Fictions beyrouthines et autres citadines (24)
XXIV
Rima aime quand elle sent le vent dans ses cheveux et qu’elle marche seule dans les rues pour quitter le sud. Elle ne pense à rien d’autre, seulement à la lumière et à l’air qui l’enveloppe et joue à travers les quartiers de Beyrouth. Elle sent un silence en elle malgré tous les visages qui envahissent ses rêves, ils sont trop nombreux se dit-elle au réveil. Elle se tait. Il y aurait alors une sorte de prière, c’est le nom qu’elle donne à ce sentiment d’être bien sur la terre, le seul lieu du monde où elle est vivante entre les décombres et les buildings érigés en dépit des couleurs et des dessins du passé.
J’ai toujours été trop naïve. C’est la dernière phrase du rêve prononcée par un vieil homme assis devant la maison au village. Si l’émotion fut prégnante tout le matin, elle change dans le cœur de Rima et se présente comme une plaisanterie. Plus elle marche, plus le nœud se défait, plus le vieil homme répète la phrase en souriant.
Elle ne couvrira pas sa tête, elle ne se mariera pas. Mais elle prie. Tout le jour, toute la nuit, elle prie. Et c’est ainsi qu’on la laisse faire à sa guise. Quand son père l’interroge sur les années à venir, les études qui n’en finissent pas, le fiancé qu’on lui a choisi, elle répond : je prie. Et elle sent la prière se mouvoir dans son ventre et sa poitrine, tantôt concentrée, tantôt légère puis chargée de chants et de voix qui élaborent sa force de vivre.
Certains soirs pourtant, la foi quitte son sein. Elle pleure et ne voit plus rien devant elle. Les bruits sont trop forts et l’inquiétude des uns et des autres la taraude si bien qu’elle n’entend plus la mer. C’est là qu’ils pourraient l’enlever à sa vie et lui imposer d’être enfin une femme comme ils l’entendent.
Comment se tenir dans la prière au-delà l’écorchement du monde ?