Divinités de la pluie sur le musée du quai Branly
(La souris déplie ses baleines.)
« MUSEE. Du Louvre : à éviter pour les jeunes filles. »
Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.
En fait, après que le président de la République a donné son onction au bâtiment de Jean Nouvel, quai Branly à Paris cette semaine, il suffisait ce dimanche 25 juin de se mettre dans la file d’attente à 8h.15 le long du trottoir qui longe le grand vaisseau à cabanes rouges et jaunes et jardin folâtre, pour entrer facilement dans le saint des saints à 9h. Plus tard, la queue du lézard premier mesurait presque un kilomètre mouillé, rue de l’Université. Les divinités de la pluie surplombaient le musée du quai Branly.
Suivant les traces du connaisseur qui nous avait précédé quelques jours auparavant (mais qui était accompagné de Claude Lévi-Strauss et de ses souvenirs amérindiens), monter la pente douce du chemin qui mène à la connaissance, dans une obscurité tamisée, enveloppée d’un mystère doux, sans agressivité aucune (l’Histoire détaillée est aussi présente), dédié à la seule beauté des statues immenses ou empilées, des instruments de musique rassemblés dans une conque de verre, des vêtements et parures de tous les continents (peaux de bêtes peintes, toiles sur animaux, le pinceau succédant au coutelas), des sonorités entendues de part en part, des figurines étranges, des masques hiératiques, des lances plus jamais propulsées, des éblouissements sculpturaux, des peintures aborigènes, des totems toujours éloquents et peut-être de quelques tabous...
Les visiteurs sont figés dans une stase religieuse, une fois les parapluies déposés au vestiaire, les transes intimes n’ont pas encore eu lieu, l’invocation des dieux a montré leur simple soif : les « peuplades » primitives sont devenues « premières » par la grâce de leurs si lisses objets d’ébène (on marchandait le « bois » dont elles étaient faites).
L’art a pris sa revanche sur l’espace : l’architecte est devenu le grand sachem ordonnançant ces milliers de signes, de traces, d’inscriptions, de courbes, de lignes, de lettrages dans une nef gigantesque qui vogue maintenant au gré des images de chacun, des souvenirs scolaires, des voyages effectués en livre ou en vrai. En sortant, on retrouve même Nicolas Bouvier dans la librairie !
Jean Nouvel est un metteur en scène implacable. Sa dernière pièce est une réussite absolue (ou presque, puisque cela est impossible), on lui prédit des milliers de représentations. Il a créé, avec ce musée, une atmosphère qui ne pouvait être autre : non pas dévotion ou repentance, mais admiration et évidence. Et l’on voudrait rester une journée entière, ici, dans les arbres, dans les fines pirogues, près des poteaux funéraires, dans les assemblées où la parole règne librement, même codée dans son langage du Burkina Faso, du Pérou ou de l’étrange Insulinde.
L’architecture est le lieu des espaces, comme la littérature (Georges Perec en lista définitivement les espèces) : le trait de crayon et celui de plume se plaisent alors à se tirer la bourre. En cheminant dans le musée du quai Branly, on respire à la fois le monde perdu et la distance qui le sépare de celui qui lui succède, une fusion pourtant alchimique entre des rêves anciens de mémoire intangible et la leçon, toujours vacillante, de la permanence de l’étincelle humaine.
Au détour du parcours initiatique se dressait une pierre à magie de Vanuatu, île de Pentecôte : André Breton nous manqua soudain.
D’autres mélopées :
http://www.versailles.archi.fr/Formations/M45_MEMOIRE_site/LITARCHI.htm
http://www.jeannouvel.com/
http://www.quaibranly.fr/
http://jm.saliege.com/bouvier.htm
http://www.remue.net/cont/perec.html<br