Deux chaises. Un petit magnétophone par terre.
De la musique.Une femme et un homme. Elle assise de face. Lui debout,
allant et venant, regardant alentour.
H : Quest ce quon entend ?
F : Une musique.
Une sorte de musique.
Quelque chose de pas défini.
H : Ah oui, bien sûr.
F : Des notes comme ça, çà et là.
H : De la gaîté.
F : Vous croyez ?
H : Des notes qui senchaînent. Des touches enfoncées
avec plus ou moins de force.
Un temps.
F : Cest cette machine, là devant, voyez.
Il se penche. Vient sasseoir à terre près du magnéto.
H : Des touches. Play. Stop. Pause.
Rec. aussi.
Review et Cue.
Review par ici et Cue par là.
F : Repeat ?
H : Comment ?
F : Une touche Repeat ?
H : Ah oui, là, au-dessus.
F : Appuyez. Ça répétera.
En boucle la musique.
Ils écoutent. Il vient sasseoir près delle.
H : Nous voilà bien.
F : Y a plus quà attendre.
Mettre un mouchoir sur nos tracas.
H : Vous êtes de la région ?
F : Pas du tout. Jétais juste de passage. Javais rien
prévu.
Voilà tout.
H : Tout pareil, moi aussi.
Rien vu venir.
Un temps.
H : On va attendre.
F : Attendons. Prenons patience.
H : Faisons connaissance.
Ils se tournent lun vers lautre.
F : Dabord, limportant, cest de se regarder.
H : Se détailler même.
F : Vous êtes plutôt pas mal de votre personne.
H : Je vous retourne le compliment.
F : Vous trouvez ?
H : Ah, oui oui. Jaurai pu plus mal tomber.
Vu la situation.
F : Je vous remercie.
Un temps.
F : Pas le coup de foudre mais bon.
Tout de même.
H : Pas lendroit pour ça.
F : Ça...
Ni le moment.
H : Vous lavez dit.
F : Rapprochons-nous. Touchons-nous les mains pour commencer.
H : On verra bien plus tard.
Ils se tiennent les mains, visage contre visage.
F : Écoutez...
H : Quoi ?
F : Cette musique...
H : En boucle ?
F : Écoutez bien. Attentivement.
H : Je suis oreille tendue.
F : Une sorte de gravité au départ.
H : Oui. Pas longtemps.
F : Puis comme une allégresse.
Ils se lâchent les mains. Se tournent vers la machine.
F : Une allégresse qui envahit. Puis qui se brouille. Quelque chose
qui fâche.
Écoutez.
Elle se baisse. Remet au départ.
F : Écoutez.
(Au fil de la musique) Une sorte de gravité...
Une allégresse qui envahit...
Puis qui se brouille...
Quelque chose qui fâche...
Elle se rassied.
H : Cest vrai.
Peut-être...
F : Dites toujours...
H : Je ne sais pas. Une rencontre peut-être.
F : Une rencontre. Une liaison. Un moment dallégresse. Puis
un déchirement. Comme un sentiment repoussé.
H : Reprenons.
F : Review.
H : Review.
Il se baisse, fait revenir en arrière.
F : Chacun savance.
H : Un grave et un aigu.
Je propose, je ne sais pas, pourquoi pas, un homme et puis une femme.
F : Ça ?
H : Oui. Un homme et une femme. Éventuellement.
F : Là ?
Review.
H : Ok, Review.
Review.
F : Non, plutôt un désir, léger, guilleret, aigu.
Et puis la raison, grave et ennuyeuse.
H : La raison ?
F : Celle que lon nous dicte. Ce que tout le monde pense.
La raison quoi. Vous savez bien.
H : Le désir et la raison.
Se poursuivent, se courtisent.
F : Sapprochent, sobservent et se repoussent. Désir
prend lavantage, un temps, Raison succombe au charme, Désir
mène la danse, un temps.
H : Chute, laisse la place.
F : Courbe léchine. Rentre dans le rang. Raison reprend ses
droits. Tout le monde est content.
Review.
H : Review.
F : Monsieur Désir.
H : Madame Raison.
F : Monsieur désire...
H : Aigu et virevoltant.
Elle tend la main.
F : Monsieur désire ?
Il vient contre elle.
H : Désire ?
Ils senlacent. Ils sembrassent.
H : On verra bien, plus tard.
Ils ôtent leur chemise. Sont lun et lautre
parfaitement torse nu.
F : Monsieur désire ?
H : Venir plus près et faire bâiller ce linge.
F : Le vôtre bâille déjà.
Ils ont chacun la main dans le pantalon de lautre.
F : Review.
H : Plus tard. Plus tard.
Ils se caressent. Les souffles saccélèrent.
Les yeux se ferment.
La musique, en boucle.
F : Là, là...
H : Ici ?
F : Non, là...
Elle tend la main en lair, vaguement.
F : Là...
H : Je vous caresse ?
F : Non, là, ces notes, là...
H : Les aiguës ?
F : Oui, oui...
H : Le désir ?
F : Mieux, encore mieux. Là, ces notes-là.
Écoutez, mon Dieu, entendez.
On croirait le bonheur.
H : Quest ce que cest que ça ?
F : Le bonheur, là, le vrai.
H : Quest ce que cest que ça ?
F : Une inconnue, un coup de vent.
Une seconde dinattention.
Un mystère.
Review.
Review.
Review.
Ils jouissent.
Un temps.
Il se dégage. Se penche. Revient en arrière.
H : Là ? Cette allégresse-ci ?
F : Trop tard.
H : Cette échappée, le vrai bonheur ?
