AG 20/6/2003 : interventions

en écho, par Chantal Anglade
suivi du message de bienvenue de Philippe Rahmy, retenu à Lausanne

Le garçon de café versait de l’eau dans des verres, coupait la queue des iris bleus, et disposait les iris dans les verres et les verres sur les tables, il était 17 heures.
A l’invitation de Remue.net, une cinquantaine de personnes avaient répondu ; on est venu à 17h30 du Jura, de Bordeaux, de Nantes, de Saint-Dizier, de la Roche-sur-Yon ; on n’est pas venu de Nouméa ni de Lausanne ni de Manille ni même de Saint-Georges du Vièvre, mais là-bas on pensait à nous, avait-on dit.
Visages déjà connus, vus auparavant une fois seulement pour certains, mais on se reconnaît vite, et visages inconnus - parce que ce sont des pages que nous partageons entre lecture et écriture, la matière des corps et des sourires qu’on a amenés parle.
Nous avons commencé par la parole - les tomates cerises, le saucisson tranché et le vin dans les verres juste pour passer du toucher du clavier et des yeux qui lisent aux yeux qui se cherchent et aux mots qu’on prononce.
Chaleur de fin d’après-midi, toiles cirées à motifs verts sur les tables dans la cour pavée, Maison des Ecrivains, rue de Verneuil, Paris.
Puis nous sommes assemblés dans la salle, nous avons "formé" le bureau de l’association, approuvé le bilan financier - dossier vert sur la table -, abordé des questions ( "en commençant par laquelle ?") : comment ne pas donner tout son temps à la saisie et mise en page du site ? abandonner l’html et adopter un "blog" ? distinguer l’évènementiel et l’actualité ; faire exister un texte.
Qui veut être du comité de rédaction de la revue ? cela signifie "aller à la pêche", fédérer, veiller. Quatorze mains se sont levés, puis après réflexion une quinzième. L’espace de création et de partage est pris en ces mains-là.
Nous partons avec envie de continuer, les mots passés et à venir ont peut-être un visage et une voix, l’association est une étoile : association 1901, association virtuelle et association rédactionnelle.
Les premiers mots dans la salle du rez-de-chaussée de la Maison des Ecrivains ne sont pas ceux-ci. Ce sont ceux adressés par Philippe Rahmy, qui n’est pas venu de Lausanne, enregistrés sur une cassette ; sa voix est lente, vous l’écouterez... Chantal Anglade.

Maison des Ecrivains, vendredi 20 juin, 20h, message Phil Rahmy sur cassette audio...

Chers amis,
il faut, pour invoquer les fantômes, beaucoup de sérieux et un coeur nu comme celui des enfants ou des malades. Ce sérieux ne réclame pas foi en la survie de l’âme, mais conscience de la part magique de la parole, parole telle que prière qui repousse les frontières de la vraie vie et renouvelle le paysage.
Lorsque le corps de chair n’a plus force de ses yeux, qu’il ne les porte plus, ou mal, il faut trouver au regard une autre demeure, lui faire un second corps avec les mots. C’est à cette condition que parler peut davantage que faire entendre, que la parole peut donner à voir. Si les fantômes sont la vie dans les mots, alors je me tiens aujourd’hui parmi vous et nos yeux déchirent l’absence.
Les fantômes portent en eux leur distance au monde ou plutôt, matière de solitude ils se drapent de ce qu’ils peuvent encore partager avec lui : la lumière. De même, lorsque le corps de chair se tient immobile dans le silence, plongé dans la maladie comme dans un profond sommeil, il sent les mots se déplacer autour de lui, toucher son front et se poser sur lui.
Les fantômes l’enveloppent des murmures du monde. Il reçoit bandage, ou baptême de parole, il est délivré du mal, lavé de toute poussière.
Alors il entend chaque jour son rire célébrer la douleur disparue.
Alors oui, chers amis, puisque le souffle se déplace partout et fait vivre l’air disponible, je goûte très distinctement cette heure, et la même joie que vous.
Alors oui, j’en profite pour vous dire encore ceci : remue.net association, chacun y apporte, y dépose son esprit et la matière animée qui nous rassemble perceptiblement grandit.
Oui, j’ai mieux vécu cette année en vivant aussi sur le site avec chacune et chacun d’entre vous, avec les bulletins de Ronald, avec notre revue, avec la promesse de poursuivre l’aventure et avec la dimension, la présence toujours fraternelle de François.
J’aimerais conclure par un passage de Stig Dagerman, auteur suédois des années quarante, que je trouve bien proche de l’entreprise qui nous tient et qui éveille en moi le besoin de partage :
" [...] Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même - mais, d’un autre côté, c’est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. [...] "
Voici une nouvelle année rompue, l’an 2 de remue.net association consommé autour de l’amitié.
Chers amis, je vous souhaite la bienvenue à notre deuxième Assemblée Générale.

Philippe Rahmy

20 février 2003
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