Cécile Guivarch | Mon abuelo Jesús
Texte lu pendant la Nuit remue 7. Extraits d’un travail en cours.
Cécile Guivarch sur remue.
Tu me viens ou c’est l’abandon
ce qu’il y a de distance
à l’ombre des arbres de ton pays
il reste ton âme suspendue
elle reviendrai parfois
peut-être là où tu es né
Ce qu’il y a ce sont tes lunettes qui te tombent sur le nez. Il y aurait tant de soleil. Qu’en as-tu fait de ton chapeau ? Déjà tu as fait tomber ta veste, la sueur te coule sous les bras. Tu dégoulines de tout ce soleil, le ciel te glisse sur la peau et ta vue s’est troublée de tant de rivières. Tu n’y vois rien vraiment de ce pays. Tu es encore un peu dans l’autre et tu n’en sais rien.
Tu n’en sais rien car tu n’en veux rien savoir.
Adonde fuiste abuelo, aún te esperamos aunque sabemos que nunca volverás, nunca volverás.
Tu regardes tes pieds, tu ne sais pas quoi faire d’eux. Tu ne sais pas si tu dois avancer ou reculer. Dois-tu aller en arrière, un pas en avant, deux à droite, quatre à gauche ? Tu ne sais plus. Alors tu restes immobile à regarder tes pieds.
On te dit d’avancer. Tu gênes. Alors c’est un petit saut que tu fais sur le côté. Tu te demandes ce que tu fais là, avec tes pieds posés sur un sol étranger. Tu penses à elle. Ses yeux verts. Tu ne peux plus te retourner.
C’est ainsi que tu avances
tu n’as pas la tête haute
le poids de la valise
le cœur au fond
Ce qu’il y a eu d’hésitation n’est plus. Tu as fui sans vraiment fuir. Ce sont les chevaux qui ont couru autant. Ils ont galopé devant toi et derrière personne ne les voyait. Puis ce sont les vagues qui t’ont pris.
Aquí se queda algo increíble
adonde estas pequeño
no te veo nunca
te quiero lindo
in paz
Tu as quelque chose des oiseaux
ton chant n’est plus le même
tu apparais parfois dans l’arbre
celui que tu as laissé au pays
ou alors tu t’effaces
complètement
Toi là-bas et c’est trop tard. Tu te retournes. Tu voudrais apercevoir ce que tu avais de pays. Ce ne sont que des images qui te viennent. Tu n’en connais plus les détails ni pourquoi tu es parti. Tu vis dans une grande maison sans meuble. Faudrait repeindre les murs. Ils ont pris la teinte de ce qu’il te reste de pays. Ces murs qui s’effritent, les portes qui s’abiment. Tu t’es arrêté dans ce pays là-bas et tout s’est arrêté avec toi. Tu es toujours de la même époque. Tu ne sais pas qu’autour tout a bougé. Alors c’est toi qui bouges, encore en vie quelque part. Tu remues ton corps d’un côté et de l’autre au rythme de la musique. C’est comme cela que tu existes longtemps après.
Coupé du monde abuelo
qu’en sais-tu de mon pays
les couleurs y sont de plus en plus vives
les tiennes s’effacent peu à peu
tu prends les mêmes teintes
sans t’estomper tout à fait
Recuerdo tus ojos, lo verde que tenían. Recuerdo la blancura de tu pecho. Cuando venga la noche quiero acostarme a tu lado. Sentir tu cuerpo no me dejara dormir. Perdóname, no puedo volver, nunca. No puedo volver y lloro. ¿ Como está la niña ? ¿ Creció mucho ? Dile cuanto la quiero et cuanto te quiero.
Tu es un oiseau sur une île auquel on a coupé les ailes. Tu n’as devant toi que la vue des vagues qui s’écrasent contre les rochers. Tu regardes au loin, mais tu ne vois rien. Tout s’est éloigné de toi. Tu restes les mains vides.
Je te cherche et je ne comprends pas
les uns partis d’ici pour quel pays
je ne comprends pas la liberté
ce qu’elle avait de rêves
puis ce qu’elle a coupé d’ailes
Tes mots dissimulés dans des bouquets
ta langue chargée de fleurs
dit quelque chose
Adonde está mi niño, no tengo noticia. No tengo carta. Adonde está mi niño.
Les mères ne savaient pas leurs enfants disparus. Elles continuaient de les chercher les nuits de pleine lune. Les mères ne voulaient pas vraiment savoir. Elles restaient à attendre des années longtemps après. Les mères pleuraient ce qu’elles avaient de larmes jusqu’à ne plus en avoir tout à fait. La tienne te savait où. Tu l’as voulu ainsi et pas autrement. Tu n’as pas disparu comme les autres. Tu as donné ton adresse. Tu n’as pas disparu dans un mouvement de foule, tu es parti avec quelque chose d’intime.
elle est restée longtemps dans sa maison
attendre que tu reviennes
ce qu’il pleuvait de lettres
et l’océan qui les amenait