Anne Bihan / Loin d'Avignon une lecture de Nicolas Kurtovitch au Centre d'art de Nouméa |
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Théâtre de l’Ile : du bagne
à la culture pour découvrir Nicolas Kurtovitch : Une Vie et Ouessant Haïbun, deux inédits cette page a été préparée par Anne Bihan contact avec l'auteur via le site |
Le Théâtre de l'Ile à Nouméa, sur l'île Nou, et le Centre d'art, dans l'ancienne prison. |
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Loin
d’Avignon
C’est l’hiver. C’est dehors devant les lourdes portes des prisons d’un ancien tribunal. Dans une ville bloquée par une grève générale à laquelle on ne comprend pas grand chose. Une trentaine de chaises penchent jusqu’à ce que le poids du spectateur enfoncent les quatre pieds dans le gravier de la cour. Certaines resteront penchées. Il y a une simple estrade posée à même le sol. La lumière donne tout en haut des murs à travers les ouvertures munies de barreaux d’anciennes cellules. Des silhouettes se glisseront tout à l’heure derrière la voix du lecteur parce qu’il sera temps de rentrer chez soi. Il n’y a plus de prisonniers. Les cellules abritent des bureaux d’association. Des salles de répétition. Une petite camionnette d’entreprise est de reste sous le porche. Les travaux de réfection en cours visent à rendre les lieux plus fonctionnels. Du thé chaud circule. Je l’ai dit c’est l’hiver. Le calendrier, qui ne sait toujours rien du climat tropical, qui ne connaît que quatre saisons, l’indique depuis le 21 juin. Il fait nuit de bonne heure plus encore que l’été. Ici l’allongement des jours n’est jamais une conquête. Tout juste une fine variation d’une saison à l’autre, la chaude et la fraîche. Pas de quoi en faire une fête. C’est loin, bien loin d’Avignon. Le premier est comédien, metteur en scène, à l’origine avec sa compagne Maryse Courbet de la compagnie Le Bruit des Hommes. Ils sont en résidence permanente dans le Var, à La Garde. Ils ont monté il y a peu Parking, puis Dehors est la ville, de François Bon. Vous dites « antipodes ». Nous aussi. Chacun aux antipodes de l’autre. L’autre est écrivain. Né en Nouvelle-Calédonie d’une vieille famille du pays par sa mère, Yougoslave par son père qui a quitté Sarajevo en 1945. Poète d’abord, surtout, toujours. Auteur aussi de nouvelles, de pièces de théâtre. Prix du salon du livre insulaire de Ouessant en 2003, section poésie, pour Le piéton du dharma. Ce sont des extraits de ce recueil en trois livres que lit Yves Borrini ce 3 août 2004 dans la nuit australe. Loin, bien loin d’Avignon. Alors monte le désir de faire savoir qu’ici quelque chose aussi peut avoir lieu. Un moment de vie minuscule. En compagnie d’un public rare, préoccupé quand même, sûrement, par cette grève dehors, mais on en parlera peu. Dans un lieu chargé d’histoire. Et tant pis si nos palais des papes sentent le bagne, si le Théâtre de poche juste en bout de l’enfilade des cellules a élu domicile dans l’ancienne salle d’audience. De toute façon, Yves Borrini a préféré la cour où rôde encore sûrement d’anciens déshonneurs, le vent du soir et quelques flambeaux plus en accord avec les mots. Cela commence presque banalement, par un accord de guitare. Jonathan Kurtovitch, le fils, joue. Yves Borrini est de ces hommes qui se tiennent debout dans
leur regard. Force, fraternelle chaleur. La voix vient après, offerte
aux mots d’un autre : Il lit les date aussi, Yves Borrini, ces marqueurs de temps
comme les pas d’un piéton en quête de présence
: La voix d’Yves Borrini continue. Livre II.
Le didgeridoo a pris le relais de la guitare. Paris, Poitiers, Barcelone.
Au cœur du livre une prière pour guider l’âme
de mon père au matin de sa mort. Pour qu’il court et saute,
se libère l’enfant de Sarajevo de ce corps devenu trop lourd
: Livre III. Guitare électrique. Ode aux pauvres. Parce que « Avant le poème / il y a ce qui est / inadmissible ». Et toujours Montagne froide. La voix d’Yves Borrini porte la colère contre tout ce qui attente à l’homme. Boue, squat, cabanes, la couverture insuffisante, l’alcool pour la survivance… Elle est loin l’image lagon bleu sable blanc de « l’île la plus proche du Paradis » placardée il fut un temps dans les couloirs du métro. « Je le pensais, j’en suis certain après avoir entendu Yves lire ces textes. Je ne les ai pas écrits, ils se sont écrits en passant par moi », dira Nicolas Kurtovitch après le dernier accord. Il est presque 20 h. Loin, bien loin de l’horloge d’Avignon. Cette fois le froid est tombé vraiment, pas de neige bien sûr, les tropiques tout de même. On ira partager un plat de pâtes. Et après demain, si les piquets de grève sont levés, le Théâtre de l’Ile, installée dans un ancien bâtiment du bagne sur Nouville, l’île Nou, « l’île de l’oubli », accueillera les dernières représentations de Une journée particulière, d’Ettore Scola. Maryse Courbet en signe la mise en scène. C’est pour la rejoindre qu’Yves Borrini est venu et s’est laissé tenter à sa descente d’avion par cette soirée-lecture d’un livre aimé. Maryse est arrivée il y a deux mois environ pour mener à son terme le projet que portent de longue date Nicole Kurtovitch, la compagne de Nicolas, et Jean-Louis Canolle, intermittents du spectacle à leur façon entre cours d’espagnol pour l’une et d’arts plastique pour l’autre. Le théâtre est chez eux une passion lointaine. Elle leur a proposé la présence d’un
troisième personnage, la jeune fille à l’oiseau, interprétée
par Linda Kurtovitch, qui commence une carrière de danseuse dans
une compagnie lyonnaise. Une jeune fille qui provoque, écoute,
virevolte, tour à tour dans et hors d’une grande cage qui
tourne. Destin, témoin, visage de l’espérance. C’est
beau. C’est juste. Ça compte. Déni, déportation, colonisation, génocide, des peuples entiers, des langues menacées de disparaître. Des paroles cherchant une voix pour les dire loin des images en quadrichromie sur papier glacé. Cherchant LEUR voix pour SE dire. Écrire, lire, jouer, mettre en scène sont gestes de témoins. Rome 1938, Nouméa, Sarajevo, Uluru... Toute cour où s’élève la voix
d’un homme qui dit « non » à l’oubli est
cour d’honneur. A.B.
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