Antoine Bertot | Sur le corps d’un autre
1.Les bonnes manières de Juliana Rojas et Marco Dutra
dors mon enfant
tu grandis sous ma peau
puis ton œil ta douceur
dors mon enfant
que tu n’aies pas faim
je te pleure déjà
je sais que tu demandes notre chair
goûte cette saveur de sang ma bouche ma langue
tu te souviens
c’est délicieux une morsure
méfie-toi de la ville
oublieuse fige
son futur ou les bois pleins de verre
et de chasseurs ne t’y réfugie pas
flaire ma douleur
d’aimer
ton mal secret
petite chambre
finira bien par nous griffer le cœur
tu ne voudras pas
jusqu’au bout
et qui voudrait mourir sans air sans voir
le ciel Amanda
et danser le quadrille
donne-moi la main
nous sommes ensemble
tu peux hurler le monde vient
2. Madame Hyde de Serge Bozon
deux points éloignés
une ligne dessous
comment les relier
passant par elle
c’est la règle
si l’on veut le chemin le plus court
il te faut réfléchir
ce même point le second
de l’autre côté de la ligne
tracer vers lui une droite puis comme heurter un mur
un miroir
juste une image tu vois
un détour
ou bien la foudre tombée inverse
l’énergie maintenant brûle
avant tu la perdais
ce sont les mêmes veines
une ombre sur ton tableau
la moitié terne
traîne encore sous le double électrique
rouge
qui s’effondre
à la fin pour dire ce qui reste
essentiel
tenir la distance
3. L’usine de rien de Pedro Pinho
au poste
je respire encore
vois ces lieux vides
le monde nous dévore le visage
nous dépouille et regarde
ce qui arrive
la chair à vif
au travail
sans machine ou ailleurs
voudrions-nous bien
nous restructurer
prendre l’opportunité des crises
elles se font les ongles
seuls
dans l’usine à vouloir
un souffle commun
comment
notre cri
devenir
nos visages ne se taisent
s’écrasent-ils
ou s’élèvent à la fin
inventons
sur les restes d’une solde générale
4. Mektoub my love : canto uno d’Abdellatif Kechiche
regarde bien
se contracte le torse
se dilate la vulve
lèche
ce liquide sur la peau
la pellicule d’où l’on vient
autour
danse la lumière voile
blanche ou teinte
se perd en nous
respire en toi la vie
tremble après nos bouches
ivres
les poussières au coucher se fatiguent
laisse-les
tes yeux une fente
où se glisser
pleine d’envies
tu le sais
cela éclaire
tu vois les corps se réalisent
5. Voyage à Tokyo de YasujirÅ Ozu
entre tes mains
quelle mémoire
tiens-tu encore
le temps que te confie le père
un corps rétrécit en une pierre
parmi d’autres
même si l’on traîne
avant
un peu dans les cœurs
vous savez les distances
le voyage est long
et plus loin la tendresse
tu vois bien au moins
la mer est calme
le ciel est lisse
vide
on aura vu encore
un lever de jour
se consume ou commence
nos vies à finir
cela peut durer
d’arracher les herbes
c’était bien de vous voir
regarde ils jouent là-haut
vos silhouettes au moins
se détachent du même ciel
6. Do the right thing de Spike Lee
une journée plus chaude
réveille-toi
balaie celle d’hier
tu vois ce qui vient
rien ne change vraiment
cela cogne
ce n’est qu’un parmi d’autres
deux dollars c’est honnête
une image
voilà une part d’histoire
tes deux mains pour ne pas la fermer
des voix reprennent parmi les débris
l’eau nettoie la rue
à quoi bon revenir
la poubelle autant dire
le passé prit feu
maintenant l’air
bute contre le mur
7. Le poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan
regards vagues
dans la vitre
se perdent
déjà en toi
longtemps une colère frappe sans fin
tu sais le temps
n’attends pas
nos lèvres parlent contre
sont encore loin quand tu embrasses
du vent ne porte rien
de la peine
noueuse
le cœur bat fort
dans la plaie
insiste
tu veux taire
seuls les remords
reviennent avec toi
tendent la corde longue où pend
l’enfant la pierre
le chien te hante
serait-ce le père
enfin toi aussi pioche la terre
trempée sans eau
continue au moins
pour ne plus nier
on s’enfonce en solitude
(Extraits de Sur le corps d’un autre)