Cahin-Caha
Cela prend plusieurs semaines. Les premières séances se déroulent dans un GEM du 20ème. Le GEM est loin de tout transport en commun, excentré, difficile d’accès. Après quelques séances, en concertation avec Claude Finkelstein, je dois me rendre à l’évidence : nous devons changer de lieu. Les adhérents ont trop de difficultés à venir jusqu’ici.
Nous décidons de mener l’atelier dans un autre GEM, situé dans le 9ème arrondissement, plus facile d’accès. Il y a les aléas liés à la vie, à la maladie. Je sais, dès le départ, que je suis dans un espace-temps aléatoire, mouvant, précaire. Je n’en maîtriserai jamais grand-chose. Je sais aussi pourtant, très vite, qu’au sein de cet espace-temps, en dépit des difficultés, quelque chose de fort, de vrai, commence à exister.
Je le sais au silence profond qui règne pendant les séances d’écriture. Je le sais à la concentration des visages, des regards. Je le sais à l’émotion qui jaillit parfois pendant l’écriture. Je le sais à la lumière de certains regards lorsque nous lisons les textes, lorsque nous écoutons ceux des autres. Je le sais à cette phrase que murmure une femme du groupe, un jour, alors que je m’en vais, après trois heures passées avec eux : « en fait, tout ça, tout ce que vous faites, c’est thérapeutique. Ça fait du bien ».
« Ce n’est pas moi. C’est l’écriture. »
Alors, voilà. De vendredi en vendredi. D’heure en heure passée avec les « adhérents » du GEM. De minute en minute. De présent en présent : mon projet n’est plus un projet. Il devient de la vie. Les adhérents plongent dans l’écriture. Ils lui font confiance. Ils s’y abandonnent. Ils lui trouvent un sens et, y trouvent un sens. Écrire leur permet, parfois, mot après mot, phrase après phrase, de retrouver un fil dans leur existence souvent éclatée, morcelée.
J’attends, chaque semaine, de les retrouver le vendredi suivant.
Eux aussi, me disent qu’ils m’attendent.