime la peinture, c’est l’histoire d’un jour on se
croise dans un palais, d’un soir on se rencontre devant les tableaux
de « L’herbe écrit mais le vent chaule », et
c’est le début d’une nouvelle histoire où la
géographie n’est pas d’on s’éloigne mais
d’on s’avance, n’est pas d’on s’oublie
mais d’elles se rapprochent celle qui habite à Paris dans
la Seine et celle qui habite à Crest dans la Drôme et qui,
Caroline Sagot Duvauroux, lui envoie Penser :
« Je pense. Non. Penser
glisse et je pense. Ou plutôt je ne pense pas je ne crois pas que
je pense ou presque pas. Je glisse jusqu’à demain. L’origine
est demain l’origine du poème. Alors penser ne peut. Mais
la bouche ouverte oui comme les poissons pour gober l’origine qui
vient de demain et des hameçons. Saurai-je ? Car je ne sais rien
ou bien de très petites choses des noms d’oiseaux. Pour
accompagner l’origine qui coulera dans ma langue, demain. Les choses
que je sais ne s’accrochent pas alors je ne les sais plus. Toute
la pensée est un paysage je glisse dedans. Des idées se
croisent dans l’obstination des veuves de pailles. Ca m’intéresse
c’est sûr. Mais beaucoup moins que le vent qui les défait,
alphabet compris. On peut baver de rire avec le vent. C’est très
inutile toutes ces ignorances mais c’est ainsi. Pas très
utile non plus ce qu’on sait quand la montagne tombe. Sauf les
noms d’oiseaux peut-être ou la langue du chant tête
renversée ou dans la rivière les mains enseignées.
J’attends quelque chose peut-être terrible chose mais peut-être
pas. Une origine. Parole. Un cri c’est pas sûr. Pas toujours
des cris. Une inquiétude déchire ce qu’on sait et
ce qu’on ignore. Une inquiétude verte dans la sommation
de l’herbe. Les oiseaux voient. Regarde leurs yeux ronds qui voient
mais quoi ? Vient la giboulée j’aime assez. »
Je me
demande : (c’est) à voir de quoi parlent les mots, à voir
de quel monde (dont les balises ne seront pas ancrées), de quelle
traversée, de quelle plongée, de quelle remontée,
de quels noms, de quels vous ils portent le précipité.
J’écris à Caroline : Tu peins aujourd’hui tu écris – raconte-moi.
Et CSD me répond :
« rendre visible puis dire il y a de l'invisible
l'écoulement est à la
peinture et les matières râpeuses
mais il reste des cailloux une fois l'eau bue par le support. Des cailloux
déterritorialisés et c'est pas toujours des cailloux parfois
des livres tranchés, enterrés, chamanés. je n'ai pas d'autre
façon de commencer que de bégayer et et et le chant et et et
la danse... un peu comme une surdité verbale. On me montre une évidence
avec la main ouverte de l'évidence, je ne comprends rien. Je regarde
la main. C'est moi qui montre et c'est moi qui regarde alors je restitue les
mots que je dis sur la main ouverte que je tends sans chercher leur sens mais
plutôt leurs rouages leur rapidité de heurt, leur sommation d'être
qui frise l'anomie et je dis c'est poème pour faire court. Dans le fond,
Hourvari, Atatao bredouillent une façon de genèse du poème,
une genèse assassinée par fourche de langue, par un démembrement
tel que le souffle va cogner où il peut, bloqué aux parenthèses,
interdit de virgule et de soupir, bloqué c'est tout sur le chaos par
trop de fractales, par la concomittance des hommes sans nom de Guantanamo,
des graminées vagabondes, de la montée consentie du servage ,
de l'arrogance des seigneurs de l'argent qui évaluent la chute du peuple
et sa stupidité de contremaître de lui-même, j'ai peur le
ciel est bleu c'est très doux d'aimer je hais les soldats aux yeux bleus,
Agamben écrit force de loi en barrant le mot loi, il faut désormais
des jardins pour protéger les mauvaises herbes, alors que faire sinon
recopier le concassage du chant mais s'il venait le laisser faire. Tout ça
polyphonie de basse-cour c'est l'histoire du troisième livre (probablement
: Petit et gros bétail) mais là un regarde immobile l'autre courir
et si dans la schize s'engouffrait le temps de la contemplation (quel est ce
temps ce morceau sans mémoire) ou même un peu de nielle de Damas
etc… Si tu veux un s'est arrêté au point de retour d'Hourvari
et l'autre (c'est le même) continue la course effrénée
d'avant et d'après, je ne résous rien hélas. En typographie
la main ne cesse d'aller de la casse à la casse en passant par le marbre
(l'île ?) avec son petit chargement de plomb dans une vie indépendante.
Un peu de ça ?
