
L’immortalité, dit le professeur en guise de prologue à la conférence « La vie éternelle : possibilités et enjeux », n’est pas à la portée de tous, mais déjà de quelques-uns. Je veux bien entendu parler d’une immortalité biologique, c’est-à-dire d’un processus exclusivement cellulaire qui ne saurait exclure, par exemple, la mort par accident, ou par maladies.

Martha et moi nous regardâmes, circonspects.

Commençons par cette minuscule méduse, continua-t-il,
Turritopsis Dohrnii.

L’écran derrière lui s’alluma, et la méduse apparut, translucide et légèrement orangée. Sur la gauche, une échelle centimétrique indiquait sa taille : environ six millimètres. Mais elle emplissait tout l’écran, qui devait être de trois mètres sur deux. Je sentis un violent frisson parcourir le bras de Martha : dans la longue liste de ses phobies, celle des méduses arrivait largement en tête.

Elle est capable d’inverser son processus de vieillissement, dit le professeur, grâce à un procédé de transdifférenciation, et peut ainsi retourner à sa forme juvénile après avoir atteint la maturité sexuelle. Comme si un vieillard redevenait fœtus, un chêne gland, ou une poule, œuf. Et ceci, en théorie, indéfiniment.

Martha serra ma main. Ses phalanges blanchirent.

Le risque dès lors, poursuivit le professeur, est bien entendu la prolifération ‒ exactement comme pour les cellules cancéreuses. D’ailleurs cette méduse immortelle étend chaque année son territoire, en raison à la fois du réchauffement climatique, de la surpêche de ses prédateurs, et des navires qui la répartissent dans toutes les mers du globe lorsqu’ils vident l’eau de leurs ballasts.

Martha écarquillait les yeux, les lèvres entrouvertes.

On peut donc tout à fait imaginer, enchaîna le professeur, que dans quelques millénaires, lorsque toute forme de vie aura disparu de la surface de la Terre en raison des activités polluantes, destructrices et guerrières des hommes, ne subsisteront que ces méduses, qui auront tant proliféré qu’elles déborderont littéralement des océans qui ne pourront plus les contenir. La planète se sera ainsi transformée en une masse de gelée urticante parsemée des quelques îlots bruns et déserts que seront devenus les continents. Depuis l’espace on la verra peut-être trembloter, translucide, non plus bleue mais à peine orangée ‒ et c’est ainsi, ajouta-t-il l’air malicieux, que la Terre sera enfin devenue bleue comme une orange…

Quelques rires nerveux parcoururent l’assistance.

Mais à présent, continua le professeur avec un sourire, recentrons le débat.

Martha me regarda l’air effaré. Ses joues creuses avaient pâli. Ses lèvres tremblaient. Nous rassemblâmes nos affaires et sortîmes précipitamment.