Fantasme
d’un surplus infini de plaisir ... (au diapason des Amants réguliers).
« De toute façon, on est toujours seuls ». Cela, François se le chuchote à lui-même au début des Amants réguliers ; cependant, deux plans plus tard, il ajoute qu’on « peut communiquer par la pensée ». Preuve en est, deux séquences plus loin, c’est mai 68 (et juste avant cela, on voit qu’un acteur n’est jamais seul plus de dix secondes dans le cadre, il est toujours rejoint). Ceci induit sans nul doute que le sujet et ses abîmes d’instropection muette n’empêchent pas une synchronie soudaine de nos désirs ; comme dit Baudelaire, c’est juste une affaire de « diapason », d’accouplement de nos rythmes.
Enfin, l’intérêt particulier n’est pas la mesure du monde, la peur n’est pas le seul affect nous accolant, nous liant les uns aux autres : cela, c’est une fiction télévisuelle, idéologique. Notre justesse n’a jamais lieu dans ces plans serrés, étriqués, séparateurs (les victimes pauvres d’un côté, les agresseurs pauvres de l’autre), elle est dans ce panoramique que choisit Garrel, dans cette ondulation qui se laisse doucement porter d’un point à l’autre de l’émeute - avec une volupté calme et confiante.
Oh que la révolte de Garrel est désirable ! il n’est pas un plan de mai qu’il n’ourle d’une fine pellicule séduisante (comme cette élégance punk du garçon casqué qui pisse au front du pouvoir) et toute la chance, comme pourrait l’appeler Bataille, de cette projection permanente des Amants réguliers (puisqu’il est dans nos salles chaque jour, toutes les trois heures), la chance est que ces plans agrandissent, augmentent d’un surplus infini de plaisir l’âpreté répressive des autres images, télévisuelles et discursives.
Le don est inestimable, c’est celui d’une sublimation : jusqu’à présent, nous n’avions pas d’autres choix qu’éprouver un amour refoulé pour mai, une tendresse coupable d’idéalisme. Or il ne s’agit pas d’esquiver le réel, mais de le courber selon l’ampleur de nos désirs politiques. Et c’est ce qui se met si pragmatiquement en scène, dans ce film : on regarde des « émeutiers » qui regardent d’autres émeutiers (silhouettes explosives qui syncopent les bords de l’image), on les regarde les regardant, nos regards convergent vers le même feu d’immanence, puis l’on entend, se dégageant de l’épaisseur verbale, cela - dit par une bouche qu’on ne voit pas : « allez derrière, au lieu de glander, au lieu de regarder, faut dépaver ... »
Un rêve ou un rêve ? [1]
[1] Un rêve ou un rêve est le titre d’un livre de Marc Chodolenko (Paris, POL, 1999), co-scénariste avec Arlette Langhman et Philippe Garrel des Amants réguliers.