Dessins pré-textes (4)
cauchemars ne serait-ce que pour
chevaucher quelque autre animal
Sarah Riggs, 43 Post-it,
traduit de l’américain par Marie Borel & Françoise Valéry
Éditions de l’Attente, 2009, p. 28
ÂNE [19-23 mai 2011]
mes poils s’épaississent
et deviennent crins
ma peau si tendre se durcit
et devient un cuir
je ne sais plus combien j’ai de doigts
tous se ramassent en sabot
seule consolation à ma métamorphose
mon sexe devient très grand
incapable de rien faire
pour arrêter mes traits
je ne vois que
mes oreilles allongées
mes petits yeux
et ma grande gueule bée
un seul trait de lumière grise m’anime
on m’appelle
ÂNE avance
quelle bête suis-je donc pour rêver de m’effacer
ainsi
BELETTE [19-24 mai 2011]
ma peau brunit
et devient pelage
mon corps si plein se vide
et devient un fil
je ne sais plus combien j’ai de membres
je me faufile sur quatre courtes pattes
seule consolation à ma métamorphose
ma minceur se glisse partout
incapable de rien faire
pour dessiner ma vie
je ne vois que
mes vagues dorsales
ma tête pointue
et mon petit œil vif
un seul trait de lumière brune m’anime
on me chasse
BELETTE vas-t’en
quelle bête suis-je donc pour rêver de m’effacer
ainsi
CRAPAUD [19-25 mai 2011]
ma chair s’amollit
et devient éponge
ma bouche si nerveuse languit
et devient un goitre
je ne sais plus combien j’ai de langues
toutes croassent en même temps
seule consolation à ma métamorphose
mon manteau de clochard devient imperméable
incapable de rien faire
pour embellir ma physionomie
je ne vois que
ma peau ridée
mon trou d’œil
et ma gueille amphibie
un seul trait de lumière verte m’anime
on me jette à l’eau
CRAPAUD saute
quelle bête suis-je donc pour rêver de m’effacer
ainsi
DROMADAIRE [19-26 mai 2011]
ma faculté d’adaptation s’accroit
et devient proverbiale
ma protubérance si élevée ballonne
et devient une réserve hydraulique
je ne sais plus combien mon corps anticipe
tout manque d’eau
seule consolation à ma métamorphose
le caractère de chameau n’est pas de mes prérogatives
incapable de rien faire
pour mettre en valeur mes avantages
je ne vois que
ma ligne sobre
mon paquet de Camel
et mon port de tête
un seul trait de lumière jaune m’anime
on m’ouvre la route
DROMADAIRE courrons
quelle bête suis-je donc pour rêver de m’effacer
ainsi
ÉCUREUIL [19-27 mai 2011]
ma queue panache
et devient braise
mon bond si leste s’aérodynamise
et devient V2
je ne sais plus combien j’ai d’énergie
toute cachée dans un creux noir
seule consolation à ma métamorphose
mon goût de la vitesse est comblé
incapable de rien faire
pour montrer mes effets
je ne vois que
mon tournant décisif
ma portée balistique
et mon ingénuité
un seul trait de lumière orange m’anime
on me cherche
ÉCUREUIL où es-tu
quelle bête suis-je donc pour rêver de m’effacer
ainsi
FAON [19-28 mai 2011]
mes yeux se mouillent
et deviennent désir
mon front si doux s’arrondit
et devient plainte
je ne sais plus combien j’ai de larmes
toutes fécondées de baisers
seule consolation à ma métamorphose
l’amour renaît sans cesse
incapable de rien faire
pour m’empêcher d’aimer
je ne vois que
mon écoute attentive
mes lèvres suspendues
et mon regard doré
un seul trait de lumière d’or m’anime
on m’espère
FAON reviens
quelle bête suis-je donc pour rêver de m’effacer
ainsi
Épilogue du dimanche [19-29 mai 2011]
Dans un jardin public, une femme âgée marche sur le gravillon. Elle traine de la main droite un caddie à provisions en toile cirée rouge écureuil.
Dans un jardin public, une femme jeune est assise sur un banc. Un chien à poil rouge écureuil court autour du banc.
Dans un jardin public, deux femmes et un chien se croisent.
La femme jeune se lève et part avec l’épagneul qui remue sa queue écureuil.
La femme âgée s’arrête, secoue son caddie écureuil, et crie après le chien et la jeune femme :
« Vous m’embêtez ! »
Dans ce jardin public, il n’y a rien derrière les choses.
Il y a quelque chose devant le mot « animal ».
Devant le mot on ne perçoit que l’unique trait de lumière.
« Effacez ÉCUREUIL. »
Qui est ANIMAL pour tenir les zooscriptures à distance
tout en les animant ainsi ?
How stupid am I to dream and to erase me.