Christian Garcin & Patrick Devresse | Mini-fictions, 55. Gastronomie
photos Patrick Devresse, textes Christian Garcin.
Une série de textes et images en dialogue, à suivre en son intégralité ici
©patrickdevresse
Eugène ralluma son mégot.
C’est simple, dit-il en saisissant négligemment le renard par la patte arrière, il vous faut d’abord l’écorcher bien sûr, puis le détailler, et le blanchir à l’eau bouillante. Ensuite il faut l’écumer soigneusement et le repasser à l’eau, mais fraîche cette fois.
Ah d’accord, fis-je.
Oui. Alors vous pouvez séparer les gigots et les épaules, que vous n’avez qu’à désosser et rouler. Le reste, ajouta-t-il avec une moue, inutile de le conserver, ce n’est pas très bon.
Très bien, dis-je.
Après cela, continua Eugène sans cesser de mâchonner son mégot dont la fumée lui faisait plisser l’œil droit tandis que l’autre examinait le renard sous tous les angles, vous faites rôtir votre gigot (ou votre épaule, c’est pareil) au beurre frais en l’arrosant de temps en temps avec du vin blanc. Lorsqu’il commence à jaunir, tournez-le, et arrosez encore plusieurs fois à côté. Il en ressortira un très beau jus, vous verrez. Puis vous garnissez de petits oignons ou de petites boules de choux que vous faites glacer dans le jus du gigot. Vous n’avez plus qu’à servir.
Formidable, approuvai-je, dissimulant du mieux que je pouvais la légère nausée qui commençait à me gagner.
Je m’apprêtai à prendre congé, mais Eugène, fort disert ce jour-là, n’avait pas terminé.
Vous pouvez aussi varier, poursuivit-il en reposant le renard sur la table ensanglantée. Vous mettez le gigot au sel pendant quinze jours dans un peu de salpêtre. Puis vous le faites fumer une quinzaine de jours encore, après quoi vous pourrez le manger cru. Oui, cru ! Rien n’est meilleur, je vous assure ! Et pareil pour le blaireau ! conclut-il d’un air enthousiaste.
Et pareil pour le blaireau… répétai-je.
Je me retournai et dissimulai du mieux que je pus un hoquet au fort goût de bile.
Christian Garcin est écrivain, à lire notamment sur remue.net - lire en particulier cet entretien paru en août 2014,à la parution de Selon Vincent (Stock). Christian Garcin est auteur de nombreux livres chez de nombreux éditeurs - on se référera à l’excellente bibliographie du site des non moins excellentes éditions Verdier, ainsi qu’à sa notice wikipedia, pour en saisir l’ampleur.
Patrick Devresse est photographe. De lui, Dominique Sampiero dit : "Patrick Devresse est un homme qui regarde. Qui scrute doucement le réel autour de lui. Comme ça. Mine de rien. Et même parfois qui baisse les yeux en souriant. L’esprit ailleurs. Comme si poser une vigilance sur le monde et vivre étaient intimement liés."
Voir son site http://www.patrickdevresse.com/, et son parcours personnel.