Anaïs ou les Gravières

Nouveau roman de Lionel-Édouard Martin.


Habitué à remplir des pages dédiées aux faits-divers anodins et aux manifestations locales dans un quotidien du Poitou, un journaliste récemment frappé par un deuil brutal (« chacun – lui, elle – était enfoncé, bien calé dans son siège, après avoir du crâne percuté le pare-brise ») exhume, pour essayer de rompre la monotonie d’une vie de plus en plus désolante, le seul événement exceptionnel qui ait réussi à secouer la région ces dernières années. Il s’agit d’un assassinat presque oublié de tous : celui d’une lycéenne de 17 ans,
« Anaïs par sa mère retrouvée dans l’entrée de leur appartement, tuée d’un coup d’arme blanche portée dans le cœur ».
C’est de ce meurtre, que la police n’est pas parvenue à élucider, ne dénichant pas plus l’assassin que l’arme du crime et son mobile, que s’empare le journaliste insomniaque et désenchanté. Cela suffira-t-il pour pimenter son existence et atténuer sa propre douleur ? L’optimisme n’étant pas son fort, il en doute mais tente néanmoins sa chance, notant, annotant, se glissant même, de temps à autre, dans la peau d’un écrivain capable de redonner vie à une histoire en se portant au plus près des morts.

« Vers minuit, c’est dans les villes un grand silence.
Puis l’éclairage municipal rend l’âme.
Alors il n’y a plus grand chose à faire. C’est l’envahissement des morts.
Il y en a, des morts, qui tiennent au corps plus que d’autres ; des morts de réelle influence. Il suffit d’un verre de Jack Daniel’s pour les mettre en émoi. »

Il y a sa morte à lui. Et Anaïs, qui est la morte d’une autre. Qui, comme lui, ne s’en remet pas et qu’il va, peu à peu, approcher puis visiter de plus en plus souvent. Il écoute parler la mère de l’absente.

« Elle n’attendait que ça, la Mère : rendre la flamme.
Elle m’accueillit comme qui, devant le feu mourant, n’a de cesse qu’on lui tende l’éventoir ».

Il ne joue pas au détective. Il souhaite simplement remettre l’histoire d’une vie brève (et, ce faisant, la sienne) en marche, allant, pour cela, à la rencontre de quelques personnages singuliers, ici un peintre bavard, là un conducteur de bull, ailleurs un ancien légionnaire, tous coincés dans un même territoire, entre ZUP, sablières et ruralité morose, tous aussi solitaires que lui, tous en froid avec un passé qui les entrave et dont il ne pourra glaner que quelques brindilles, donnant (bien obligé) en fin de compte carte blanche à son imagination pour résoudre ce qui restera sans doute à jamais, pour les autres, une énigme.

« Au fil de mon errance, je me suis mis à écrire.
À écrire dans ma tête ce que je pourrais écrire si, plutôt que de déambuler, bousculé par des voix au point de manquer de tomber, je me confiais à mon ordinateur ».

On arrive ici au point de jonction entre Lionel-Édouard Martin et son narrateur. L’écrivain tient bien les rênes. De temps à autre, il lâche la bride et prend des chemins de traverse. Il imbrique des séquences précises, que l’on pourrait croire, à tort, annexes, à l’intrigue initiale. Il apprécie les zigzags aux alentours de la ville et les retours au passé.
On retrouve avec une réelle délectation cette langue qui est celle d’un styliste ne cherchant pas (ce n’est pas si fréquent) à séduire. Sa langue est juste, imagée, incarnée parfois, rugueuse quand il le faut, sachant, successivement, se détendre ou se compacter en restant toujours énergique et efficace.


Lionel-Édouard Martin : Anaïs ou les Gravières, les éditions du Sonneur.

À découvrir également, du même auteur, Bruegel en mes domaines,
« petites proses sur fond de lieux », de la Bavière au Maroc en passant par Haïti, le Poitou ou la Martinique, aux éditions Le Vampire Actif.

17 avril 2012
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