| Olivier Py / Les 
        éditeurs nous ont mentiEntretien avec Hervé Pons pour la revue Mouvement, juillet 
        2001.
 Lécriture théâtrale contemporaine 
        est-elle moribonde ?Lécriture théâtrale est en plein essor. Elle 
        profite de la fin du genre majeur de la littérature du XXème 
        siècle, le roman. Elle profite de son lien avec lartisanat 
        de la scène qui est très important parce que cest 
        un lien au monde. Il y a un lien politique. Cest une source dinspiration 
        toujours renouvelée parce quelle na pas à reprendre 
        en compte à chaque fois le poids patrimonial de la littérature. 
        Lécriture théâtrale a à voir avec loralité. 
        Si lon veut bien entendre que loralité nest pas 
        le parlé mais une forme littéraire. Quand on écrit 
        un texte de théâtre cest quelquun qui parle. 
        Au niveau poétique cest plus inventif que la poésie 
        contemporaine qui a été contrainte de senfermer dans 
        lésotérisme. Lacte poétique étant 
        un acte tellement secret, profond, intime, il ne peut plus se dire quavec 
        un langage lui-même profond, secret, intime. Peut-être la 
        littérature théâtrale va-t-elle trouver une manière 
        plus décontractée de proposer la chose poétique. 
        Quant au récit, lacte théâtral le libère 
        de son intendance. Au théâtre on n'est pas obligé 
        de dire, il entra, il ferma la porte, il posa une question
 on peut 
        aller, directement, à la chose même de la littérature. 
        Avec la liberté en plus quoffre, en donnant plus de souplesse 
        au récit, lapport dramaturgique des metteurs en scène.
 Il se passe aussi quelque chose pour la pensée, cest peut-être 
        le moins évident, mais le théâtre restant très 
        politique, sa pensée est vive. Elle ne peut pas être narcissique. 
        Quand on arrive à penser à plusieurs, cest le signe 
        que lon pense bien. Le théâtre met cela tout le temps 
        en évidence. Tous ces phénomènes qui sont purement 
        littéraires font quil y a une surface de création 
        au théâtre aujourdhui qui me semble unique dans lhistoire 
        de la littérature.
 Vous reliez totalement lécriture théâtrale 
        à la littérature alors quil y a eu scission au XXème 
        siècle.Il y a surtout une scission entre lécriture théâtrale 
        et le théâtre lui-même. Il y a le mouvement dramaturgique 
        qui fait du metteur en scène le personnage central de lécriture, 
        on la beaucoup dit, mais ce que lon ne dit pas, en revanche, 
        cest que ce phénomène est englobé dans un système 
        culturel beaucoup plus large. Les metteurs en scène ne sont pas 
        les seuls à avoir pris le pouvoir, ce sont les commentateurs qui 
        lont pris. Il faut lire Réelles Présences de 
        Steiner. Il rêve, au début de ce livre, dune société 
        idéale dans laquelle il ny aurait aucun commentaire. Le journaliste 
        naurait pas sa place ou bien il faudrait quil parle en son 
        nom. Il ny aurait plus de journaux. Il ny aurait plus de commentaire 
        musical. Il y aurait uniquement des gens qui sefforcent de pratiquer 
        la chose artistique. Ce faisant, par effet de négatif, il montre 
        une société de seconde main, du commentaire. Botho Strauss 
        a écrit un pamphlet contre cette ivresse commentante née, 
        en grande partie, du structuralisme. Pour Steiner elle est née 
        dun désespoir, dune impossibilité à trouver 
        le sens dans le texte. Ce manque a créé une sorte de danse 
        macabre de linterprétation de lexégèse 
        que lon a retrouvée, aussi, au niveau du plateau.
 Cette danse a complètement désarçonné le poète 
        dramatique déchu au rand de fourbisseur de gentils dialogues dans 
        une mise en scène ou darrangeur de propositions dacteurs
 
        Une impasse terrible pour lécriture dramatique. Aujourdhui 
        cette société du commentaire sépuise. Lalliance 
        avec lobsession patrimoniale a fait long feu. On sest rendu 
        compte que la mise en scène était peut-être un art, 
        mais " peut-être " seulement. La différence entre 
        lart et lartisanat cest que lartisanat nest 
        pas infini.
