« Désir est l’avant non-commençant du commencé » (Robert Duncan)
« Désir est l’avant non-commençant du commencé » (Robert Duncan [1])
À propos du Livre d’El - d’où, de Caroline Sagot Duvauroux, par Marie de Quatrebarbes.
Épigramme, raillerie, d’où que cela soit venu d’ici – « Là où ailleurs ». Depuis ce point d’où je parle, El incline. D’abord il y a l’existence d’une peau. D’où je ? depuis laquelle il y a parole, graphe, baiser sur le bras de l’aimé. L’existence d’une peau sur laquelle est venue se greffer une question. D’où cela peut-il ? D’où a-t-il fallu que cela soit ? On entend de la « banlieue de l’être » : D’où tu me parles ? Demander d’où : faire effort pour comprendre, alors même que la préhension se déprend. Que cela soit encore ancré en nous, le désir persistant. Alors même.
Des bords du texte, un inatteignable, lointain horizon lorsque « l’accompli grandit l’inaccompli » (Aa), dessine un territoire en rémission. D’où qu’il faille, soit possible de prendre parole, élever le ton, chuchoter la polysémie d’une peau d’où – Car si j’ai d’où, la question se pose aussi de savoir d’où j’ai, langage et indétermination qui mènent au livre. D’où qu’il faille. « Le présent gonfle, passe les bords ». La parole est paroi. À la lisière de parler, on se demande : qui est déjà là, qui bégaye ? Qui parle depuis ou avant, « toujours avant l’origine » (Aa) ?
On ne touche pas les choses dans le mille. On sait qu’au bord seul mille est possible. À la surface étale d’une peau, nudité scellée. À toujours, la question est peau, et la peau déjà s’insinue sur le chemin. À bord de parole, prête à tout, verser par-dessus verbe, El déborde. « à = toi ». Avant le texte, l’adresse délivre ses mathèmes. L’élan vers, c’était toi contenu dans le geste pour aller, comme on dit, de l’avant. Depuis le silence qui préside à l’exclamation de jouissance, aux râles, aux pleurs, aux cris. « À c’est le point. »
« Il faudra perdre le temps pour déployer la géographie de l’instant ». Faire retour toujours vers l’à vent. Faire « comme un ». Mais comment aurait-il fait, ce « un » pluriel, « anonymes » qui délivrent ce qu’il y a en nous d’altéré ? C’est toujours d’où, avant qu’elle ne parle, cela d’elle qui se situe quelque part au bord de la catastrophe. On attend. Qu’il advienne. Allons donc ! Aller vers cela qui s’érige en nous et refuse catégoriquement de se soumettre à la force, ce qui « se retourne dans le jour ». À bord dire. Cette étoffe. En route vers elle. Au cœur, creuser un parcours. Lorsque « tout déborde du tricot rétréci ». Ouvrir la baie. Se poster à l’endroit précis d’où « les mots rebroussent chemin ». À « l’aube enculée », depuis l’origine : le contre-point. Et jusqu’à ce que « Je = défaille » en accents amoureux invoquant L’inventeur de l’amour : « Ta mort me renonce à l’aube. Ta mort me phrase. »
Infini contournement. « Dans la marge où nous se cantonne, la tentative défeutre. » Prendre le temps de côté, effacer les nœuds. Reprendre une fois encore l’inventaire des reprises. Puisque « l’horizon c’est dedans l’enfance ». Avant l’extinction programmée du souffle. « D’où meurt-il ? ou c’est l’aube. » Tout à commencer. À surprendre. Et puis nous serons deux alors, dans la petite question ravaudée qui se colle aux bouches closes : « irons-nous jusqu’au regard des autres toucher cette fiction ensemble ? »
Le Livre d’El - d’où, Caroline Sagot Duvauroux, éditions Corti, 2012 / ISBN 978-2714310972
[1] Robert Duncan, L’Ouverture du champ et autres poèmes, traduit par Martin Richet, Corti, 2012