Cécile Wajsbrot | Survie en milieu hostile 2

INSTANT DE GRÂCE
(18 avril 2014)

 

C’était àAarau, une fin d’après-midi de dimanche. Après une rue déserte et bordée de casernes qui semblaient désaffectées, un afflux soudain d’hommes et de femmes, d’enfants et de gaieté, les femmes en tenue blanche et légère, portant des voiles ajourés, donnant àces ruelles ensoleillées des allures de paysage africain. À l’approche d’une église ancienne – édifiée au XVe siècle – la foule se densifiait encore. Ils étaient là, sur le parvis, et bavardaient. À l’intérieur il n’y avait plus qu’une jeune fille téléphonant sur son portable, les bancs de bois étaient autrement vides, la cérémonie ou l’office avait eu lieu. Comment décrire le contraste entre le gothique tardif, les douces collines alentour, le dessin médiéval d’une chaussée pavée, un ruisseau courant en son milieu, les maisons àpignon aux avant-toits peints, les volets colorés, entre cette architecture européenne et ces dizaines de personnes venues d’un autre continent ? Un contraste saisissant mais aussi fécond, paisible, joyeux. Comme s’ils étaient faits l’un pour l’autre, comme si la ville avait attendu leur présence pour s’animer. Ils venaient d’Érythrée, ils avaient fui la prison, la torture, l’enrôlement, et avaient convergé là, en Suisse, dans cette ville tranquille. Après l’église, après être restés pour se donner des nouvelles, ils se dispersèrent, s’éloignant aux quatre points de la ville – la journée s’achevait et ils rentraient chez eux.

19 avril 2014
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