 Lécriture poétique est infinie. Les possibilités 
        resteront. La danse est un art parce que le mouvement dun homme 
        est infini. On se rend compte pour la mise en scène que les possibilités 
        ne sont pas infinies, que lon refait les mêmes gestes.
 Soyons clair, ce que jaime dans la mise en scène cest 
        que lon refait des vieux gestes, que lon redécouvre 
        des formes. Des formes qui ne peuvent pas rentrer au musée parce 
        quelles sont mortelles. Cest bien plutôt le spectacle 
        mortel que le spectacle vivant qui mintéresse.
 Elles disparaissent, il faut constamment les réinventer.
 Mais on ne fait rien de nouveau. La modernité est la dernière 
        des aberrations qui est venue crisper le rapport entre le poète 
        et le plateau. Alors il y a quelque chose qui est en train de se passer. 
        Étrangement ces trois présences fantomatiques de Bernard-Marie 
        Koltès, Jean-Luc Lagarce et Didier-Georges Gabily me font penser, 
        dabord, que si jamais jétais mort jaurais beaucoup 
        de bien pour le théâtre.
 Leur " présence fantomatique " empêche 
        telle lémergence de nouveaux poètes ?Non je ne crois pas. De même, je ne pense pas que Novarina 
        ou moi, nous verrouillons. Au contraire quelque chose a réussi 
        pour Novarina, Lagarce ou moi, nous avons rencontré un public. 
        Cette rencontre encourage, crée un mouvement, un geste poétique, 
        littéraire. Ce qui est étonnant, cest que ma libraire 
        à Orléans a mis une petite pancarte : "Le théâtre 
        est aussi de la littérature ! " Lorsque La servante est sortie 
        en littérature générale chez Actes Sud. Où 
        a-t-on pu arriver dans la patrie de Molière et de Corneille pour 
        oublier que le théâtre est de la littérature ? Aujourdhui, 
        une envie de retrouver du sens renaît et le mouvement nest 
        pas que français. Le commentaire sest épuisé 
        comme un art maniériste. Au début il y a beaucoup de possibilités 
        mais cet infini des possibilités sest tellement démultiplié 
        que la mise en scène sest empreinte dune préciosité 
        un peu ridicule. Cest important que la littérature renoue 
        avec le théâtre. Cest important, aussi, pour la littérature. 
        Je lis les romans qui sortent, cest du journalisme pas de la littérature. 
        Il a été de bon ton pendant des années de gommer 
        les signes de la littéralité en écrivant. Quand on 
        écrit, on fait un geste décriture, il faut assumer 
        la littéralité. Un écrivain qui ne lassume 
        pas, nassume pas son corps de poète et restera dans lécriture 
        de la chronique, de la chose qui est faite pour passer.
 Je suis persuadé que le théâtre va être un foyer 
        poétique considérable pour la langue française. Si 
        on prend Gabily, Novarina, Lagarce, Rambert, et quelques autres, je ne 
        vois pas du tout déquivalent dans les autres domaines de 
        la littérature. Qui a cette notoriété en France et 
        à létranger ? Cette hauteur poétique ajoutée 
        à la rencontre avec le public est unique.
 Les gens ne lisent plus de théâtre.Ça ce nest pas grave, les gens ne lisent pas trop de 
        théâtre mais les gens ne lisent pas trop non plus
 En tant quauteur dramatique le passage à 
        lédition est il important ?Cest important, mais il ne faut pas, comme pour le roman, le prendre 
        comme un événementiel éditorial. Un roman est très 
        lu ou pas du tout. Ca se joue sur trois ou six mois. Sept ans après, 
        je vends encore beaucoup La servante, cest intéressant ! 
        Nous achetons, aujourdhui, des pièces de Jean-Luc Lagarce 
        qui ont été écrite il y a quinze ans
Nous ne 
        sommes pas du tout dans le même rapport à la consommation 
        du livre, cest plus lent, plus secret, moins phénoménal 
        incontestablement, mais François Berreur, suivant presque à 
        la lettre les consignes testamentaires de Jean Luc Lagarce, a prouvé 
        que lon pouvait créer une édition théâtrale. 
