François Monaville | La voix de P

Suite àun accident survenu il y a quelques années, P a dà» réapprendre àparler. Lors d’un entretien, François Monaville lui a demandé de lui décrire le travail qu’il était en train de réaliser àce moment-làsur sa voix.

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Tous les matins, tu sais, je... je fais des... euh... si tu veux quand... quand je commence àfaire ces... ces exercices, j’ai toujours le... allez la... la pomme d’Adam tu vois elle est fixe, elle ne bouge pas et elle a tendance le matin à... àrester immobile. Je dois donc faire des exercices pour la faire bouger. Je parle alors plus clairement. Je force moins... Je les fais tous les matins ces exercices. Et aussi avant de prendre la parole ou avant de rencontrer quelqu’un ou quoi.
Si je fais attention àce que je suis en train de te dire, je pense que j’ai une voix plus ou moins normale. Mais quand je m’enregistre, j’ai toujours l’impression d’entendre un p’tit canard. J’le fais d’ailleurs souvent avec l’orthophoniste. Elle m’enregistre une première fois, me fait faire quelques exercices - peu de choses parfois - puis elle me réenregistre et la voix sur le deuxième enregistrement est beaucoup beaucoup plus claire. On n’entend plus le p’tit canard qui parle ou pour ainsi dire pas. Si on écoute les deux enregistrements, il y a un monde de différences.
Alors, un truc. Jamais personne ne me dit que ma voix a changé. Par contre, quand je dis je suis des séances de rééducation avec une orthopédiste... euh, une orthophoniste, on me dit ah oui, il m’a semblé que quelque chose avait changé mais je n’osais pas te le dire. Souvent, on me le dit après ah oui mais on ne me le dit jamais spontanément. Jamais personne ne me dit tiens ta voix a changé, il faut d’abord que j’le dise.
Il y a donc plusieurs choses. Je ne sais bien sà»r pas tout faire en même temps. Je ne me concentre donc que sur une seule chose àla fois. J’essaie par exemple de mettre plus d’intonations. Je parlais de façon très plate avant. Peut-être toujours maintenant, mais probablement moins... Et si je fais attention àce que je suis en train de dire c’est beaucoup moins plat. Et je parle moins du nez... L’orthophoniste ne me dit pas de moins parler du nez, elle me fait faire plutôt certaines choses pour que je ne parle plus du nez. Prenons par exemple une phrase, n’importe quelle phrase : je te dis quelque chose, je te dis bonjour. Je vais maintenant pincer mon nez, écoute la différence : je te dis quelque chose, bonjour. Sur le « on  », on l’entend fort que j’parle du nez. Mais dans la prononciation des sons « on-in-an  », il y a de toute façon quelque chose de plus nasal. À la limite, ce n’est pas grave. Pour les autres sons, on ne devrait pas entendre de différences. On entend encore toujours une différence, mais c’était beaucoup beaucoup plus marquant quand j’ai commencé. Apparemment, j’ai toujours parlé du nez. Déjàbien avant mon accident. Ça serait l’accent de V.
Donc le matin je pince mon nez. Je fais plus attention, je ne parle plus du nez. Je mets ma main sur la pomme d’Adam. Je fais des sons qui vont du grave vers l’aigu. Je sens la pomme qui monte. Qui descend. Avant je ne la sentais pas. Maintenant, je la sens bien. J’articule mieux. On me demandait souvent avant de répéter. Apparemment je n’articulais pas assez.
L’orthophoniste me demande de chanter. Elle joue du piano, je fais la voix. Ce n’est pas vraiment des, des chansons, c’est, c’est disons plutôt des, des sons. Et donc on... on fait une gamme ou... ça peut être juste une phrase. Très souvent, c’est court, sinon je n’ai pas assez de souffle, et donc, je n’arrive plus. Je m’essouffle. Ça, tu vois, c’est encore autre chose. Quand je parle, je dois faire plus de pauses. J’ai toujours tendance àparler le plus vite possible et àdire tout ce que j’ai àdire le plus vite possible. J’essaie maintenant de faire attention àmettre plus de pauses. En même temps, je suis certain que dans l’enregistrement – du moins, je l’espère - on va entendre que ma voix est plus claire, car en te parlant de ce que je fais pendant ces séances, je repense àplein de trucs auxquels je dois faire attention. Et donc quand on chante, c’est des choses plutôt courtes... Elle monte toujours de plus en plus vers l’aigu. Je monte beaucoup plus dans l’aigu qu’auparavant... mais le but n’est pas d’avoir une voix plus aiguë . Je veux parler de façon plus grave mais... donc je monte et j’ai maintenant une gamme beaucoup beaucoup plus large.
Je vois l’orthophoniste deux fois par semaine. C’est toujours très intense. J’y vais depuis plus de neuf mois. Elle me demande de temps en temps si je suis content, si ma voix est, si je suis content, content de ma voix. Je lui réponds oui mais sans conviction. Ce que je veux, c’est que quand je m’enregistre, on n’entende plus une voix de canard. Il y a des choses dans ma voix que je n’arrive pas àentendre. Si par contre je l’enregistre, je l’entends clairement. Tu sais que quand on me téléphone, on me dit la plupart du temps madame ? Bien sà»r, si tu dis ça àquelqu’un qui me connaît, il te dira mais i sont fous ces gens. D’ailleurs toi, si tu ne savais pas que j’étais un homme, en entendant ma voix au téléphone, tu me prendrais peut-être pour une femme.



L’orthophoniste me demande de téléphoner àdes gens, tu sais les, allez les... les services de renseignement ou quoi, tu vois, on ne sait pas àqui on parle, qui est de l’autre côté, pour voir si on me dit monsieur ou madame. Du coup, je fais attention et on me dit monsieur.
Si je parle moins fort, on m’entend mieux, parce que quand je parle fort, ça se contracte, le son ne sort plus... L’orthophoniste me demande de m’incliner, puis de compter ou de dire les mois de l’année ou quelque chose comme ça, puis de remonter tout en continuant àcompter et àun moment donné ma voix change. Quand je m’incline, je parle moins du nez et ma voix est plus masculine.
Pour assouplir le dos, la nuque, je me mets contre le mur, puis je m’incline, j’incline le cou, puis le dos, puis je remonte, le dos, la nuque et àla fin je déroule la tête. Il y a aussi des trucs pour les pieds. Je ne sais plus ce que c’était. Il y a longtemps que je ne l’ai plus refait.
Il y a donc deux choses. Si je fais attention... Si je ne fais pas attention, je parle totalement différemment. L’orthophoniste me le dit. Je devrais me forcer en parlant avec certaines personnes, toujours avec une personne que je vois régulièrement, avec cette personne-là, àfaire attention àla façon dont je parle. Je n’arrive pas àle faire. Je n’y pense jamais. J’aurais dà» le faire. J’oublie. Quand je parle, je dois faire attention àce que je dis - peut-être qu’un certain stress est là- du coup, je ne sais pas faire attention àma voix. Il faut que quand je parle ce soit naturel. Je ne dois pas chercher àparler d’une certaine manière. Ça doit se faire naturellement... je ne dois pas y penser.




(Propos de P retranscrits, adaptés et mis en page en décembre 2011. F.M.)

27 janvier 2012
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