F : Trop tard vous dis-je. Envolé.
Un mirage sans doute.
H : Cest très gai, je vous laccorde. On se sent, comment
dire, transporté.
F : Laissez cette musique sarrêter.
H : Maintenant que vous lavez souligné...
F : Baissez le son que diable.
Et rhabillez vous.
Un temps. La musique sarrête.
F : Vous me répugnez.
H : Madame a raison.
F : Vu la situation.
Pas vraiment vraiment le moment.
H : Madame a raison.
F : Taisez vous, imbécile.
Un temps. Ils se rhabillent.
F : On est là, et vous...
H : Restons assis.
F : Voilà.
H : Ils finiront bien par venir.
F : Pousser la porte. Nous délivrer.
H : Nous laisser respirer dehors. Rejoindre lextérieur.
F : Retrouver la vraie vie.
Soccuper tristement de soi.
La musique sinterrompt.
Un temps.
H : Doù vient cette machine ?
F : Laquelle ?
H : Là, le lecteur de cassettes.
F : Je ne sais pas. Il était là quand je suis entré.
Posé au même endroit quand ils vous ont amené.
H : Pas vu.
F : Pouviez pas, comme ça, dun coup, tout voir. Pas vraiment
vraiment la première chose.
H : Oui, dabord les murs, les chaises et vous, assise là.
Les fenêtres obturées.
Le bruit, derrière, de la porte.
Il se lève, vient prendre lappareil et commence à
aller et venir en appuyant alternativement sur Play et sur Stop.
H : Pas grande qualité mais tout de même.
Bon petit magnéto.
F : Un vrai luxe.
H : Posé là on se demande pourquoi. Dans quel but.
F : Pour adoucir ou torturer. Au choix.
H : Pensez, un seul petit morceau de rien du tout. Deux trois minutes
à peine. À tourner comme ça en boucle. Une sorte
de musique pas bien définie. Pour danser ou va savoir quoi.
F : Pour adoucir les curs.
H : Ou torturer. Rendre dingo.
F : Du grave et puis du gai. Juste quelques petites notes de gai, insidieuses,
délicieusement légères.
H : De lallégresse pour enfoncer le clou. Nous rapprocher.
Nous jeter lun sur lautre.
F : Trop de bonheur.
Un temps.
H : Peut-être pour ceux-là qui viennent nous visiter.
Histoire quils pensent Pas si terrible que ça leur affaire,
voyons quoi, même de la musique ils ont. Lhôtel quoi.
Le paradis. De quoi peuvent-ils se plaindre ? Tout débraillés
dailleurs. Ont du danser toute la nuit et plus.
Ceux-là qui viennent nous visiter. Bien entourés.
Pas un pas de côté. Suivez le guide.
F : Qui sait ? Une illusion pour nous faire croire que tout va bien et
que tout ira bien. Comme un suppositoire pour la douleur effacer.
H : Du bruit, des notes martelées avec plus ou moins de force pour
couvrir une autre musique, celle-ci plus grave, dénuée de
toute gaîté. Une voix de gorge ou bien de tête.
À côté. Derrière le mur. Tout un bâtiment
de voix de gorge ou bien de tête.
Il repose lappareil. Se recule, sassoit sur ses talons pour
mieux observer et le magnéto et la femme.
F : Rien, ni personne, ne nous oblige à écouter. À
jouer cette musique.
On peut toujours laisser le silence, tranquillement, sinstaller.
H : Vous aimez ça, vous, le silence ?
F : Un temps peut-être. Une heure ou deux pour mieux respirer. Après,
cest vrai, un peu dangoisse. Une gêne.
Quoi dire alors ?
H : Je ne sais pas. Faire connaissance.
Un temps.
Ils se regardent de loin puis lui se rapproche et vient, à nouveau
près delle, sasseoir.
H : Review ?
F : Une dernière fois peut-être.
Il remet en marche.
H : Quest-ce cest, à votre avis ?
F : Une musique.
H : Oui, une sorte de musique. Une chose indéfinie.
F : Bien sûr.
H : De la gaîté et puis du grave.
F : Peut-être un, ou des enfants.
H : Peut-être un adulte avec eux. Hésitant à grandir.
F : A passer lautre côté. Encore tenté par ce
temps-là.
Pas vraiment convaincu.
Demandant sans doute à voir.
H : Aurait préféré faire demi-tour. Fermer les yeux.
F : Des notes comme ça, çà et là. Frappées
et enchaînées.
H : Libres de senvoler.
Un temps.
F : Vont bien finir par venir.
Un temps.
H : Venez plus près. Venez tout contre moi et donnez vos
mains. Vos lèvres.
Ils senlacent assis sur les chaises.
F : Cest une sorte de musique. Comme un enivrement.
H : Comme un rivage avec la mer.
F : Un oiseau. Un papier envolé.
H : Une fuite en avant.
F : Quelque chose comme ça.
H : Une promenade ou une noyade.
Un chagrin où lon se souvient, où le cur se
serre.
F : Quelque chose comme ça.
Des larmes. Des rires.
H : Quelque chose dassez gai.
F : Déternel.
H : Le bonheur ?
F : Quen savez-vous ?
H : Pas connu.
F : Jamais vu.
H : Faut dire...
F : Rien qui aide.
H : Serrez-- moi encore et tenez- moi les mains.
F : Review ?
H : Review oui et remontez le son.
F : Quest ce que cest votre nom ?
La musique revient doucement.
Depuis quand êtes-vous là ?
De quoi vous accuse-t-on ?
Ils sétreignent, se parlent à
mi-voix.
On nentendra pas la suite.
La musique couvre tout
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