        Quand les éditeurs prétendaient que cétait 
        impossible et non rentable, ils mentaient. Cétait simplement 
        de la pusillanimité, de lindifférence, ils mentaient.
 Parce que le succès du livre nous permettait de lenvisager, 
        je me suis battu auprès dActes Sud pour que La servante soit 
        en littérature générale afin de réaffirmer 
        que le théâtre est de la littérature et doit être 
        compris comme tel. Les éditeurs ne sont pas les seuls en cause, 
        il y a aussi un très mauvais relais médiatique. Je suis 
        très étonné de la place de la littérature 
        théâtrale dans Le Monde des Livres. Cest inadmissible, 
        Le Monde des Livres, comme les autres passeurs dévénements 
        éditoriaux, doit en rendre compte. Je ne sais même pas si, 
        lorsquune nouvelle pièce de Novarina paraît, Le Monde 
        des Livres en fait état. Surtout quand les pièces sont publiées 
        avant que les textes soient joués.
 Ils ont appris un art du lecteur, une herméneutique extrêmement 
        raffiné, il faut quils la mettent au profit de tout objet 
        textuel, de manière décontractée, sans présupposer, 
        comme ont le faisait autrefois, des codes de la représentation.
 Cest pour laspect politique, mais pour 
        lhomme, lédition cest important?Dabord, cest très important dêtre 
        traduit. Et puis, je trouve formidable quand les gens ont lu le texte 
        avant de venir voir le spectacle. Cest très beau, ça 
        leur donne un plaisir de représentation décuplé. 
        Nous naimons que les histoires que nous connaissons, cest 
        une évidence. Etre édité est quand même le 
        seul moyen pour que les auteurs soient montés par les metteurs 
        en scène.
 Mais y a-t-il encore des metteurs en scène 
        ?Barrault, qui nétait peut-être pas un grand metteur 
        en scène, a eu cependant, le courage daller vers les textes. 
        On oublie que Maréchal est celui qui a pratiquement découvert 
        Novarina. Cest incroyable quil ny ait plus de metteur 
        en scène obsédé à lidée de rencontrer 
        un poète. Je peux croire au talent dun metteur en scène 
        qui na pas envie de rencontrer un poète de sa génération, 
        mais moyennement à sa vocation.
 Heureusement il y a les comédiens. Eux nont jamais cessé 
        de réclamer la présence dun poète de leur temps.
 Cest pour cela que jai lu et relu, que jai fais des 
        lectures publiques de ce texte de Saint John Perse, Les tragédiennes, 
        issue de la seconde partie dAmer. Des vieilles tragédiennes 
        usées, avec leurs accessoires usés, leur costumes usés, 
        viennent déposer leur art fané sur le rivage et réclamer 
        à la mer quelle leur envoie un poète. Cest un 
        texte que, depuis lage de dix-huit ans, je me répète. 
        Il est dune actualité politique incroyable. Il dit que nous 
        sommes fatigués du spectaculaire, quil nous faut une parole, 
        du sens. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de pensées décoratives, 
        il faut une pensée aimante. Jai dabord été 
        cette vieille tragédienne, ce vieux théâtre usé, 
        qui ne peut pas se contenter dexpédients dramaturgiques, 
        et doit se confronter au grand voyage en mer de la découverte de 
        la parole.
 Dans quelle mesure il vous a semblé important 
        de monter vos propres textes, de les produire et de les jouer ?Je nai joué dans mes propres pièces que contraint. 
        Comme toutes les choses importantes, lorsque cétait une évidence.
 Sinon, tout simplement, une envie de trouver un autre théâtre. 
        Le dépoussiérage du patrimoine 
 ça me fait 
        éternuer. Faire le ménage ce nest pas créer.
 Il ny avait pas dautres possibilités pour trouver un 
        théâtre nouveau que de refaire le geste, en partant de la 
        chose poétique.
 Et puis finalement il y a des grands exemples, Brecht, Wedekind, même 
        Molière si lon veut !
 On a eu la même idée à plusieurs. Lagarce, Gabily, 
        Hubert Colas, Novarina ou moi avons fait ce geste presque naïvement, 
        mais parce que nous ne voulions pas rentrer dans la théâtralité 
        du commentaire que nous proposaient les pères.
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