Ce qui nous rassemble
Ce qui nous rassemble au milieu du froid qui n’est pas toujours celui du thermomètre, mais parfois celui des choses qui arrivent, des choses qui se disent autour de nous, des gens qui partent et que nous aimions : les textes. Et ceux-là nous réchauffent encore pour cette seule raison qui fut énoncée un jour par Christa Wolf : « Les murs qui nous encerclent se rapprochent. Mais il s’avère qu’en profondeur l’espace ne manque pas. »
Alors un cadeau, tout d’abord. Yun Sun Limet, qui est écrivain et membre du comité de rédaction, nous envoya ce texte, un matin, comme pour nous réveiller :
« Il est à la rue, on ne sait pas depuis combien de temps. Cette nuit, la température a chuté. Il a trouvé des grands cartons, près d’un alignement de poubelles au pied d’un immeuble. On est à Valence (Drôme). On est le 22 janvier 2007. Le camion poubelle passe, son gyrophare jaune balaie le ciel du petit matin. Il recule pour s’approcher des bennes en plastique à vider. Il n’a pas entraperçu l’homme sous ses cartons. Il dort encore. Et le camion écrase l’homme qu’il n’a pas vu. On est le 22 janvier 2007. Peut-on crier ? Peut-on pleurer ? Peut-on écrire cela : un SDF qui dormait sous des cartons a été écrasé par un camion poubelle ? Comment crier ? Anagramme connu : crier, ecrir. Il manque un e. Chercher le e qui manque, dire, demander pardon. Pardon pour cette société de merd. »
La revue d’hiver a mordu le froid, puis la douceur hivernale par une série de textes inédits. Ils affirment le travail de défrichage et de mise en valeur de la création contemporaine dans la revue remue.net.
Les nuits d’été de Pedro Kadivar sont plus belles, de plus en plus belles. Il s’agit de voir, mais voir dans les tremblements et les paradoxes du regard, entre intériorité et extériorité.
« Aveugle, je regarde mes semblables et me dis à l’instant même, avec une fatuité propre aux aveugles, que ma cécité vaut bien mieux qu’un regard tourné entièrement vers l’extérieur qui me mènerait à un oubli total de moi-même. » Quatorzième nuit. Quinzième nuit.
Fred Griot nous offre un fragment envoûtant de son travail « en construction », la plui (1). Sensation de la langue en torsion, avançant dans les pis de la répétition. Langage en expérience que l’on retrouve dans ce numéro et sur son site.
La poésie trouve aussi une belle place dans cette première livraison (la revue sur remue.net est un véritable « work in progress », un projet qui travaille dans le temps et la mobilité d’internet).
On commence par signaler le quatrain inédit de Laurent Grisel « Cantor & Dedekind ».
On poursuit par « Les sept changements de l’heure », texte inédit de Martin Rueff. Ce texte indique le chemin vers une présentation par Sébastien Rongier du recueil Comme si quelque de Martin Rueff, paru aux éditions Comp’act.
Ronald Klapka est un passeur généreux. Ici, il nous incite à regarder du côté de la revue Vient de paraître, et en profite pour signaler quelques nourritures pour l’hiver. Là, il nous parle d’une librairie. Ailleurs, il revient sur Le roman, le réel de Philippe Forest, et sur Requiem de Pascal Quignard.
De son côté, Dominique Dussidour interroge le roman de Rodrigo Fresan Mantra, paru aux éditions Passage du Nord-Ouest, à l’aune d’une expression qu’elle lit à la page 426, le narrateur, un « suicidé subliminal ». Elle nous invite à cette passionnante lecture au bord de tous les genres.
La littérature contemporaine reste au cœur des battements électroniques de remue.net. Histoire de ne rien perdre des pas perdus dans l’année naissante, de vous signaler encore quelques pépites qui brillent dans le site.
Jean-François Paillard est interrogé par Fabienne Swiatly, à l’occasion de la sortie de Pique-nique dans ma tête publié aux éditions du Rouergue. Rencontre rythmée par un entretien et une lecture de Fabienne Swiatly.
Nous avons également revêtu nos habits d’enquêteurs électroniques à la recherche des traces de Joris Lacoste sur internet.
Toujours dans ces tissages électroniques, de redire tout le bien que l’on pense de Fabula et du nouveau numéro de leur revue Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement).
Toujours sur internet, et en relation avec remue.net, de vous signaler sur libr-critique.com la note de lecture de Philippe Boisnard sur Si c’est l’enfer qu’il voit, livre de Dominique Dussidour, paru en décembre aux éditions Gallimard, dans la collection « l’un et l’autre » de J.B. Pontalis (Dominique Dussidour est membre du comité de rédaction de remue.net).
Et puis, Constance Crebs s’entretient avec Christine Genin, qui a construit une bibliothèque virtuelle source inépuisable de liens pour qui s’intéresse à la littérature.
Il fallait des vœux, des vœux pour cette année qui commence aussi bruyamment qu’elle s’était terminée. On vous invite à lire ce Pardonner l’impardonnable de Jean-Marie Barnaud.