Je pourrais dire, comme les architectes, la peinture, le dessin font la place
au poème. Je pourrais dire aussi que ma peinture vieillissait, que mon œil
butait, mal vissé à la charrue, la main. L'écriture piaffait
dans des débutements. J'avais besoin de jeunesse, je n’avais pas
encore connu la jeunesse. Je pourrais dire aussi, ce qui est la réalité,
que je n'ai jamais désiré que le poème et que j'ai peint
pour ne pas écrire (sinon en cachette et de qui ? de Rimbaud ?). Puis
j'ai compris que lire avait changé ma vie, non lire tel ou tel, non,
lire, être reconnue par des signes dans toute ma surface, percepts, affects,
sentiments peau conscience etc. à la fois. Lire donc fut longtemps écrire
et j'ai repoussé écrire jusqu'au hoquet et peindre convenait à ma
forme de vitalité, de brutalité peut-être et au plaisir
de présenter, de retourner l'image, d'offrir (ce geste). Je n'aimais
pas tellement l'image pourtant mais une sorte de chahut, de brassage, d'ailleurs
j'avais l'impression de peindre pour fuir la métaphore puis ensuite
d'écrire pour casser l'image. Un jour dans ce hoquet comme insurrectionnel
(ces mots sont trop grands pour de tout petits destins individuel mais ça
va plus vite) j'eus l'illusion de poser un refus pour guerre, un tremblement
de peur et d'audace, lire s'est retourné. Il y avait des creux, des
absences à mouler, enfin c'était obligé. Le jardin des
fugitifs de Pompéi est très présent dans Petit et gros
bétail. Les gens sont morts donc, asphyxiés. Puis la cendre les
moula puis les corps disparurent par putréfaction ordinaire et les creux
retrouvés, l'absence des corps, furent coulés de plâtre.
Reste un os parfois (l'os du vide). J'en suis au plâtre mais c'est l'os
du vide qui m'inquiète et que je convoite. Mourir n'est pas l'exception,
c'est vivre qui est l'exception et là tu vois, saisi par un matériau
pauvre et dans son absence, l'état d'exception de vivre. Le solstice
de la règle, disons que ça m'intéresse. »
Je ne sais
pas parler de la poésie, je sais seulement la lire. « Rêver.
Avoir attendu mille de leurs vies à quoi on ne peut hélas, rien
retrancher. Dans le défaut de tant de choses, c’est enfin. Il
fallut mille années pour oser, quelle audace, prendre un train pour
départ. Il fallait bien ce temps pour oser l’exacte séparation.
Vivre, dire vivre dans l’exacte séparation. Aucune attente d’aucun
bienfait que vacuité plus grande. Fréquence » (Hourvari
dans la lette), seulement aimer :
«
défenestrée d’une croix quelconque
pourquoi ce trait encore ce dernier
rappeler le faucon
avant qu’empiéter sa proie des deux serres
tout
puis le charme rompt
tendre le cou venez ciel et les feuilles d’automne
arrêtez saccages ou les deux pieds partez devant
j’arrive »
seulement aimer lire : « J’ai pris
le bateau, clandestin, j’ai tracé fil sur l’eau. Me
suis livré à perdre
trace, à la langue française. J’ai lancé un
mot, cherché un nom. Ou balancé un nom pour qu’un
mot me revienne. J’ai refusé les dégoûtantes
histoires de vide et de plein. J’ai frayé par oisiveté et
l’horreur
des conquêtes dans les traces de Io et chu dans la spirale où Lavinia
choit. Mes nerfs sont devenus fragiles jusqu’à l’extrême.
Sale culture que celle des mythes et de l’élégance.
Dans le trou de verdure et forêts de Shakespeare, je commettrai
sur moi le crime et le meurtre et le viol et tu regarderas jusqu’avaler
ta langue. Jusqu’à l’Atatao du Pérou jusqu’enfin
tot et tôt le moment venu » (Atatao).
Il est question d’il
y a des routes, d’il y a des trains,
d’il
y a des fleuves (qui jamais ne ramènent). Il est question de galope,
de bouscule, de fraie, de perce. Il est question de chasse, de poursuite,
de fuite, d’échappée, de départ (jamais de
retour). Il est question d’il y a des meutes et du gibier et des
chasseurs. Il est question de Io et de Lavinia – de quoi est-il
questions en poésie
? est-il questions de quelque chose ? peut-il être autre conduite
que déboucher en grand désordre de chevauchées sur
un plateau où la voix chante, déchire, déplore,
chavire, impulse, arrache aux parois gémoniques, voue aux souffles.
CSD
qui arrive toujours de quelque part a publié Hourvari dans
la lette et Atatao en 2002 et 2003 chez José Corti.
Aussi : L’herbe écrit
mais le vent chaule (le texte qui accompagnait l’exposition
de la rencontre), Comment dire ?, La peur est bleue, Sous mon repentir
jaune (extrait d’un
entretien avec André Gintzburger) ; avec le peintre Jean-Paul
Héraud
: Une boussole pour Annie, Les Laissées, La Tuade. À partir
de « aussi »,
les livres sont parus chez « Les ennemis de Paterne Berrichon » (17,
rue des Vieilles-Prisons, 26400 Crest), un éditeur-libraire qui
n’édite
et ne vend, à ses jours et à ses heures, que les textes
et les livres qu’il lit. Il a été ici question de
présence,
de silence, de lire et d’écrire, d’écouter
les images hautes.
Dominique Dussidour,
décembre 2003.
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