51 - Ce coin est, en son milieu, très large par sa rudesse


 

à Nitcheva
 

Ce coin est, en son milieu, très large par sa rudesse. Et dans la lumière qui s’étend sur un si grand espace, la source de joie se répand de vertu en vertu. Plus strident encore, et plus large que dans la première partie, le rayonnement dresse une forêt de colonnes. Puis la frénésie apparaît sous forme humaine, au milieu de ce bois tendu par une corde, jusqu’à ce qu’un quelconque homme de cendre, assis sur une pierre à l’extrémité de ce mur, se divise en de multiples petits trous. Vers la forme la moins écrite de l’écriture, mécaniquement, les guêpes meurent. Moi, je suis vivante et je ne le suis pas, je saute à la gorge de chaque corps à ma portée, mais je ne peux me consoler de la perte de mon époux, ni de sa tête enduite de colle où se prenaient toutes les langues parlées. Sa respiration de mourant arrivait de l’extérieur, avec les hématomes. Ce coin demeure, en son milieu, très large par sa rudesse. Sans doute est-il nécessaire de répéter combien il manque.

Le corps est un piston qui défonce le sol à la recherche d’une alternative au mouvement binaire de l’élévation et de la chute. Il est pris dans un temps simultané à celui de l’écriture, dans un lieu suffisamment lointain pour suggérer le voyage. Mais fuir ?

La stérilité sanctionne ceux qui veulent plus que l’amour. Alors ils se précipitent sur les proies à leur portée, leurs langues trouvent le moindre ourlet de peau, jusqu’au vestige de l’œuf embryonnaire qui partage longitudinalement chaque être vivant. Mes tortionnaires rehaussent cette cicatrice au rouge à lèvres, tirant un ovale ouvert de la nuque à l’anus, puis, remontant sur l’autre face, du pubis à la pointe du sternum. Durant la journée, nous partageons alors le secret de connaître la trajectoire d’un oiseau de feu. Le soir, tandis qu’ils maquillent mon visage et vernissent mes ongles, leurs sexes s’orientent selon ce méridien. Je ne parviens pas déterminer ce qui favorise la fréquence, la violence et la durée de leurs attaques. Vivre est une obligation. Je suis celui qui écrit, il arrive ce que je dis. Missile.

Comment m’accorderais-je au masculin puisqu’en tant que fils, j’ai volé son épouse à mon père, ma mère que je porte en moi pour moitié, puisque la haine seule triomphe dans cette mêlée corps à corps où trois noms se pilonnent ?
Ton cœur s’est vidé à l’instant où j’ai ouvert les yeux. Jamais je ne te rendrai ta femme, je resterai chaste, et ma bouche d’enfant-loup recrachera chaque jour une olive de cire à tes pieds, Saturne !

Une même goutte d’eau tombe, tombe, tombe, tombe, tombe. Sans pour autant s’expliquer, ça pourrait commencer par une naissance, ou alors par la description qui montre les fesses osseuses du vieux et ses testicules au bord du lac, dans la chambre d’hôtel sans rideau, durant le voyage de noces, le vieux dont l’odeur de savon Gitane Espagnola poivre le sperme que la fille avale. Ce serait le premier soir. Devant la maison blanche, les roseaux seraient immobiles au bord du ponton, on entendrait les grenouilles et la voix lointaine du père de la fille, réplique du vieux qui la baise en ce moment, déverser en allemand des ordures au fond de sa tête, sa petite tête congestionnée aux longs cheveux noirs, puis il y aurait la suite, dans la tempête délabrée qui déclenche la nuit sur les lacs d’altitude, à chaque coup, la nuit plus rouge, les feuilles pourries, aspirées par l’embrasure jusqu’à la roselière, et là, quelques vêtements d’homme, une chemise, un pantalon, des chaussettes, un slip, impeccablement pliés sur la chaise, tandis que le corps gonflé de la fille cogne, déborde, tandis qu’elle cherche à tourner, à se mettre hors de portée, sur un profil dépourvu d’orifices, et, qu’en crevant, elle laisse sous elle des traînées.
Et dans la lumière qui s’étend sur un si grand espace, la source de joie se répand de vertu en vertu.

Est-il plus belle chose que de vivre une vie d’immense courage et de laisser derrière soi les fleurs éternelles des victoires remportées ? Certains ont des projets similaires. On entend des rythmes, des battements, on lit des fragments, des répétitions, on voit bien qu’il s’agit de poésie, de danse, de combat, et que ceux qui font ça, y croient. Certains hurlent, d’autres chuchotent, on distingue souvent les mots « réalité », « corps », mais personne n’est capable d’exprimer ce qui le pousse à répéter les mêmes phrases, à reproduire les mêmes gestes, jusqu’à l’écoeurement. Il nous est impossible de démêler cette pelote de cheveux, de salive, de tissu, de fouets, de câbles, d’ondes, de lanières. Il nous est impossible de restituer les choses, comme les paroles, à leurs propriétaires légitimes, puisque personne ne s’est encore montré suffisamment misérable pour revendiquer la première place, l’espace d’une tête d’épingle, mais piqué dans la vie elle-même... D’où vient que, devant un tel lieu, apparaît toujours une silhouette de la taille d’un enfant, revêtue d’une tunique rose pâle et de chaussures blanches, reflet grossier d’une pureté que nous ne pourrons jamais nous empêcher de haïr ?

Écrire cet effort vain et continu, personne, rien, jamais, non pas raconter, mais jeter contre le froid de viande, écraser sans renoncer, sans que cesse. Ce coin est, en son milieu, très large par sa rudesse.

30 décembre 2008
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