Profondeur encore, avec Jacques Josse qui nous parle de L’engendrement de Lionel Bourg : « Il n’y a pas, dans L’Engendrement, de pathos ou de non-dits mais une douleur contenue et acceptée, celle d’un homme désemparé face à la maladie, aux exhortations et aux phrases folles jetées par celle qui lui a transmis bien plus que la vie. » A lire également, son article sur 69 vies de mon père, de Ludovic Degroote.
Profondeur toujours. Nathalie Quintane écrit sur Une longue forme complètement rouge de Bastien Gallet. Un roman dont le lecteur peut dire « qu’il a perçu le trouble de la mort, le troublé par la mort, l’étrange présence des corps des morts et la curieuse impossibilité de mourir à la première personne. »
« Prends une table, écris dessus, et dans cette régularité d’y retourner, écrire devient le carré de bois, la surface noire où tes mains se perdent dans l’ombre. Regarde la table en face de toi, tu dois trouver la plus simple voie pour traverser son espace, quand même tu ne sais pas comment. Imagine cela, et cela devient un poème au carré. »
Un extrait de Réfléchir un peu le poème à iowa city d’Emmanuel Laugier, dont la lecture s’accompagne de Crâniennes, 4 poèmes inédits.
Si vous ne connaissez pas Serge Hélénon, découvrez-le grâce à Sebastien Rongier. Edouard Glissant a écrit d’Hélénon : « La mer crée la porte, qui est le miroir de la terre. Les œuvres de Serge Hélénon, où la peinture se distingue si peu de la sculpture, ou plutôt du bâti et du projeté, n’évoquent jamais la mer, pourtant elles en sont le reflet agissant. »
Parce l’Iran n’est pas seulement cette menace dont nous parlent les informations quotidiennes, mais un pays d’une immense culture, lisez les nouvelles de Zoyâ Pirzâd où « …tout un monde accepte parfois à son corps défendant que l’occupation de l’espace – large avenue d’une ville, réduit obscur, papier collé sur la glace d’une salle de bain - ait force de vérité dans son existence. » comme nous le raconte Dominique Dussidour.
Ecriture démiurgique 1 est la première partie d’un article de François Rastier qui paraîtra en quatre fois, grâce à Constance Crebs. Dans cet extrait, l’auteur y traite des textes combinatoires, c’est-à-dire de ces très anciennes pratiques littéraires qui jouent sur les permutations de lettres ou de mots.
« On est moins malheureux quand on vit dans le présent avec ceux qui sont près de nous et uniquement avec eux. Mais je n’ai pas cette capacité. Je suis en dix endroits à la fois, depuis toujours, à mon insu. C’est pour tenter de mettre de l’ordre dans ces temps à la fois imaginaires et bien réels que j’écris. » Cathie barreau, Visite aux vivants.
Chantal Anglade nous en parle, au point de nous donner l’envie d’en lire plus, très vite.
Suite du carnet de Martine Drai, qui nous réjouit : « 19 janvier Le coin du Barbizon se remeuble. Aujourd’hui un fauteuil de bureau massif et apparemment confortable. Devant l’inscription « Quand les pauvres chieront de l’or les riches leur confisqueront le cul », il fait merveille. »
Il y a, à l’évidence, quelque chose de fêlé dans l’univers post-exotique, nous explique Thierry Saint Arnoult. Mais de quoi parle-t-il au juste ? Prenez le temps d’en savoir plus.
En parlant de fêlé, Dominique Hasselman revient sur A l’agité du bocal, un petit recueil de raretés de Céline, qui est peut-être passé inaperçu. Ce serait dommage, tant il contient des morceaux d’anthologie :
« Pauvre banlieue parisienne, paillasson devant la ville où chacun s’essuie les pieds, crache un bon coup, passe, qui pense à elle ? Abrutie d’usines, gavée d’épandages, dépecée, en loques, ce n’est plus qu’une terre sans âme, un camp de travail maudit, où le sourire est inutile, la peine perdue, terne la souffrance, Paris « le cœur de la France », quelle chanson ! quelle publicité ! La banlieue tout autour qui crève ! (…) » Celine, Bezons à travers les âges, préface, 1944.
Première rencontre au musée d’Orsay avec les élèves lycéens. Dans ce très beau Portrait de soi, portrait des autres : des visages, des rires, des amitiés, des silences, des questions, des rêves, de la réserve.
En profondeur, enfin, avec Catherine Pomparat qui nous montre à voir des tables et des chats, en compagnie de Balthus et d’Artaud, parmi d’autres.
Et, pour terminer : de la couleur pour le site grâce à nos remueurs informaticiens : Julien Kirch, Fred Griot, François Bon.
Avec tous ceux-là, nous vous souhaitons l’année belle !
Erratum : on a été trop modeste dans notre lettre aux abonnés : les statistiques du site, ce ne sont pas 950, mais 5000 visiteurs singuliers par jour (ouvrant 18 000 pages environ). Merci d’accepter de nous aider à travers votre adhésion.