Christian Garcin & Patrick Devresse | Mini-fictions, 8. Les joies du bâtiment

photos Patrick Devresse, textes Christian Garcin.
Une série de textes et images en dialogue, à suivre en son intégralité ici


©patrickdevresse



À l’époque je travaillais dans le bâtiment, et si j’ai abandonné ce métier, c’est en raison de la nourriture que l’on me forçait à avaler. Mes compagnons de travail étaient un gros homme à la forte moustache blonde, et un étranger au teint cuivré et aux yeux vert olive, sans pupille, des yeux de félin en plein jour. Il était beau et silencieux.

Au début la nourriture était correcte, mais rapidement on nous apporta des libellules d’eau et des scorpions volants. Je croquais cela comme à l’apéritif, mais je restais toujours sur ma faim. Cela dura deux jours. Le troisième jour on nous donna du lait de soya et un mélange de céréales et de petits animaux déshydratés que ravivait le lait, cette fois des perce-oreilles et de minuscules crevettes. Comme tout le monde, je suis friand de perce-oreilles, mais je décidai de me plaindre, tant de l’indigence des rations proposées que de la variété des repas. Le contremaitre me reçut, m’écouta, me répondit d’un ton extrêmement désagréable. Je le pris mal, le ton enfla, nous nous battîmes. Je décidai cependant de ne pas l’humilier, car j’étais déjà l’amant de sa femme, mais malgré tout je vainquis.

Depuis j’ai été renvoyé, bien sûr, et l’étranger aux yeux verts avec moi, pour faire bonne mesure. La femme du contremaître est toujours ma maîtresse, et je l’ai convaincue, maigre vengeance, de faire aussi l’amour avec cet étranger – dont l’absence de pupilles, d’ailleurs, l’effraie délicieusement.






Christian Garcin est écrivain, à lire notamment sur remue.net - lire en particulier cet entretien paru en août 2014,à la parution de Selon Vincent (Stock). Christian Garcin est auteur de nombreux livres chez de nombreux éditeurs - on se référera à l’excellente bibliographie du site des non moins excellentes éditions Verdier, ainsi qu’à sa notice wikipedia, pour en saisir l’ampleur.

Patrick Devresse est photographe. De lui, Dominique Sampiero dit : "Patrick Devresse est un homme qui regarde. Qui scrute doucement le réel autour de lui. Comme ça. Mine de rien. Et même parfois qui baisse les yeux en souriant. L’esprit ailleurs. Comme si poser une vigilance sur le monde et vivre étaient intimement liés."
Voir son site http://www.patrickdevresse.com/, et son parcours personnel.

25 mai 2015
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