4C. Nous sommes dans la durée. Marc Perrin

Nous sommes dans la durée. Nous vivons dedans. Avec elle. Où que nous soyons. Quoi que nous fassions. À chaque instant de la durée. Nous sommes de la durée.

Nous marquons l’espace et nous traçons la frontière au-delà du temps présent de cet espace. Au-delà de l’actualité de cette frontière.

Nous fortifions l’extrême limite au-delà de laquelle il n’est plus possible de revenir.

Nous dépassons l’extrême limite et rendons fragile à l’extrême ce que nous avions pensé fortifier.

À chaque instant de la durée.

Nous gardons le territoire. Nous posons des limites au territoire que nous gardons. Nous déplaçons les limites. Nous les repoussons. Nous modifions la garde. Nous regardons le ciel pour savoir s’il va pleuvoir.

Nous voulons garder le territoire. Pour l’éternité. Nous voulons conserver chaque instant. Nous cessons de vouloir. Nous grandissons.

Nous agrandissons le territoire et cessons de vouloir le garder. Nous grandissons.

Pour que règne notre pouvoir en deçà de la frontière et pour qu’il soit visible au delà. Pour qu’il provoque de la crainte en deçà et pour qu’il en provoque au delà. Nous délimitons le territoire. Nous gardons les frontières. Nous cessons de grandir.

Nous traçons la limite que nous ne franchirons pas et nous la franchissons.

Nous traçons la limite qu’il est impossible que nous ne désirions pas franchir.

Nous réalisons l’actuel de la limite.

Nous sommes au plus loin de ceux que nous avons laissés, derrière, loin derrière.

Nous sommes au contact des lointains de ceux que nous avons laissés.

Derrière, loin derrière.

Nous sommes sous le même ciel que ceux que nous avons laissés.

Nous sommes sous le même ciel que les lointains.

Nous sommes sous le même ciel.

Nous regardons les oiseaux passer.

Nous ne leur confions aucun message.

Nous les regardons.

Nous regardons le ciel.

Pour savoir s’il va pleuvoir.

Nous sommes aux limites de notre avancée.

Nous consolidons la limite.

Nous allons encore avancer.

Nous sommes là d’où nous ne reviendrons pas.

Nous sommes de part et d’autres de la canonnade et nous tenons ferme notre position.

Notre idée est plus forte que leur canon.

Nous avons les gueules hirsutes qu’aucune imagination ne saura jamais former.

Notre armée est plus forte que leur volonté de vaincre.

Nos pieds sont ancrés dans le sol que nous défendons.

Nous sentons nos corps faire bloc avec la terre.

Nous sommes de la même terre que ceux que nous avons laissés.

Nous sommes de le même terre que ceux que nous combattons.

Nous lançons des attaques au delà des limites.

Nous attaquons les limites.

Nous attaquons l’au delà des limites.

Nous ne revenons pas.

Nous revenons avec des prisonniers, gueules hirsutes, hagardes.

Nous interrogeons les prisonniers jusqu’à franchir avec eux certaines limites.

Nous écoutons les coups et les cris et les détonations et les tirs et nous regardons passer les oiseaux.

Nous allons pour nous distraire chasser les oiseaux.

Nous les tenons serrés dans le creux de nos mains.

Nous regardons au-delà de la limite et nous ne reconnaissons plus rien.

C’est là que nous allons.

C’est là que nous connaissons les plus intenses de nos plaisirs.

Aucun de nous ne revient de cette connaissance.

Nous sommes l’ennemi au-delà de la limite.

Nous laissons l’ennemi au-delà de la limite.

Ceux que nous rencontrons et combattons au-delà de la limite n’ont plus pour nom ennemis.

Ce que nous vivons de plaisir et d’effroi au delà de la limite n’a plus pour nom ni plaisir ni effroi.

7 juin 2016
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