Avoir été
Il ne fallait pas l’ouvrir avant la saison indiquée, comme en résonance de cet autre livre de Bernard Chambaz, paru en 1994 chez Julliard, que l’on ne peut lire qu’une seule fois : Martin cet été.
Cette dalle poétique, qui transcende elle-même toute poésie, est l’aboutement de 500 séquences numérotées, comme autant de cailloux lancés à la face du ciel, avec rage et regret, avec défi et dérision (sentiment du dérisoire).
Bernard Chambaz fait vivre ici son univers, quoi qu’il lui en coûte : les pages écrites ne tiendraient pas, de toute façon, sur une pierre tombale.
« (séquence 60)
jazz
ça veut rien dire « pur »
ou pas grand chose à mon avis
pareil Roland
le preux en train de souffler dans ses clarinettes
mais rapide et blessé, oui
et mélopée boiteuse
bloc de sons
un pas croyable paysage
dans la grande halle de la Villette où on imaginerait
la litanie des carcasses de rembrandt de soutine des
actualités télévisées
un grand magnifique plateau raboté par le ciel
le cri
le murmure et le cri
les poumons
les poules blanches comme
dans la cour de Carlos Williams
enfant
moi je l’entends les yeux fermés
même quand je tape à la machine
aujourd’hui l’été dernier
oui l’été
les gouttes de sueur qui perlent
les sons qui me traversent et vi
brent
longtemps la mémoire
intense du vieux sud
si je cherchais une réponse à savoir pourquoi
je continue à vivre je pourrais la trouver ici
un peu de l’énergie
désespérée et drôle
qu’on a dans l’amour qu’on se donne
et je veux bien aussi qu’on entende ou qu’on voie
une comète la queue dorée orange deux secondes
et un siècle au moins
l’âne le ciel en pente
un vent doux dans les platanes noirs
parce qu’il fait nuit et tout et tout é-
videmment on ne parle pas de la musique
on l’écoute »